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Philippe Jordan et l’Orchestre de Paris : élégance et ferveur dans Schubert et Bruckner

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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 30-XI-2023. Franz Schubert (1797-1828) : Symphonie n° 8 « Inachevée » en si mineur D. 759 ; Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 9 en ré mineur, version Nowak 1951. Orchestre de Paris, direction : Philippe Jordan.

Actuellement en rupture de bans avec l'Opéra de Vienne dont il est le directeur musical en titre jusqu'en 2025, dirige ce soir l' en tant que chef invité dans un programme mettant en miroir deux symphonies inachevées : la Symphonie n° 8 de et la Symphonie n° 9 d'.

En convoquant Schubert et Bruckner, deux compositeurs qu'il a souvent fréquentés avec l'Orchestre Symphonique de Vienne (Wiener Symphoniker) dont il fut également le directeur musical, dresse un raccourci saisissant de l'itinéraire symphonique romantique germanique, porté par une interprétation de belle facture où l'immanence, l'élégance et l'équilibre de l'une répond à la ferveur et à la transcendance de l'autre.

Deux symphonies très dissemblables  : la Huitième de Schubert douloureuse et affligée, réduite à deux mouvements, composée en 1822 alors que le compositeur vient d'apprendre sa contamination par la syphilis ; la Neuvième de Bruckner, en trois mouvements, récapitulative et testamentaire, interrompue par une mort annoncée et conçue comme un hommage à Dieu dans un adieu apaisé à la vie.

Le concert s'ouvre sur la Symphonie n° 8 de Schubert. Après une longue phrase introductive énoncée pianissimo par les cordes graves, on est immédiatement séduit par la cantilène du hautbois d'Alexandre Gattet et les beaux contrechants de violon, avant que le phrasé ne s'anime sur un tempo assez lent qui n'altère en rien la progression du discours, mêlant dans une parfaite symbiose douleur (petite harmonie) dramatisme sans lourdeur (cuivres) et lyrisme des cordes (cordes graves). On apprécie la précision de la mise en place et l'équilibre entre les pupitres, comme la richesse en nuances rythmiques et dynamiques qui s'oppose à un certain statisme lié à la répétition des thèmes, autant que la limpidité et la maitrise de la direction qui concourt à une interprétation d'une grande beauté formelle, apollinienne, mais un peu fade, ne dégageant que peu d'émotion. Le second mouvement perdure dans la même veine, celle d'une lecture claire, analytique, équilibrée, presque chambriste, hantée par la recherche du « beau son » où se distingue la petite harmonie et tout particulièrement la clarinette de Pascal Moragues.

D'un climat bien différent la Symphonie n° 9 de Bruckner impressionne tout autant que la précédente par l'acuité et l'intelligence de son interprétation, à la fois puissante, allégée, claire et intensément lyrique où laisse superbement chanter l'. Dans le premier mouvement l'entame majestueuse et solennelle aux cors ouvre sur une dynamique parfaitement maitrisée, envoutante imprégnée d'attente, avec des transitions bien marquées sans lissage, tandis que la texture orchestrale d'un grande  transparence donne jour à tous les détails de la partition (dialogue cor-flûte ; contrechants de cor) et à des performances solistiques superlatives avec des cuivres et des timbales bien contenus, avant que la coda ne recrute tous les pupitres dans un crescendo incandescent, joliment mené. Le Scherzo séduit, quant à lui, par son aspect massif et terrifiant, cauchemardesque, véritable « danse des damnés » soutenu par des attaques de cordes puissantes, les traits grimaçants des vents et le martèlement rythmique inexorable des timbales, faisant contraste avec un trio souriant lyrique, bien que teinté d'inquiétude. L'Adagio conclusif, celui de l'« Adieu au monde » est conçu, ici, comme une vaste prière, douloureuse, recueillie et fervente qui fait la part belle aux tubas wagnériens dans un vaste choral, pénalisée toutefois par une lecture par trop analytique qui nuit quelque peu à la verticalité du discours, avant qu'un immense crescendo engageant tous les pupitres ne voit s'ouvrir les portes de l'Eternité, annonçant les épousailles avec Dieu dans une coda apaisée…

Crédit photographique : © Michael Poehn

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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 30-XI-2023. Franz Schubert (1797-1828) : Symphonie n° 8 « Inachevée » en si mineur D. 759 ; Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 9 en ré mineur, version Nowak 1951. Orchestre de Paris, direction : Philippe Jordan.

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