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L’Heure espagnole, L’Enfant et les sortilèges : rêve et cauchemar en Avignon

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Avignon. Opéra. 24-XI-2023. Maurice Ravel (1875-1937) : L’Heure espagnole, opéra en un acte sur un livret de Franc-Nohain. Mise en scène : Jean-Louis Grinda. Décors et costumes : Rudy Sabounghi. Chorégraphie : Eugénie Andrin. Lumières : Laurent Castaingt. Dessin et ambiances aquarellées : Louis Lavedan. Vidéo : Julien Soulier. Avec : Anne-Catherine Gillet, soprano, (Concepción) ; Carlos Natale, ténor (Gonzalve) ; Kaëlig Boché, ténor (Torquemada) ; Ivan Thirion, baryton (Ramiro) ; Jean-Vincent Blot, basse (Don Iñigo Gomez).

L’Enfant et les Sortilèges, fantaisie lyrique en deux parties sur un livret de Colette. Mise en scène : Jean-Louis Grinda. Décors et costumes : Rudy Sabounghi. Chorégraphie : Eugénie Andrin. Lumières : Laurent Castaingt. Vidéo : Jérôme Noguerra. Avec : Brenda Poupard, soprano (l’Enfant) ; Anne-Catherine Gillet, soprano (la Bergère, la Chouette) ; Héloïse Poulet, soprano (la Chauve-Souris, une Pastourelle) ; Amélie Robins (le Feu, la Princesse, le Rossignol) ; Aline Martin, mezzo-soprano (Maman) ; Albane Carrère, mezzo-soprano (la Tasse, la Libellule, le Pâtre) ; Ramya Roy, mezzo-soprano (la Chatte, l’Ecureuil) ; Kaëlig Boché, ténor (la Théière, le petit Vieillard, la Rainette) ; Ivan Thirion, baryton (l’Horloge comtoise, le Chat) ; Jean-Vincent Blot, basse (le Fauteuil, l’Arbre). Conservatoire du Grand Avignon/Pôle Danse. Chœur (chef de chœur : Désirée Pannetier), Ballet, Maîtrise (chef de chœur : Florence Goyon-Pogemberg) de l’Opéra Grand Avignon et Orchestre national Avignon-Provence, direction : Robert Tuohy

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Une intelligente coproduction permet d'appréhender en une seule soirée les deux miniatures lyriques de Ravel. Bonheur supplémentaire, le spectacle rêvé par aligne satisfactions musicale et visuelle.

Hormis celle de Laurent Pelly pour Glyndebourne, quelle autre production citer, réunissant L'Heure espagnole et L'Enfant et les sortilèges ? Les opéras de poche (mais pour grand orchestre) de Ravel sont pourtant une aubaine pour une soirée lyrique réussie, leurs durées respectives (environ trois quarts d'heure) en faisant les compléments idéaux l'un de l'autre. Quelle incompréhensible démarche que celle qui présida aux attelages contre-nature que furent jadis L'Enfant avec Œdipus Rex (Paris 1979), naguère Le Nain (Paris en 2001, repris en 2013), et encore aujourd'hui avec Gianni Schicchi (Los Angeles 2020) ! On saluera longtemps le bon sens (et les moyens qui vont avec) d'une ambition destinée à faire aussi les beaux soirs de Tours et de Liège.

Rêve : L'Heure espagnole

Avec ses allures de livre dépliable, le surlignage de ses arêtes et de ses volumes, avec sa fausse verrière en guise de plafond, le trompe-l'œil intrigant du décor de Rudy Sabounghi est une merveille de distanciation souriante qui aurait saisi le trait de plume de Sempé pour convoquer le meilleur des BD de l'enfance. Un parti-pris des plus adéquats pour faire avaler à tout public les lestes couleuvres de la comédie érotique de Franc Nohain remontée par la mécanique horlogère du génie ravélien. Cet univers de quasi-papier mâché autorise en outre d'astucieux trucages permettant au robuste muletier de soulever comme fétu de paille les horloges et leur occupants (chez Ravel l'amant n'est pas dans le placard). La boutique de Torquemada s'ouvre sur un extérieur dont les variations lumineuses s'accordent sans discontinuer aux ébats de ses occupants. Le jeu d'orgues de Laurent Castaingt révèle ainsi l'architecture interne d'une conversation en musique se déroulant sur une heure d'horloge et qui semble ici jouer les prolongations jusqu'à la nuit tombée, la dernière image pouvant laisser supposer que la boulevardière adultère s'est passée dans la tête de Torquemada assoupi à sa table de travail.

Le quintette vocal a été confié à une équipe française maîtrisant à la perfection la prosodie délicate d'une partition totalement inféodée au verbe. Le Torquemada de donne le ton de son instrument immédiatement clair et précis, le muletier d'Yvan Thirion lui emboîtant le pas avec la bonhommie et l'assurance adéquates. Le Gonzalve délicieusement infatué de séduit dans la foulée. Le Don Iñigo Gomez de , à peine éprouvé dans le haut de la tessiture, est tout aussi réjouissant. Ce gynécée masculin est mené à la baguette par , diseuse et comédienne experte, capable de passer en quelques semaines de Blanche de La Force à Concepción. Régulièrement sollicitée par la tentation chorégraphique, la direction d'acteurs fait feu du mitraillage de trouvailles orchestrales (et l'on sait combien la partition en regorge, même dans l'excellent arrangement maîtrisé par le grand horloger en chef ). Au tomber de rideau l'on n'a qu'une crainte : que L'Enfant et les sortilèges ne soit pas à la hauteur…

Cauchemar : L'Enfant et les sortilèges

Ceux qui ont vu, en 2012, le deuxième opéra de Ravel déjà mis en scène par à Monaco (seul L'Heure espagnole est, de fait, une nouveauté ce soir) savent déjà qu'il n'en sera rien. Aussi peu intéressé que possible par un livret qui fait dialoguer deux chats, deux fauteuils, ou même une théière avec une tasse chinoise (merci, Colette !), Grinda a préféré mettre en image la vengeance d'une domesticité trop longtemps soumise aux caprices d'un enfant terrible. Au lever de rideau, l'Enfant, gâté par sa mère richissime, n'a non seulement « pas envie de faire sa page » mais a déjà retourné toute sa chambre. Une chambre à haut plafond, luxueusement meublée (lit à baldaquin, tapisserie…) qu'une domesticité excédée remet en ordre avant le premier mot chanté, avant que l'enfant, tout aussitôt, ne déchaîne à nouveau sa hargne, et ne remette tout « en l'état » c'est à dire sens dessus dessous. Valets et servantes décident alors de se substituer à une éducation maternelle défaillante au moyen d'un cauchemar non stop où soubrettes et valets se transforment, qui en monstrueux insectes rampants, qui en créatures déhanchées, tandis que la tapisserie, après avoir imprimé à l'ensemble une allure de train-fantôme, s'évanouit au profit d'un immense miroir au sublime instant de l'apparition du jardin. Entre-temps la Gouvernante sera devenue le Feu serpentant entre les lattes du plancher marqueté, et même la Princesse s'élevant de l'armoire. C'est à une étourdissante chorégraphie événementielle (gros travail d'Eugénie Andrin) que l'on assiste. Dans un contexte aussi cauchemardesque (la fin, dans la logique de L'Heure espagnole, laisse également supposer que tout se sera passé dans la tête de l'Enfant endormi dans son lit), la vidéo a son mot à dire : avec l'eau de ses problèmes de robinets montant à vue, la leçon d'arithmétique est un moment particulièrement réussi. Tout est crédible.

Dix chanteurs français pour vingt et un rôles : les interventions, généralement épisodiques, n'en exigent pas moins précision et travail d'équipe. Les protagonistes de L'Heure espagnole reprennent presque tous du service. On s'amuse à discerner sous de nouveaux atours Anne Catherine Gillet reprenant une bouchée ravélienne avec la Bergère et la Chouette, tout aussi percutant et musical en Théière et en Petit Vieillard, ou encore en Horloge comtoise et en Chat. Et on découvre les nouveaux venus : Amélie Robin, Feu aux vocalises acérées ; , tour à tour Tasse chinoise, Pâtre et Libellule ; en Pastourelle et en Chauve-souris ; , Chatte particulièrement matoise. Tous et toutes maltraités par le sale gosse craquant de . Par un hasard peut-être calculé, la Maman d', dépassée par son enfant, nous a semblé l'être un brin par la fosse. Chœur et Maîtrise se tirent de même avec les honneurs de la précision diabolique exigée par le peu que tous ont à chanter. Toujours sous l'excellente baguette de , découverte en 2018 avec l'impressionnante Butterfly limougeaude du tandem Clarac-Deleuil, l'orchestre de L'Enfant, bien que réduit avec la même intelligence que celui de L'Heure, et bien qu'impuissant à masquer un léger déficit d'épaisseur féerique à l'apparition du jardin, met au premier plan la belle virtuosité ravélienne de la phalange d'Avignon-Provence.

Il y deux . Celui que nous préférons est celui qui ose s'aventurer hors de ses propres sentiers battus. Plus que son Guillaume Tell, sa Damnation de Faust, on garde en mémoire son Falstaff animalier échappé d'une bibliothèque, ou son Tannhäuser mis à mort dirigé par Nathalie Stutzmann. Nouveau pas de côté, son diptyque Ravel (même si son esthétisme reste en-deçà de celui de Philippe Sireuil pour l'Opéra de Lyon  en 1999) est indiscutablement de cette eau-ci.

Crédits photographiques © Studio Delestrade-Avignon

Mis à jour le 8/12/2023 à 22h25

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Avignon. Opéra. 24-XI-2023. Maurice Ravel (1875-1937) : L’Heure espagnole, opéra en un acte sur un livret de Franc-Nohain. Mise en scène : Jean-Louis Grinda. Décors et costumes : Rudy Sabounghi. Chorégraphie : Eugénie Andrin. Lumières : Laurent Castaingt. Dessin et ambiances aquarellées : Louis Lavedan. Vidéo : Julien Soulier. Avec : Anne-Catherine Gillet, soprano, (Concepción) ; Carlos Natale, ténor (Gonzalve) ; Kaëlig Boché, ténor (Torquemada) ; Ivan Thirion, baryton (Ramiro) ; Jean-Vincent Blot, basse (Don Iñigo Gomez).

L’Enfant et les Sortilèges, fantaisie lyrique en deux parties sur un livret de Colette. Mise en scène : Jean-Louis Grinda. Décors et costumes : Rudy Sabounghi. Chorégraphie : Eugénie Andrin. Lumières : Laurent Castaingt. Vidéo : Jérôme Noguerra. Avec : Brenda Poupard, soprano (l’Enfant) ; Anne-Catherine Gillet, soprano (la Bergère, la Chouette) ; Héloïse Poulet, soprano (la Chauve-Souris, une Pastourelle) ; Amélie Robins (le Feu, la Princesse, le Rossignol) ; Aline Martin, mezzo-soprano (Maman) ; Albane Carrère, mezzo-soprano (la Tasse, la Libellule, le Pâtre) ; Ramya Roy, mezzo-soprano (la Chatte, l’Ecureuil) ; Kaëlig Boché, ténor (la Théière, le petit Vieillard, la Rainette) ; Ivan Thirion, baryton (l’Horloge comtoise, le Chat) ; Jean-Vincent Blot, basse (le Fauteuil, l’Arbre). Conservatoire du Grand Avignon/Pôle Danse. Chœur (chef de chœur : Désirée Pannetier), Ballet, Maîtrise (chef de chœur : Florence Goyon-Pogemberg) de l’Opéra Grand Avignon et Orchestre national Avignon-Provence, direction : Robert Tuohy

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