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Marc Minkowski et Mitridate, essais et erreurs

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Berlin. Staatsoper. 22-XI-2023. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Mitridate, opéra sur un livret de Vittorio Amedeo Cigna-Santi. Mise en scène : Satoshi Miyagi ; décor : Junpei Kiz et Eri Fukazawa ; costumes : Kayo Takahashi Deschene. Avec : Siyabonga Maqungo (Mitridate), Ana Maria Labin (Aspasia), Elsa Dreisig (Sifare), Carlo Vistoli (Farnace), Caroline Jestaedt (Ismene), Sahy Ratia (Marzio), Adriana Bignagni Lesca (Arbate). Les Musiciens du Louvre ; direction : Marc Minkowski

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Au Staatsoper de Berlin, le duo Minkowski-Miyagi ne trouve pas les clés du juvénile chef-d'œuvre de Mozart, avec une distribution inégale et une mise en scène statique.


Minkowski s'est déjà essayé à Mitridate il y a près de vingt ans, en 2005 et 2006 à Salzbourg, puis vint le Staatsoper : les représentations prévues en 2020 n'ont pas eu lieu, le Covid les transformant en séances d'enregistrement pour un disque. Après une première série en 2022, il revient sur scène en 2023 pour les semaines baroques du Staatsoper. Le spectacle salzbourgeois montrait ses doutes face à une œuvre qu'il ne présentait que mutilée, abrégée et modifiée, en accord avec le metteur en scène Günter Krämer ; cette fois, au moins, et à part le déplacement d'un air, elle est présentée avec des coupures limitées qui ne dépassent pas la norme.

Pour autant, elle ne s'est toujours pas vraiment livrée à lui : comme dans l'enregistrement de 2020, Minkowski garde tout au long de la soirée un manque de fougue et de travail sonore très étonnant, pour lui qui a montré par des dizaines d'enregistrements et de spectacles à quel point on pouvait donner de la variété et de la vie au genre seria trop souvent calomnié comme formaliste et sans vie. L'histoire moderne de Mitridate n'a vraiment commencé qu'en 1999, avec la publication de l'enregistrement fabuleux de Christophe Rousset, avec rien moins que Bartoli, Piau et Dessay, sans oublier le contre-emploi astucieux de Giuseppe Sabbatini dans le rôle-titre : même vivifié par la scène, Minkowski en reste encore très loin.

De l'enregistrement de 2020 aux séries scéniques de 2022 et 2023, Minkowski n'a pas non plus trouvé la distribution idéale : le seul point commun aux trois distributions, et c'est pour le moins étrange, reste Arbate, fort mal chanté par Adriana Bignani Lesca. En Ismene, Sabine Devieilhe avait fait merveille au disque ; ici, Carolin Jestaedt est beaucoup trop effacée. La précision et la vélocité ne lui font pas défaut, mais le charisme lui manque à force de ne pas oser utiliser l'écriture vocale pour faire naître l'émotion et donner de la profondeur au personnage (d'autant que Minkowski lui fait chanter une version alternative de son air de l'acte I, beaucoup plus mièvre que l'air habituel). Le reste, fort heureusement, est beaucoup plus satisfaisant : est une Aspasia solide et marquante, mais en Sifare lui vole tout de même la vedette, avec beaucoup plus de présence que dans sa récente Comtesse des Noces à Munich. ne fait pas de Farnace un vrai méchant, et un peu plus de noirceur n'aurait pas nui, mais le timbre est généreux et prégnant, la conduite de la voix sûre et variée, ce qui est déjà beaucoup. C'est avec un même enthousiasme tempéré qu'on accueille le titulaire du rôle-titre, . Tout serait parfait s'il n'y avait pas deux airs de fureur dans le rôle, que Minkowski et lui privent d'une bonne part de leur urgence ; mais voilà un ténor mozartien comme on en entend rarement, d'une poésie et d'une délicatesse admirables, avec une capacité à nuancer la dynamique et les couleurs comme on en rêve.

La mise en scène de est elle aussi un problème : le Covid a fait que ce spectacle a été créé quelques mois à peine après la mise en scène d'Idomeneo par le même Satoshi Miyagi au festival d'Aix-en-Provence, et elle présente les mêmes défauts de statisme et de manque de point de vue. L'interview du metteur en scène dans le programme fait à nouveau un parallèle historique, avec la guerre entre les États-Unis (Rome) et le Japon (le Pont) dans les années 1940, mais il n'en reste pas grand-chose sur scène, et on est franchement effaré de le voir présenter la criminelle colonisation japonaise comme une nécessité « pour pouvoir tenir tête à l'Amérique (ou même à l'Europe) ». Le tout pour un spectacle d'esthétique japonaise, mais sans force théâtrale : mettre le kabuki au service de l'opéra n'a rien de nouveau, on se souvient peut-être du Coq d'Or et de la Femme sans ombre mis en scène par Ennosuke Ichikawa III dans les années 1980-90 (repris tous deux par le DVD) ; ni le décor, ni les costumes pleins de fantaisie ne peuvent compenser le manque d'ampleur de la direction d'acteurs, et même l'idée intéressante d'associer les personnages à des animaux, comme des totems, ne permet pas de produire une force d'incarnation. Ce faisant, le metteur en scène passe à côté d'une bonne partie des thèmes de l'œuvre, à commencer par le conflit des générations qui avait tant inspiré David Bösch il y a une bonne décennie à Munich : s'intéresser au fond de l'œuvre est plus payant que de s'appuyer sur les stéréotypes courants de l'opera seria.

Crédits photographiques : © Bernd Uhlig (2022)

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