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Francis Poulenc à chœur battant

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Francis Poulenc (1899-1963) : Litanies à la Vierge noire (1936) ; Stabat Mater (1950). Clément Janequin (1485-1558) : O doulx regard, o parler gratieux. Marianne Croux, soprano ; Louis-Noël Bestion de Camboulas, orgue ; Ensemble Aedes ; Les Siècles ; direction : Mathieu Romano. 1 CD Aparté. Enregistré les 19 et 20 octobre 2022 au Théâtre impérial de Compiègne et le 21 février 2023 dans le réfectoire des moines de l’abbaye de Royaumont (Litanies à la Vierge noire). Notice de présentation en français et en anglais. Durée : 44:47

 

Les Clefs d'or

Cette année de commémoration des 60 ans de la disparition de Poulenc prend fin avec le superbe disque que lui consacre l', épaulé par Les Siècles. Au programme : Litanies à la Vierge noire et Stabat Mater séparés par « O doulx regard, o parler gratieux » de . La puissance dramatique le dispute à la nudité contemplative dans un équilibre parfaitement maîtrisé.

Grâce soit rendue tout d'abord à l'iconographe anonyme qui a choisi La Cellule d'or (1892) d'Odilon Redon pour illustrer la pochette et le livret. Deux teintes opposées se partagent verticalement les deux parties du tableau : à droite, le bleu outremer colorant le profil orienté vers la gauche d'une tête angélique à l'œil clos, dont le vêtement, à peine entrevu, est d'or, tout comme le reste de la toile, ainsi qu'un fond d'icône byzantine. Deux couleurs juxtaposées, comme deux forces, deux mouvements contraires : l'intériorité du recueillement et la puissance irradiante de la lumière. Deux pôles réunis sous le signe du mysticisme, comme dans la musique pour chœur de , à la fois pieuse et sensuelle, ainsi que le rappelle dans le livret , chef de l'. Ces interprètes sont d'ailleurs des familiers du compositeur, le jouant depuis longtemps et lui ayant réservé une place sur un disque paru en 2019 lui aussi chez Aparté.

Un simple intervalle de quinte tenu quelques secondes, puis un thème reprenant les mêmes notes, qui monte ou descend, semble hésiter en maintenant sa note toute nue avant de repartir avec la même régularité de pulsation, à l'exemple de la cantilène grégorienne escaladant ou dégringolant ses escaliers de neumes : voilà comment, avec une simplicité forçant l'attention, l'orgue introduit les Litanies à la Vierge noire (1936), instaurant un climat à la fois confiant et mystérieux. C'est comme si l'auditeur baignait dans l'immobilité atemporelle de la polychromie divine produite par les vitraux d'église. L'instrument, tenu par , à la clarté de jeu admirable, est le Cavaillé-Coll du réfectoire des moines de l'abbaye de Royaumont. Il se tait pour laisser les voix féminines entonner timidement leur prière : « Seigneur, ayez pitié de nous… » Après l'invocation du Très Haut, de Jésus et du Saint Esprit, la prière se concentre sur la Vierge et plus précisément la Vierge noire que, selon la légende, Amadour, assimilé au Zachée de l'Évangile, sculpta dans un bois sombre. La statue et le tombeau du saint se trouvent dans la chapelle de Rocamadour, où, l'année de l'écriture de la pièce, renoua avec la vie spirituelle. Marque de fabrique d'un compositeur endeuillé, la douceur de l'imploration des fidèles se mue brusquement en cri dissonant dans « exaucez-nous » amené par un crescendo subit, avant de retomber dans la blancheur de l'oraison catholique. Ainsi se déploie une dramaturgie écartelée entre l'humilité du croyant tourné vers le Ciel et la douleur de sa condition terrestre. S'y marient harmonieusement les voix sopranos, mezzo-sopranos et altos, à l'unisson ou en chœur, et les accords ou motifs tantôt caressants, tantôt explosifs de l'orgue qui accompagne, commente ou conclut les passages. La version entendue suit le manuscrit autographe conservé à la BnF. L' respecte l'austérité chorale d'une musique psalmodique. C'est vraiment poignant. Aucune envie d'une autre musique ne peut venir après la très simple phrase conclusive d'un orgue… qui ne joue pas pour lui-même.

Et pourtant, toute profane qu'elle est, s'invite tout naturellement à la suite la chanson O doulx regard, o parler gratieux (première publication : 1548) de , amenée par une délicatesse fluide qui prend rapidement les accents de la supplication. C'est que, dans l'amour courtois, l'homme devient le vassal d'une femme dont il doit mériter l'amour. La « douceur » et la « grâce » sont aussi celles de l'Ensemble Aedes, fondant les quatre voix d'une pièce chorale afin de produire tout le velouté requis et jouant à merveille sur l'intensité musicale pour porter l'émoi qui donne vie à toute la pièce.

Aux premières mesures du Stabat Mater (1950), les instruments jouant seuls – des cordes caressant quelques notes tenues sur le tapis discret de la cymbale et des pizz de contrebasses – nous annoncent une situation dramatique, tout comme au début du Requiem de Mozart. Après cette rapide contextualisation, ils sont rejoints par les voix graves racontant en latin qu'« elle se tenait, dans la douleur, près de la croix, en larmes. » Puis, toujours dans la même pulsation régulière, arrivent les voix féminines reprenant cette première phrase. Un crescendo emporte irrésistiblement tout le chœur. Nous voici loin du statisme de la sollicitation, des accents purement liturgiques des Litanies, et l'action semble avant tout humaine. La prise de son flatte l'art consommé des ensembles réunis, Aedes et les Siècles, ces derniers servant de sobre écrin à un chœur à la fois vedette musicale et commentateur de l'épisode biblique. C'est une pièce de théâtre qui va se jouer là, ou plutôt qui s'est jouée, puisque que l'action achevée – la mort du Christ – se mue en prière mariale ; mais cette tragédie est exposée en douze tableaux musicaux, lesquels paraissent autonomes parce que de caractères très différents. En fait, ce qui est pleinement actif ici, c'est l'émotion. Le Stabat Mater : une mise en scène divine de l'émotion humaine. D'où, donc, l'excellence requise de ses interprètes. Et la perfection atteint un cran de plus avec l'intervention de la soliste sur « Vidit suum dulcem natum », accrochant de sa voix charnue des notes très au-dessus du chœur. On atteint au sublime tout en restant bien sur terre. La soprano revient sur « Fac ut portem Christi mortem » dans des accents déchirants et en même temps auréolés d'une atmosphère somme toute paisible. Poulenc dramatise en écrivant de grandes envolées poignantes qui finissent toujours par retomber doucement. À la dernière strophe, la soliste couronne et l'ensemble et l'histoire sur « paradisi gloria ». Cette dernière, notre âme de mélomane l'a atteinte, c'est sûr ! Si un climat d'abandon confiant enveloppe tout ce Stabat Mater, l'Ensemble Aedes en exprime également toute la puissance et l'exaltation contenues. Difficile de faire mieux.

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Francis Poulenc (1899-1963) : Litanies à la Vierge noire (1936) ; Stabat Mater (1950). Clément Janequin (1485-1558) : O doulx regard, o parler gratieux. Marianne Croux, soprano ; Louis-Noël Bestion de Camboulas, orgue ; Ensemble Aedes ; Les Siècles ; direction : Mathieu Romano. 1 CD Aparté. Enregistré les 19 et 20 octobre 2022 au Théâtre impérial de Compiègne et le 21 février 2023 dans le réfectoire des moines de l’abbaye de Royaumont (Litanies à la Vierge noire). Notice de présentation en français et en anglais. Durée : 44:47

 
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