Alexandre Kantorow et Klaus Mäkelä exemplaires dans Saint-Saëns et Schumann
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 15-XI-2023.Maurice Ravel (1875-1937) : Shéhérazade, Ouverture de féerie (1899) ; Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Concerto pour piano et orchestre n° 5 en fa majeur op. 103 dit « l’égyptien » (1896) ; John Dowland (1563-1626) : Lachrimae Antiquae (1604) ; Robert Schumann (1810-1856) : Symphonie n° 2 en ut majeur, op. 61 (1808). Alexandre Kantorow, piano. Orchestre de Paris, direction : Klaus Mäkelä.
Dans un programme aussi dense qu'éclectique, l'Orchestre de Paris dirigé par Klaus Mäkelä et le pianiste Alexandre Kantorow nous guident dans un mystérieux voyage, depuis l'évocation de l'Orient stylisé de Shéhérazade de Ravel et du Concerto L'Égyptien de Saint-Saëns jusqu'aux tourments de l'âme des Lachrimae Antiquae de Dowland et de la Symphonie n° 2 de Schumann.
Œuvre de jeunesse qui vaut surtout par la rareté de sa présence au concert, composée en 1899 par un Ravel âgé de 24 ans encore élève au conservatoire, l'Ouverture de féerie de Shéhérazade est la seule pièce rescapée d'un projet initial d'opéra fortement influencé par la musique russe… Sans atteindre aux couleurs rutilantes de la suite symphonique du même nom de Rimski-Korsakov (1889), ni à la sensualité troublante des mélodies composées en 1903 sur des poèmes de Tristan Klingsor portant le même titre, cette ouverture constitue un aimable prélude au concerto de Saint-Saëns. Elle fait déjà valoir une science confirmée de l'orchestration et se déploie dans un foisonnement de timbres (flute, hautbois, harpe et célesta), figurant un Orient rêvé et alternant marche et mélodie « persane » dans un dialogue entre bois agrestes, cordes soyeuses, percussions colorées et cuivres solaires.
Il faut bien reconnaitre que la musique de Saint-Saëns va naturellement de soi dans la famille Kantorow puisque père et fils ont déjà gravé ensemble une intégrale du corpus symphonique et des concertos pour piano pour le label BIS. On rappellera pour l'anecdote que c'est avec le Final de ce même concerto qu'Alexandre salua sa victoire lors du concours Tchaïkovski en juin 2019 à Moscou.
Orient toujours donc, avec le Concerto pour piano n° 5 de Camille Saint-Saëns composé en 1896 à Louxor dont le pianiste Alexandre Kantorow nous livre une interprétation flamboyante, parfaitement juste de ton, superbement servie par une phalange parisienne superlative menée par Klaus Mäkelä tout au long des trois mouvements constitutifs comportant : un Allegro animato initial aux accents romantiques, très équilibré, qui permet d'apprécier la qualité et la variété du jeu pianistique dans une succession d'épisodes enflammés et percussifs ou à l'inverse plus fluides et intimes, mais toujours portés par une grande complicité avec l'orchestre ; un Andante inspiré d'un chant nubien, haut en couleurs, tour à tour urgent, passionné, sensuel, sombre et affligé, mais sans pathos où se distinguent de belles cordes lyriques et homogènes ; un Molto Allegro final d'une virtuosité ébouriffante, presque jazzy, motoriste et jubilatoire qui conclut de façon grandiose cette remarquable lecture suivie de deux bis empruntés à Monpou et Liszt.
Surprise et interrogation au début de la seconde partie devant la présence incongrue au programme des Lachrimae Antiquae de John Dowland (1604) en prélude à la Symphonie n° 2 de Robert Schumann (1808). Saura-t-on jamais ce qui justifie un tel choix ? Quoi qu'il en soit Klaus Mäkelä semble coutumier du fait, notamment avec le Philharmonique d'Oslo… Tirées d'un recueil de sept pavanes destinées à assumer une esthétique des larmes et de l'affliction dans un esprit grave et méditatif fondé sur l'entrelacement polyphonique, elles recrutent les seuls chefs de pupitre du quatuor, jouées enchainées avec l'opus schumannien dont elles constituent, dans une superbe transition, un émouvant prélude.
On sait la genèse difficile de la Symphonie n° 2 de Robert Schumann dont la composition correspond aux premières attaques de la maladie qui conduira le compositeur au suicide dix années plus tard. Une œuvre de la résilience, faite d'ambiguïté et de tension dialectique entre espoir et affliction dont Klaus Mäkelä nous offre une lecture passionnante, claire et allégée aux accents mendelssohniens, sans lourdeur. Le premier mouvement Allegro énonce le célèbre thème solennel dans la douceur avec des cuivres et percussions bien contenus avant que le phrasé ne se creuse dans un intense sentiment d'urgence, tendu, sans dramatisme excessif ; le Scherzo fait valoir une dynamique sans faille, bondissante et virevoltante, dont on admire la mise en place, les nuances, la transparence ainsi que la subtilité des transitions dans l'émergence des deux trios (le premier plus lyrique et champêtre, le second plus mélancolique) ; l'Adagio d'un romantisme prégnant séduit par le legato des cordes, par la cantilène tendre et mélancolique du hautbois, sans pathos excessif, avant que le Finale ne marque la victoire finale du renouveau dans une coda lumineuse pleine d'allégresse aux couleurs beethovéniennes. Magnifique !
Crédit photographique : © Mathias Benguigui / Orchestre de Paris
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 15-XI-2023.Maurice Ravel (1875-1937) : Shéhérazade, Ouverture de féerie (1899) ; Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Concerto pour piano et orchestre n° 5 en fa majeur op. 103 dit « l’égyptien » (1896) ; John Dowland (1563-1626) : Lachrimae Antiquae (1604) ; Robert Schumann (1810-1856) : Symphonie n° 2 en ut majeur, op. 61 (1808). Alexandre Kantorow, piano. Orchestre de Paris, direction : Klaus Mäkelä.