Création au féminin avec l’Orchestre de chambre de Paris

Le concert de sortie de résidence (initialement prévu en mars dernier) de l'Académie internationale des jeunes compositrices voit la création des pièces de Farnaz Modarresifar et Haeun Choi sur la scène du Théâtre du Châtelet.

Fidèle à son engagement en faveur de la parité dans le monde de la musique, l'Orchestre de chambre de Paris a lancé en 2021 son Académie des jeunes compositrices destinée à mettre en lumière le travail de ces jeunes femmes. Elle s'adresse à des musiciennes en cours d'apprentissage qui vont bénéficier durant deux années des conseils des musiciens de l'orchestre (ateliers pratiques avec les différents pupitres) et des compositeurs ou compositrices associés (Thomas Lacôte et Clara Olivares pour cette première session). Au terme du processus, les œuvres finalisées sont données en création lors de concerts publics dirigés par les lauréates de La Maestra.

C'est la cheffe polonaise Anna Sułkowska-Migoń, premier prix de la Maestra 2022, qui est sur le podium pour ce concert-déjeuner (12h30) où les deux créations féminines sont mises en résonance avec une œuvre du répertoire, l'Ouverture de Coriolan de Beethoven, jouée à la fin. La formule est sympathique autant que pédagogique, qui prévoit deux auditions des œuvres nouvelles entre lesquelles chacune des compositrices vient au micro de Coline Infante pour parler de son parcours et présenter sa pièce, avec exemples sonores à l'appui.

La jeune trentenaire franco-iranienne Farnaz Modarresifar bénéficie déjà d'une certaine aura dans le monde de la création. Jouée à plusieurs reprises par différents ensembles dédiés à la musique d'aujourd'hui, elle a également reçu le Prix des professeurs de collège lors du Grand Prix Lycéens des Compositeurs 2023. Elle est aussi virtuose du Santour, la cithare iranienne sur laquelle elle improvise. Sa pièce, Les Aiguilles de l'horloge sursautèrent, emprunte son titre à un vers d'une poétesse iranienne.

L'œuvre originelle pour treize musiciens, travaillée aux côtés du regretté Lars Vogt, a été remaniée pour l'effectif de l'orchestre au complet. La compositrice y ajoute un ‟prologue”, hommage au pianiste et chef d'orchestre décédé en 2022 qui tire ses sonorités du rituel funèbre du sud de l'Iran : l'entrée en matière est saisissante, donnant à entendre les coups d'une grosse caisse avec timbre (la résonance de crotales accrochées à la peau) et la sonnerie des trompettes imitant l'instrument à vent traditionnel. L'influence de Ligeti et ses textures raffinées (trames des cordes) est prégnante dans une œuvre qui juxtapose plus qu'elle n'articule différentes séquences où la couleur (clarinette basse, trompette bouchée) le dispute à l'énergie du geste : une musique fascinante, d'une grande sensibilité, qui appelle plus d'ampleur encore et de développement.

Les enjeux diffèrent avec la pièce de la compositrice sud-coréenne Haeun Choi, également pianiste, flûtiste et organiste. Nuit blanche est conçue à partir d'un texte qu'elle rédige elle-même après une nuit d'insomnie. Elle y décrit les émotions qui l'ont successivement saisie : anxiété, espoir, dépression, colère, peur, désespoir et retour à la vie, nous dit-elle : autant d'affects passagers (la pièce ne dure que sept minutes !) qui nourrissent l'écriture d'orchestre.

C'est la veine expressive et dramatique qui est recherchée, servie par une orchestration mouvante et un travail très fin où les configurations, les registres et les temporalités se renouvellent : contraction et dilatation, lissage et dislocation. La facture y est soignée tout comme la conduite formelle.

On ne réentend pas la pièce d'Haeun Choi (faute de temps, sans doute), le concert s'achevant avec l'Ouverture de Coriolan, dramatique autant qu'héroïque sous la baguette d'Anna Sułkowska-Migoń.

Crédit photographique : © Orchestre de chambre de Paris