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A Grenoble, le retour du concours international Olivier Messiaen « piano »

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Grenoble. MC2, Scène nationale- Maison de la Culture de Grenoble. 04-XI-2023. Concours International Olivier Messiaen. Olivier Messiaen (1908-1992) : Préludes ; Michaël Lévinas (né en 1949) : Synérèse (création mondiale) ; Jean-Frédéric Neuburger (né en 1986) : Enchaîner ; Orlando Bass (né en 1994) : Étude sur π ; Helmut Lachenmann (né en 1935) : Variationen über ein Thema von Schubert, et Guero ; Karlheinz Stockhausen (1928-2007) : Klavierstücke V ; Miharu Ogura (née en 1996) : Sillage de lignes ; Grazina Bacewicz (1909-1969) : Piano Sonata.

Créé en 1967 par  pour le piano contemporain, interrompu en 2007, le Concours International a pris un nouveau départ : après une édition 2022 consacrée à l'orgue, celle 2023 revenue au piano s'est conclue avec brio à la MC2 de Grenoble.

Il fallait redonner vie à ce concours et le replacer dans cette région du Dauphiné tant aimée du compositeur. Aux côtés du Festival Messiaen au Pays de la Meije et de la Maison Messiaen (résidence d'artistes) soutenue par la Fondation , cela faisait sens. En 2019, sollicité par son fondateur , Bruno Messina, directeur de l'EPCC AIDA, a accepté d'en assumer la tâche, l'a remonté et depuis le dirige. 

Les épreuves, de la présélection à la finale

A son initiative, la nouvelle formule du concours alterne désormais l'orgue les années paires, dont les épreuves ont lieu à Lyon, et le piano les années impaires, à Grenoble, dans le cadre d'un nouveau partenariat avec la MC2, scène nationale et Maison de la Culture. Ouvert aux pianistes de moins de trente ans, il s'y est déroulé du 2 au 4 novembre en trois tours publics, après présélection de six candidats parmi une vingtaine inscrits. Deux se sont désistés. Restaient quatre à présenter au fil des épreuves des programmes particulièrement intéressants et sortant des sentiers battus, mettant à l'honneur la musique du XXᵉ siècle et comme il va de soi celle de Messiaen. Outre trois de ses Préludes, il fallait jouer en finale une œuvre significative postérieure à 1945, une œuvre libre, et deux créations commandes du Concours passées cette année à et . Sur les quatre candidats admis à présenter l'ultime épreuve, trois ont participé et ont été récompensés. 

Le palmarès : trois Prix pour !

présidait un jury composé de pianistes de renommée internationale ayant eu un lien artistique fort avec ou son épouse la pianiste Yvonne Loriod : Jean-François Heisser, Marie-Josèphe Jude, Florent Boffard et Louise Bessette venue spécialement de Montréal. Ce jury a décerné le Grand Prix Olivier Messiaen à (France), le deuxième Prix à (Japon) et le troisième Prix à (Hongrie/Roumanie). Le Prix de la meilleure interprétation des œuvres d'Olivier Messiaen a été partagé entre et . Le Prix de la meilleure interprétation des œuvres nouvelles a également été partagé, mais entre Orlando Bass et . Enfin, a conquis l'assistance, recevant le Prix du Public des mains d'Arnaud Meunier, directeur de la MC2.

Deux créations pour une finale

La diversité des candidats, qui se sont distingués par leurs fortes personnalités, lisible autant dans leurs jeux que dans les choix de leurs programmes, a été une caractéristique capitale de ce concours. Autre spécificité notable, la présence pertinente, parmi les finalistes, d'interprètes également compositeur et compositrice, à l'instar de Messiaen qui cumulait ces deux qualités. Il faut retenir l'exigence de ce concours quant au niveau des candidats, considérant la difficulté des œuvres nouvelles imposées en finale, dont les partitions n'ont été données qu'un mois avant le début des épreuves publiques : deux pièces que l'on pourrait qualifier de complémentaires, d'écritures éloignées, faisant appel à des modes de jeux très différents. Synérèse de Michaël Levinas est une œuvre émouvante et sombre, dont l'atmosphère très spéciale laisse affleurer, par moments dans l'écartèlement des registres, des motifs évasifs, ployants, qui fondent presque sitôt leur apparition, séparés souvent de grandes respirations. Ici il ne s'agit pas de fusion de voyelles mais de sons, de notes contigües entre elles, lâchées à regret et se coulant l'une dans l'autre, les « sons des larmes » nous dit le compositeur. Une très belle œuvre ! Enchaîner, de , est une pièce captivante, aux contours nets, d'une architecture articulant une succession de séquences bien distinctes. Elle commence dans le registre grave par un long trait joué de la main gauche (ou en alternés), dans un mouvement rapide tournoyant sur lui-même, produisant un effet cinétique. Il s'en dégage une énergie toute particulière. La pièce trouve sa lumière dans l'expansion de lignes distendues de timbres atteignant l'aigu du clavier avant de redescendre, et se termine par la lente alternance de deux notes conjointes en résonance jusqu'à extinction. 

Orlando Bass (pianiste et claveciniste diplômé du CNSM de Paris, actuellement en cursus à la Hochschule Hanns Eisler de Berlin)  a donné l'interprétation la plus passionnante de ces deux pièces, livrant d'elles une lecture personnelle et aboutie, aux timbres recherchés, structurée par une accentuation pensée et sentie, usant de techniques d'exécution très finement mises au point et adaptées à la spécificité de chacune d'elles. Il s'est aussi distingué dans trois Préludes de Messiaen : Instants défunts au chant pathétique mis en valeur par une juste coloration des basses jouées sans lourdeur, Un reflet dans le vent au dessin net sous une pédale économe et La Colombe empreinte de mystère. Étude sur π, une riche pièce de sa composition alliant rythmes inégaux, subtil contrepoint et mouvements contraires d'une belle énergie, a captivé. Il fallait une audace certaine pour présenter enfin les Variations sur un thème de Schubert et surtout le très particulier Guero d' (composé principalement de frottements des doigts et des ongles sur l'ivoire des touches ). Orlando Bass a fait montre d'une autorité naturelle, tant dans son attitude de concertiste, dans ses choix, que dans son jeu très sûr. Une qualité saluée par le jury.

(actuellement étudiante à la Hochschule de Francfort) a commencé son récital par un Klavierstück V de Karlheinz Stockhausen bien construit, offrant une diversité d'attaques et de lâchers de notes entre matité et résonance, mais on a regretté la nervosité excessive de son jeu. Dans une couleur sombre particulièrement accentuée, elle a donné à Synérèse une belle profondeur de champ. Elle a ensuite opté pour le jeu de l'alternance dans Enchaîner, prenant à deux mains le début, mais son interprétation s'est avérée moins structurée, moins colorée et plus uniforme que celle de son prédécesseur, quoiqu'elle ait admirablement conduit le long diminuendo final. De ses Préludes de Messiaen, on a apprécié le bel équilibre d'Instants défunts, l'agogique et les dynamiques des Sons Impalpables du rêve qui aurait mérité davantage de coloration. Le nombre léger nous est apparu plus intellectuel que mystérieux. Elle a enfin présenté Sillage de lignes, une pièce de son cru inspirée et d'une belle architecture, enchaînant volubilité, épisodes méditatifs et exacerbation de notes répétées jusqu'à embrasement puis repli final. 

Alexa Stier (actuellement doctorante à la Yale School of Music) a d'emblée conquis par la souplesse, les couleurs et l'expressivité de son jeu, Le nombre léger de Messiaen offrant de beaux plans sonores, les voix en imitation bien timbrées, Plainte Calme très musical, pris pas trop lent dans des teintes debussystes, et Un Reflet dans le vent très poétique, quoique manquant un peu de mordant et de contrastes. Elle a donné une interprétation d'Enchaîner remarquable par sa fluidité et son approche claire tant au niveau du rythme d'une grande précision qu'à celui de la netteté du rendu sonore. Dans le soin porté aux timbres, la plénitude du son, sa version de Synérèse nous est apparue sous un jour différent et non moins intéressant. Elle a terminé son récital avec la Sonate pour piano de la compositrice polonaise , longue œuvre virtuose et passionnée, au premier mouvement presque lisztien, suivi d'un passage lent, d'un contrepoint fugué sur un motif de trois notes débouchant sur une mélodie simple et chantante, puis un finale « scherzando » rapide et très dansant. 

La fréquentation de ce concours renaissant a atteint un niveau remarquablement élevé, 2250 personnes ayant suivi cette édition. De quoi nourrir un optimisme de rigueur pour son avenir, alors qu'il bénéficie notamment du soutien essentiel de Grenoble-Alpes Métropole et du Département de l'Isère. Le succès de sa spécificité a de quoi réjouir également : la musique contemporaine (entendue depuis la deuxième moitié du siècle dernier) demeure attrayante et bien vivante ! Cette édition a été couronnée le lendemain par un superbe concert à deux pianos donné par Jean-François Heisser et Marie-Josèphe Jude, qui a rempli l'auditorium de la MC2.  

Crédits photographiques © AIDA (photo de scène), et Jany Campello/ResMusica (photo des lauréats)

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