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Les Maîtres de Bayreuth : du rififi sur la Colline verte

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Les Maîtres de Bayreuth. Charlie Roquin. Le cherche-midi. 240 pages. 20 €. Août 2023

 

Les Maîtres de Bayreuth, polar musical en quatre actes, invite ses personnages à se mettre à table. L'occasion de convoquer aussi bien la « wagnérolâtrie » que l'ensemble des questions secouant l'actuel mandat de Katharina Wagner à la direction du festival le plus mythique du monde.

Le Maître de Bayreuth, tout le monde voit. Mais qui sont les Maîtres de Bayreuth ? On se pose encore la question en refermant le troisième roman de Charlie Roquin.

Sa directrice ? L'action se situe après l'ère Katharina, puisque c'est Petula Stark, qui accueille à « Wagnerstadt » l'influent critique Moshe Griebnich. Les deux complices se parlent par vers wagnériens interposés : « Die Frist ist um », « Das ist kein Mann », « Et kehret nicht zurück » … Après les remous provoqués par son « Tannhaüser musulman » et son « Lohengrin martien », contestée de toutes parts, Petula attend beaucoup de la nouvelle Tétralogie qu'elle a commandité au Français Louis Forette. A l'instar de Petula qui, patronyme mis à part, a beaucoup en commun avec Katharina, notamment son insatiable curiosité pour la mise en scène, les personnages de Charlie Roquin avancent masqués, ce qui n'empêche pas l'auteur de délaisser les pseudos quand il s'agit, entre autres, de chanter les louanges des chanteurs (Schager, Stemme, Vogt, Zeppenfeld, Gould, ils sont tous là), les chefs (Knappertsbusch, Karajan, Boulez, Thieleman), les fantômes (Richard, Cosima, Wieland), les monstres (Winifred, certain « enflure à la moustache carrée »…), de comparer ce nouveau Ring à celui du Centenaire, lequel est toujours, dans cet ouvrage de plus de deux cents pages, mis en scène par .

Les metteurs en scène ? Le terme de « dictature », répété à l'envi par ceux qui voudraient voir l'opéra confit dans le formol, dénonce avec une totale ingratitude le travail considérable que, depuis un un demi-siècle, ces derniers ont déployé pour faire de l'opéra un art d'aujourd'hui. Annoncé comme une Tétralogie verte (dans quel autre opéra la Nature est-elle aussi omniprésente?) faisant feu de tout le bois de son époque, la Tétralogie de Forette promet de cliver autant que celle de Franz Castorf (cité), que celle de Valentin Schwarz (snobé). Un Ring du XXIᵉ siècle avec son Siegmund en punk à chien, son Siegfried en jeune chien fou pansexuel, sa Brünnhilde en Femen, ses Nornes addicts des casques virtuels, et même sa Gutrune transsexuelle. Une mise en scène plausible qui séduit le lecteur, et, au grand soulagement de Petula, Mosche Griebnich.

Les critiques ? Moshe Griebnich fait effectivement la pluie et le beau temps dans le landerneau lyrique lorsqu'il s'agit de d'adouber ou de vouer aux gémonies telle nouvelle production. Dans le Bayreuth de Roquin, il a son rond de serviette aux Lapins franconiens, la brasserie tenue par un certain Shopenhauer, dans laquelle, dès après la représentation du jour, ses avis sont attendus comme des oracles. Jusqu'au jour où retentit la voix d'un jeune homme, prénommé lui aussi Moshe, double juvénile du héros, et bien décidé à croiser le fer avec ce dernier. La joute musico-littéraire se double alors d'une joute familiale, autour d'un secret de famille. Les Maîtres de Bayreuth plonge alors son lecteur dans les affres de la dualité des êtres, thématique tout sauf étrangère la personnalité du compositeur qui, depuis bientôt 150 ans, réunit la planète entière dans une petite ville allemande.

Les Maîtres de Bayreuth est un roman qui commence très mal. Son héros, chose étrange, ne s'intéresse qu'au Ring, selon lui le seul opéra de Wagner possédant la caméléonesque faculté de pouvoir servir de miroir à l'époque qui le monte. Encore plus étrange, il a planifié un voyage de quatre jours pour y assister, ce qui est, tous les wagnériens qui ont fait le voyage le savent, impossible : il en faut six, repos du guerrier Siegfried oblige. Ce commode petit plaisir de Roquin de pouvoir calquer sa Tétralogie littéraire sur celle de Wagner et surtout ce pas qui fourche dès la première page de l'ouvrage, ne sont pas sans activer durablement la méfiance du lecteur wagnérien.

Claudiquant par endroit (quid du fils handicapé de Petula Stark ?) mais capable de frapper juste (« Être wagnérien c'est savoir se remettre en question » » « wagnérien et … contemporain … ne seraient-ils pas des synonymes ? »), de réhabiliter , Les Maîtres de Bayreuth est un roman à dévorer les oreilles comblées par les QR code tétralogiques offerts en appendice, comme on aura dévoré en 1980, Salue pour moi le monde, le pavé de Pierre-Jean Rémy, entièrement hanté par le Ring de Chéreau. Animé lui aussi d'une passion sincère, l'ouvrage donne au final le sentiment insaisissable d'être lui-même inféodé à la dualité qui motive ses personnages. L'intrigante dramaturgie des Maîtres de Bayreuth aurait enfin mérité le scalpel d'un Stefan Zweig, d'autant que la dernière phrase, fausse pirouette ou vrai cliffhanger, incite au tomber, sinon à la confusion, des masques.

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