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Luxembourg. Grand Théâtre. 26-X-2023. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : La Clemenza di Tito, opéra seria en deux actes sur un livret de Pietro Metastasio adapté par Caterino Mazzolà. Mise en scène : Milo Rau. Scénographie : Anton Lukas. Costumes : Ottavia Castellotti. Lumières : Jürgen Kolb. Vidéo : Moritz von Dungern. Vidéaste : Laurent Fontaine-Czaczkes. Avec Jeremy Ovenden (ténor), Tito Vespasiano ; Anna Malesza-Kutny (soprano), Vitellia ; Anna Goryachova (mezzo-soprano), Sesto ; Maria Warenberg (mezzo-soprano), Annio ; Sarah Yang (soprano), Servilia (soprano) ; Eugene Richards III (basse), Publio. Chœur Opera Ballet Vlaanderen (chef de chœur : Jef Smiths). Luxembourg Philharmonic, direction : Fabio Biondi
Avec un spectacle à la fois passionnant et déroutant, Milo Rau impose sa lecture du rôle de l'art et de la politique dans notre société. En très grande partie renouvelé depuis la création genevoise de 2021, le plateau de cette mise en scène parvient à rester au service de la musique de Mozart.
Le spectacle proposé au Grand Théâtre de Luxembourg est la reprise de la mise en scène du réalisateur activiste Milo Rau, créée à Genève en février 2021. Nous y étions. Le concept sous-jacent au spectacle est clairement exposé dans l'indispensable note d'intention mise à la disposition du public. L'opéra de Mozart se situe dans un contexte où une élite politique et artistique peut éviter une révolution et rester au pouvoir en s'appropriant par le biais de l'art toute pensée révolutionnaire. Selon Milo Rau, un art qui esthétise l'injustice du monde rend impossible une véritable révolution, comme le signalent les trois mots régulièrement projetés en toile de fond tout au long du spectacle : « Kunst ist Macht » (L'art est un pouvoir). La soi-disant clémence de l'empereur romain Titus est donc revisitée par le prisme de cette équation, par laquelle on comprend que l'art est un pouvoir au service de ceux qui le détiennent et qui savent s'en servir. On croyait que La clemenzo di Tito était l'histoire sentimentale de six aristocrates ? Il n'en est rien. Milo Rau en fait aussi le récit de l'oppression de tout un peuple manipulé par des puissants imbus de leur image et aveugles devant les souffrances de ceux qui les ont mis en place. Filmé et photographié en direct, Titus promène son indifférence dans les ruines et campements qu'il visite tout au long du spectacle. Ce parti pris nous vaut des images d'une rare violence, et jamais le final de l'acte 1 aura été montré avec autant de réalisme. La pendaison mise en scène au 2, annoncée par le tableau montré au début de l'acte 1, n'en est que plus effrayante encore. L'esthétisation de cette violence est marquée par la réalisation de deux tableaux vivants, Le Radeau de la Méduse de Géricault, et La Liberté guidant le peuple de Delacroix. Les figurants, devenus acteurs du discours du metteur en scène, se retrouvent ainsi les véritables héros de cette mise en scène. Le spectacle, qui commence en réalité par la fin – l'audition de l'avant-dernier chœur « Che del ciel, che degli dei » et d'un récitatif inédit –, livre la surprise du discours d'un certain Éric Lambrechts, lequel se présente comme le dernier habitant d'Anvers ayant eu le rare privilège de figurer dans deux mises en scène de La clemenza di Tito. Le début du 2 est marqué par la prise de parole de Dina Al Jamal, jeune Syrienne qui nous raconte en arabe le traumatisme qu'elle a vécu lors de l'assassinat en pleine ville de sa meilleure amie. Les histoires de vie des figurants, toutes plus bouleversantes les unes que les autres, sont explicitées en lieu et place des sous-titres des airs des principaux personnages. Quand il ne s'agit pas des figurants, c'est la biographie des chanteurs qui est détaillée lors de ces moments où le discours constitué de l'opéra se double de celui plaqué par le metteur en scène. Jamais le décalage entre ce qu'on imagine avoir été les intentions des auteurs et le message souhaité par le metteur en scène n'aura été aussi manifeste. Assumant pleinement la dimension « méta » de sa proposition, ce dernier se livre à une véritable réflexion sur la finalité non seulement de l'art en général, mais sur celle de cette forme, poussiéreuse ou non selon les perspectives des uns et des autres, qu'est le genre opératique en particulier. Discours dérangeant et déroutant, on en conviendra, mais infiniment stimulant et intrigant. Un spectacle qu'on aurait envie de revoir, tant il brouille nos codes de lecture et remet en question nos outils de perception.
On aura compris que l'intégrité et l'authenticité de l'œuvre de Mozart auront été quelque peu bousculées. La musique de Mozart n'en est pas pour autant maltraitée, servie par un plateau très homogène où aucun chanteur ne tire la couverture à lui. Anna Goryachova, toujours aussi élégante en travesti et en très bonne forme vocale, est ainsi un très beau Sesto, auquel n'a rien à envier l'Annio de Maria Warenberg, finaliste du concours Reine Elisabeth 2023. De nature plus mozartien, le soprano de Sarah Yang l'emporte sur l'instrument d'Anna Malesza-Kutny, quelque peu malmené par la tessiture crucifiante du rôle de Vitellia. Eugene Richards III livre un Publio de grande tenue tandis que Jeremy Ovenden, investi à fond dans le concept de la mise en scène, propose une ligne de chant parfois brouillonne qui lui vaut les huées d'une partie du public. Grand triomphateur de la soirée, Fabio Bondi tire des instrumentistes du Luxembourg Philharmonic des accents de la plus grande authenticité. Quoiqu'on puisse en penser, Mozart n'aura pas été trahi ce soir.
Crédit photographique : © Carole Parodi
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Luxembourg. Grand Théâtre. 26-X-2023. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : La Clemenza di Tito, opéra seria en deux actes sur un livret de Pietro Metastasio adapté par Caterino Mazzolà. Mise en scène : Milo Rau. Scénographie : Anton Lukas. Costumes : Ottavia Castellotti. Lumières : Jürgen Kolb. Vidéo : Moritz von Dungern. Vidéaste : Laurent Fontaine-Czaczkes. Avec Jeremy Ovenden (ténor), Tito Vespasiano ; Anna Malesza-Kutny (soprano), Vitellia ; Anna Goryachova (mezzo-soprano), Sesto ; Maria Warenberg (mezzo-soprano), Annio ; Sarah Yang (soprano), Servilia (soprano) ; Eugene Richards III (basse), Publio. Chœur Opera Ballet Vlaanderen (chef de chœur : Jef Smiths). Luxembourg Philharmonic, direction : Fabio Biondi