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La fine fleur du piano à l’Orangerie des serres d’Auteuil

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Paris. Orangerie des serres d’Auteuil. 21-X-2023. Franz Liszt (1811-1886) : Années de Pèlerinage, 1ère année : La Suisse (extraits) ; Méphisto-Valse n°1. Thomas Adès (né en 1971) : Traced Overhead op.15. Tanguy de Williencourt, piano. Félix Mendelssohn (1809-1847): La première nuit de Walpurgis (transcription de Florian Noack). Christian Lauba (né en 1952) : Steamboat. Franz Liszt (1811-1886) : Études d’exécution transcendante n°5 « Harmonies du soir », 10 « Allegro agitato » et 12 « Chasse-neige » ; Serguei Liapunov (1859-1924) : Études d’exécution transcendante op.11 n°1 « Berceuse », et n°11 « Ronde des Sylphes ». Florian Noack, piano.
22-X-2023 . Claude Debussy (1862-1918) : Six épigraphes antiques. Florentine Mulsant (née en 1962) : Ivoire. Maurice Ravel (1875-1937) : Rhapsodie espagnole. Emmanuel Chabrier (1841-1894) : España (transcription d’André Messager (1853-1929). Hervé Billaut et Guillaume Coppola, piano à quatre mains.

De retour depuis l'an dernier aux serres d'Auteuil, le festival d'Anne-Marie Réby, sa directrice artistique, reste fidèle à ses principes : mettre en valeur des pianistes, dont la plupart appartiennent à la génération montante, dans des programmes incluant la musique de notre temps. , , et le duo - étaient à l'affiche.  

En revenant à son lieu d'origine, le festival a aussi délaissé septembre, son atmosphère de fin d'été, son ambiance de rentrée, pour la tiédeur automnale d'octobre, dans une formule plus ramassée, abandonnant l'étalement de sa programmation sur trois week-ends consécutifs pour trois jours d'immersion pianistique. L'orangerie des jardins d'Auteuil, voisine de leurs fameuses serres, est un beau bâtiment 1900, aux proportions et aux baies généreuses, qui conjugue l'orangé et le bistre de la maçonnerie avec le vert turquoise de ses boiseries à petits bois. Elle est surtout dotée d'un volume où le son du piano s'épanouit idéalement, sans sécheresse, et sans être noyé par une réverbération excessive. Une acoustique qui préserve la clarté sonore, et flatte la qualité des timbres. On se réjouit donc de ce rapatriement. 

Le samedi après-midi, trois concerts se succèdent. Nous n'entendons hélas pas le premier, celui du duo Játékok, mais les deux suivants, et pour commencer, le récital de . Dans son programme original et très bien agencé, les anges et le diable côtoient la première Année de pèlerinage, la Suisse de , dont il joue les six premières pièces. Le jeu du pianiste, ample, orchestral se révèle intensément expressif et d'une grande élévation dès les premières mesures de la Chapelle de Guillaume Tell, empreintes de solennité et de noblesse. Les lignes souples d'Au lac de Wallenstadt, la lumière de la Pastorale, la fluidité d'Au bord d'une source, séduisent par la fine et joyeuse poésie de leurs évocations. Orage impressionne par sa puissante rumeur, sa violence dominée sans dureté, ses graves compacts et les éclairs de ses aigus, et la Vallée d'Obermann est un modèle d'architecture, où les sonorités pleines, les silences habités, les phrasés soignés sont au service d'une pensée musicale qui emprunte de toute évidence ses accents  à l'art lyrique. Quelques années comme chef de chant à l'Opéra de Paris y sont, on le suppose, pour quelque chose. Le pianiste fait virevolter les anges dans Traced Overhead op.15 de , pièce en trois mouvements enchaînés, inspirée de peintures sacrées. Sonorités or et argent, halos sonores, frémissants tremolos, combinaison de basses d'une douceur de velours et d'aigus extrêmes, riffs furtifs et lumineux, puis le temps qui s'étire, s'éternise jusqu'à une coda quasi aquatique, voici les ingrédients mis en œuvre dans cette pièce dont le musicien nous livre le joyeux mystère. Mais Satan attend au tournant : et le pianiste de nous projeter dans une Méphisto-Valse n°1 de Liszt d'une séduction et d'un lyrisme étourdissants ! Deux bis, Ständchen de Schubert transcrit par Liszt et Traümerei des Kinderszenen op.15 de Schumann apportent en toute simplicité une touche finale de tendresse. 

Autre personnalité trentenaire, prend place devant le piano tandis que derrière les voûtes en berceaux des baies le jour cède à la nuit. Pour commencer le transcripteur qu'il est aussi joue donc La Première Nuit de Walpurgis de Félix Mendelssohn, enchaînant les thèmes extraits de cette cantate profane sur des textes de Goethe, enrobés d'une avantageuse écriture pianistique dans l'esprit de l'œuvre originale. Le lyrisme de la pièce et son souffle épique ne perdent rien, bien au contraire, dans cette texture méticuleusement travaillée. Le compositeur est venu à nouveau entendre le dédicataire de son œuvre Steamboat, qu'il créa aux Semaines Musicales de Quimper en 2019. Pièce composée en hommage à Ava Gardner, dans le film Show Boat de George Sidney, et à la musique de Jerome Kern, ses « harmonies concrètes et abstraites » (sic) s'inspirent de celles du blues. Extrêmement virtuose par les remous de son flot ininterrompu d'arpèges et de gammes complexes, par sa vélocité foisonnante, la pièce évoque un bateau à vapeur naviguant sur le Mississipi. , tout en prêtant son jeu délié à ce riche tissu sonore, sait en faire émerger les accents rythmiques et mélodiques faisant référence au jazz. Regardant vers le mouvement spectral, cette œuvre inclassable ne perd jamais l'oreille captivée de l'auditeur. Enfin le pianiste brouille les pistes en croisant les Études d'exécution transcendante de et celles de Sergueï Liapunov, ces dernières publiées récemment (Label La Dolce Volta). La Berceuse op.11 n°1 du compositeur russe, tendrement et délicatement chantante, laisse place à une inquiétante et sombre Chasse-Neige (n°12 de Liszt). Puis on croit entendre les Feux-Follets (n°5 – Liszt), mais il s'agit en réalité de la Ronde des Sylphes op.11 n°11 de Liapunov ! Le pianiste revient ensuite à Liszt avec la ferveur et les chaudes et délicates couleurs d'Harmonies du soir, usant d'une palette de nuances d'une inimaginable largeur et termine avec la redoutable et houleuse Étude n°10 Allegro agitato molto, maîtrisée de bout en bout. Florian Noack n'a pas dit son dernier mot de transcripteur, et nous surprend avec en bis deux Danseryes de Tielman Susato, compositeur du XVIᵉ siècle, agrémentées de subtiles broderies, avant d'offrir un fabuleux tube : la scène finale du Lac des Cygnes de Tchaïkovski, nous mettant l'eau à la bouche avant la sortie de son prochain disque de transcriptions…

Le lendemain, et joignent leurs quatre mains dans un récital de musique française. Il n'est pas si fréquent d'entendre les Six Épigraphes antiques de , et pourtant comme cette musique est belle, dans son mystère et son exotisme ! Quel bel équilibre et quel raffinement dans leur jeu ! Un instant suspendu de rêve où chaque note a son poids, sa couleur, sa vibration, sa poésie. C'est pour leur duo que a composé Ivoire, en 2018. Une pièce inspirée de la matière dont sont recouvertes les touches des pianos anciens, interdite d'utilisation aujourd'hui. La compositrice elle-même pianiste présente son œuvre en trois mouvements. Le premier, de nature harmonique, modal et nocturne, est articulé suivant deux thèmes empreints de mystère. Le deuxième en forme de thème et variations évoque les flûtes. Le dernier commence par une ultime variation du précédent et se poursuit par une sorte de bacchanale énergique et lumineuse. Les deux interprètes donnent à cette œuvre sa dimension orchestrale, tant dans la richesse et la profusion des accords que dans la recherche des timbres et des couleurs, des vents en particulier. Très expressif, le second mouvement s'étire dans le temps pour laisser place à une vive et bondissante danse qui conclut l'œuvre joyeusement. La patte reconnaissable de la compositrice, dans notamment la constitution et l'agencement des accords, l'invention de timbres par une écriture verticale raffinée, confère à cette œuvre une clarté de lecture « à la française » très appréciée du public qui la découvre. Le duo poursuit avec une envoûtante Rhapsodie espagnole de et une festive España d' (dans la transcription d'André Messager), interprétées magistralement. On ne quitte plus l'Espagne : dans l'orangerie baignée de soleil, le concert se prolonge avec en bis, la première Danse de la Vida Breve de ,  mélodie toute de gaité et d'allant.

Crédit photographique © Jany Campello/ResMusica

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Paris. Orangerie des serres d’Auteuil. 21-X-2023. Franz Liszt (1811-1886) : Années de Pèlerinage, 1ère année : La Suisse (extraits) ; Méphisto-Valse n°1. Thomas Adès (né en 1971) : Traced Overhead op.15. Tanguy de Williencourt, piano. Félix Mendelssohn (1809-1847): La première nuit de Walpurgis (transcription de Florian Noack). Christian Lauba (né en 1952) : Steamboat. Franz Liszt (1811-1886) : Études d’exécution transcendante n°5 « Harmonies du soir », 10 « Allegro agitato » et 12 « Chasse-neige » ; Serguei Liapunov (1859-1924) : Études d’exécution transcendante op.11 n°1 « Berceuse », et n°11 « Ronde des Sylphes ». Florian Noack, piano.
22-X-2023 . Claude Debussy (1862-1918) : Six épigraphes antiques. Florentine Mulsant (née en 1962) : Ivoire. Maurice Ravel (1875-1937) : Rhapsodie espagnole. Emmanuel Chabrier (1841-1894) : España (transcription d’André Messager (1853-1929). Hervé Billaut et Guillaume Coppola, piano à quatre mains.

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