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Berne. Bühnen Bern. 22-X-2023. Giacomo Puccini (1858-1924) : Tosca, opéra en trois actes sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après la pièce éponyme de Victorien Sardou. Mise en scène et décors : Raimund Orfeo Voigt. Costumes : Klaus Bruns. Dramaturgie : Rainer Karlitschek, Dominik Kilchmann. Lumières : Bernhard Bieri. Avec Elizabeth Caballero, Floria Tosca ; Mikhailo Malafii, Mario Cavaradossi ; Seth Carico, Scarpia ; Jonathan McGovern, Cesare Angelotti ; Christian Valle, Le sacristain ; Michał Prószyński, Spoletta ; Andres Feliu, Sciarrone ; Lyad Dwaier, Un geôlier ; Maël Stähler, Un jeune pâtre. Chœur du Bühnen Bern (chef de choeur : Zsolt Czetner), Chœur d’Enfants du Bühnen Bern (chef de chœur : Amélia Nordmann). Berner Symphonieorchester, Direction musicale : Nicholas Carter.
Cette Tosca de Giacomo Puccini en ouverture de saison du Bühnen Bern signe un retour de l'opéra (presque) traditionnel révélant au passage la voix merveilleusement éclatante, même si ici inadéquatement employée, de la soprano Elizabeth Caballero.
En octobre 2010, ce même théâtre bernois mettait en scène Tosca. Que de changements depuis ces années. Quand bien même le livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica et surtout, la musique de Giacomo Puccini sont restés immuables, la manière de raconter cette histoire n'est de loin plus la même. Sous prétexte de modernité, les metteurs en scène d'aujourd'hui se sentent dans l'obligation de nous conter autre chose que ce qui est traditionnellement raconté dans l'intrigue. Parce qu'enfin, quand bien même on peut s'éloigner du contexte historique de Tosca qui sous-tend la victoire de Napoléon sur les armées autrichiennes à Marengo le 14 juin 1800, le caractère profond des personnages de cet opéra reste ancré dans l'esprit même du livret et surtout de la musique de Giacomo Puccini.
Après de nombreuses années comme costumier et/ou décorateur auprès de différents metteurs en scène, Raimund Orfeo Voigt réalise ici sa première mise en scène personnelle. En imaginant ses scènes à l'image d'un film noir des années 50, ses décors se trouvent souvent en délicatesse avec ce qu'il veut nous faire partager. L'ouverture scénique réduite du théâtre bernois, comme la vision d'un écran de cinéma, se prête difficilement aux grandes scènes du théâtre lyrique vériste. Que ce soit dans l'église Sant'Andrea della Valle où Mario Cavaradossi peint le portrait de la Madone, ou dans le bureau du puissant Scarpia ou encore sur la plateforme du château de Sant'Angelo où l'amant de Tosca doit être fusillé, à réduire l'église en un mur blanc percé d'une ouverture en ogive sur deux marches d'escalier fait apparaître célèbre scène du Te Deum comme un amas de personnages coincés les uns contre les autres occultant le grandiose de cette scène. Le bureau de Scarpia limité à une table quelconque et une chaise ordinaire laisse à penser qu'on traite avec un administrateur de propriété par étage plutôt qu'à un chef de la police romaine. Et le chevalier Cavaradossi menotté à la rambarde d'un escalier avant son exécution le projette dans le sordide loin de la poésie morbide de la prison dans laquelle il attend sa mort. A noter cependant, au deuxième acte, l'excellente idée de dispenser le chœur et Tosca dans le foyer du théâtre de Berne (et non comme souvent depuis l'arrière scène) afin de donner, au travers d'une porte de la galerie ouverte à cet effet, l'illusion d'entendre la prestation théâtrale de Tosca depuis le bureau de Scarpia. Reste que le spectacle proposé est tout à fait « regardable » malgré qu'à de fréquentes occasions les protagonistes disparaissent aux regards du public derrière des encoignures de décors. Une conception cinématographique de mise en scène malheureusement mal appliquées aux critères de ce théâtre vivant.
Ainsi, avec ces univers restreints, l'expression vocale se projette au centre de l'intérêt. D'emblée, on est sous le charme de la soprano américano-cubaine Elizabeth Caballero (Floria Tosca). Totalement inconnue sous nos latitudes, elle surprend par l'aisance scénique qu'elle démontre tout au long de la soirée. Se dépensant sans compter, elle offre un personnage inhabituel de la Tosca puccinienne, voir de celle qui servit de modèle à Félicien Sardou : Sarah Bernhardt. Ici, cette Tosca virevoltante est jeune, enjouée, à l'image de la voix de la soprano, une voix lyrique. Le rôle, essentiellement tragique, requiert cependant une voix de soprano dramatique. Si Elizabeth Caballero possède une technique vocale sans faille, un timbre de voix d'un charme inouï, une puissance (quand bien même pas débordante) suffisante, un vibrato parfaitement maîtrisé, une diction impeccable, des graves, un médium et des aigus parfaitement placés, elle n'a pas la couleur d'une soprano dramatique. Mais ne gâchons pas notre plaisir. Avec cette prise de rôle, elle habite la scène bernoise d'un charme vocal comme il nous a été rarement le plaisir d'entendre ici et son « Vissi d'arte, vissi d'amore » est un grand moment de bonheur. Déjà Liù, Mimi, Musetta, Susanna, Micaela dans sa carrière, elle a la voix d'une Manon Lescaut et de toutes les autres héroïnes lyriques de l'opéra. Dès lors, pourquoi se risquer dans des rôles aussi lourds que Tosca. Reste que, même ici, le simple charme de sa voix mérite le détour bernois.
A ses côtés, le ténor Mykhailo Malafii (Mario Cavaradossi) lui aussi s'attaque au rôle emblématique du chevalier Cavaradossi pour la première fois. Très concentré sur la justesse de sa voix, on regrette qu'il n'ait pas la projection vocale « à l'italienne » que demande cette musique. L'instrument du ténor ukrainien reste cependant solide et avec lui, l'espoir d'un lendemain chantant persiste. Si le baryton-basse Seth Carico (Scarpia) impressionne par sa présence vocale, sa tendance à surjouer son personnage au lieu de le rendre naturellement antipathique (comme n'importe quel autre Scarpia !), fait de lui un personnage bourré de tics, brusque, excessivement nerveux et énervant, rendant alors son discours vocal moins intéressant. Toujours dans la force, manquant de nuances, comme lorsqu'il offre del vin di Spagna à celle qu'il espère. Dommage car l'instrument mérite meilleur traitement. Scarpia est dépeint comme un personnage en proie à des problèmes de sexualité, voir d'impuissance, plus que comme un vil et puissant chef de police abusant de son pouvoir pour s'offrir les grâces de la célèbre actrice, Floria Tosca. Dans ce personnage complexé, névrosé, tel qu'imaginé par Raimund Orfeo Voigt, la phrase prononcée par Floria Tosca après qu'elle a assassiné Scarpia : Davanti a lui, tremava tutta Roma ! (Devant lui, tout Rome tremblait !) ne fait plus sens. Alors, que ce réquisitoire lancé par Tosca sur le cadavre de Scarpia n'est pas chanté mais parlé, sans aucun accompagnement musical, pour en appuyer le caractère fondamental et humain.
Dans les rôles secondaires, les deux sbires de Scarpia, Michał Prószyński (Spoletta) et Andres Feliu (Sciarrone) sont pour le moins plus que discrets. Au 6ème rang du parterre, on ne les entend plus. A contrario, pour les quelques phrases qu'ils ont à chanter, bien préparés les basses David McGovern (Angelotti) et Lyad Dwaier (Un geôlier) font leur effet. Quant à Christian Valle, il campe un Sacristain sans grand intérêt. Remarquable de fraîcheur, à noter le chant bien posé de Maël Stähler, Le jeune pâtre.
Dans la fosse, la baguette très musicale du jeune chef australien Nicholas Carter fait sonner le Berner Simphonieorchester avec beaucoup de couleurs, tirant des flamboyances cuivrées et terrifiantes autour du Te Deum, alors que des accents d'une douceur infinie accompagnent le Vissi d'arte de Tosca.
Le public ravi fait un chaleureux accueil à cette production qui, à notre avis , en dépit des quelques réserves citées plus haut, est la meilleure produite sur cette scène depuis pas mal de temps.
Crédit photographique : Bühnen Bern © Tanja Dorendorf
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Berne. Bühnen Bern. 22-X-2023. Giacomo Puccini (1858-1924) : Tosca, opéra en trois actes sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après la pièce éponyme de Victorien Sardou. Mise en scène et décors : Raimund Orfeo Voigt. Costumes : Klaus Bruns. Dramaturgie : Rainer Karlitschek, Dominik Kilchmann. Lumières : Bernhard Bieri. Avec Elizabeth Caballero, Floria Tosca ; Mikhailo Malafii, Mario Cavaradossi ; Seth Carico, Scarpia ; Jonathan McGovern, Cesare Angelotti ; Christian Valle, Le sacristain ; Michał Prószyński, Spoletta ; Andres Feliu, Sciarrone ; Lyad Dwaier, Un geôlier ; Maël Stähler, Un jeune pâtre. Chœur du Bühnen Bern (chef de choeur : Zsolt Czetner), Chœur d’Enfants du Bühnen Bern (chef de chœur : Amélia Nordmann). Berner Symphonieorchester, Direction musicale : Nicholas Carter.