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La Belle Meunière rêvée par Samuel Hasselhorn et Ammiel Bushakevitz

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Paris. Salle Cortot. 14-X-2023. Franz Schubert (1797-1828) : Die Schöne Müllerin D.795. sur des poèmes de Wilhelm Müller. Samuel Hasselhorn, baryton. Ammiel Bushakevitz, piano.

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Tandis que vient de paraître leur disque chez Harmonia Mundi, le baryton et son partenaire pianiste ont donné, dans l'écrin de la salle Cortot, une captivante et bouleversante Belle Meunière de Schubert.

À l'horizon des deux musiciens, il y a l'année 2028, celle du bicentenaire de la mort de qu'ils ont entrepris de baliser d'un enregistrement de lieder chaque année des cinq à venir. Lors de la période ultime de sa courte vie, le compositeur a produit la plus grande partie de sa somme de chefs-d'œuvre mélodiques – plus de six-cents lieder – dont les deux célèbres cycles Die Schöne Müllerin (La Belle Meunière) et Winterreise (Voyage d'hiver). Composé il y a précisément deux-cents ans, Die Schöne Müllerin est souvent considéré comme de moindre envergure, de moindre portée que le Winterreise que l'on attend au disque pour 2027 (entendu par le même interprète l'an dernier au Festival Berlioz), le projet de et d' consistant en effet à retracer les cinq dernières années de Schubert par le fil des lieder, 200 ans après leur composition. Existe-t-il plus bel hommage que celui-ci, qui nous fait entrer dans la bouleversante intimité du compositeur se sachant alors condamné ? C'est dès lors le sentiment que nous ressentons à l'écoute de cette Belle Meunière, hissée ici, comme si elle était son double, sa prémonition, au niveau du Voyage d'hiver.

Son histoire écrite par le poète Wilhelm Müller – auteur également du texte du Winterreise – paraît simplette prise au premier degré : une histoire d'amour contrarié des plus banales, mais aux conséquences tragiques. Ce n'est pas cela que le baryton et le pianiste nous donnent à entendre : eux vont chercher non pas dans les mots souvent naïfs du texte, mais dans les plis de la musique mise sur ces mots ce qu'elle recèle en profondeur : il est alors question, comme dans le Winterreise, de solitude, d'exclusion, de désespoir, de résignation. Dans l'exaltation, la vigueur des deux premiers lieder, Das Wandern et Wohin, on perçoit déjà l'errance. Hasselhorn trouve le ton juste à chaque strophe, à chaque mot souligné ici et là avec tact, sans jamais d'appui outrancier. Point de longueurs ni d'anecdotes, le chanteur est maître de la nuance, de l'inflexion sensible et du sens qu'il donne d'un bout à l'autre aux vingt lieder, et suscite l'émotion au détour d'un vers, d'une respiration, d'une syllabe… Avec le chant, avec les couleurs de sa voix au timbre somptueux, il sait dire l'espérance autant que la douleur, la tendresse autant que la violence, l'amertume et le désir de mort contenus en filigrane ou avec évidence dans ces pages. Sa tessiture de baryton sied on ne peut mieux au cycle, tant il sait y contenir l'étendue du registre sollicité par la partition, sans jamais passer en voix de tête dans les aigus. Et quelle façon de moduler la phrase musicale, de lui donner son relief, sa ligne, par ses intensités, la conduite du legato soutenu par un souffle infini lorsqu'elle se fait longue, jusqu'à parfois se suspendre, comme dans Der Neugierige ! Soulignons aussi toutes ces variations de tempi si bien senties par l'un et l'autre des interprètes, ou plutôt l'un avec l'autre, notamment dans Das Wandern. Ils donnent ensemble de cette Belle Meunière une interprétation au sens le plus élevé du terme. 

Et dans ce duo, n'est pas simple accompagnateur : il faut écouter son piano si fin, si attentif, si chantant, si poétique, collant idéalement aux inflexions du chanteur, présent mais sans jamais surcharger l'expression, que ce soit par exemple dans l'admirable Danksagung an den Bach, au tempo si bien posé, ou dans la vaillance et la détermination d'Am Feierabend. Le long Des Baches Wigenlied, dernier lied du cycle, est purement miraculeux tant il berce et nous enveloppe, progressant doucement vers la nuit, l'immobilité, la ténuité du souffle puis du son du piano dans l'aigu, tel celui d'une boîte à musique qui s'arrête, celle qui illustre si judicieusement la pochette du CD.

Sur scène, la belle meunière n'y est pas, mais le wanderer schubertien incarné par la rêve, peut-être même est-elle le fruit d'un délire, et ses regards ombrageux, ou brillants de révolte, ses légers sourires mélancoliques, l'attitude sobre par ailleurs, le rendent poignant de réalité. 

Crédit photographique © Jany Campello/ResMusica

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Paris. Salle Cortot. 14-X-2023. Franz Schubert (1797-1828) : Die Schöne Müllerin D.795. sur des poèmes de Wilhelm Müller. Samuel Hasselhorn, baryton. Ammiel Bushakevitz, piano.

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