Toute la fratrie Tchalik pour Boris Tishchenko

Atypique par sa composition – une fratrie ! – et engagé, le Quatuor Tchalik fait chanter sa double culture française et russe. Après Saint-Saëns, il entreprend de défendre avec chaleur le compositeur Boris Tishchenko.

Remarqué l'an dernier dans un album Saint-Saëns (Clef ResMusica) pour le même label Alkonost, le Quatuor Tchalik entreprend de défendre le massif des quatuors de Boris Tishchenko. Mieczysław Weinberg, l'ami de Chostakovitch, a émergé de l'oubli une dizaine d'années après sa mort intervenue en 1996 grâce aux efforts entrepris à l'Ouest et en Allemagne en particulier, comme le relatait le directeur de l'éditeur PeerMusic Classical. Né à Léningrad en 1939 et mort en 2010 dans la même ville (à laquelle il se considérait consubstantiellement lié en tant que compositeur), Boris Tishchenko suit le même chemin que le compositeur d'origine polonaise, dans la même temporalité. Une nouvelle génération de musiciens français ou établis en France s'intéresse à son imposant corpus, parmi eux Nicolas Stavy (Sonates pour piano 7 et 8, Bis) dès 2015, ou plus récemment des jeunes musiciens russes formés au Conservatoire de Paris (Concerto pour harpe, Naxos), mais avant la guerre en Ukraine.

Des trois opus proposés, le plus tardif et le plus rare, le Quintette op.93 avec piano conclut logiquement le disque par sa concision et sa force expressive, et constitue la pièce à écouter (et réécouter) en premier. Composé en 1985, le Quintette forme une vaste arche d'ampleur symphonique avec un climax échevelé, qui permet aux Tchalik rejoints au piano par Dania Tchalik (de la même fratrie !) de livrer une prestation incisive, tendue, percussive et qui avance avec la force de l'inéluctable, qui ravira les admirateurs de Chostakovitch et saura frapper l'imagination de tout amateur de musique de chambre. Le reste du programme réunit le Quatuor n° 3 op. 90 de haute maturité et lumineux (1984), qui s'inscrit dans le lignage de Haydn, et le n° 1 op. 8 composé à l'âge de 18 ans en 1957 et qui a en commun une relative décontraction. Le label Northern Flowers avait publié dès 2011 une première intégrale des six quatuors, récompensée par une Clef ResMusica, qui avait pour limite de rassembler différentes formations. Dans le quatuor de jeunesse, le Quatuor Taneïev instillait en 1976 une tension typique de l'époque soviétique là où les Tchalik résonnent de manière trop confortable pour capter pleinement l'intention. En revanche dans le n° 5, les Tchalik prennent l'avantage sur une formation qui n'était pas un ensemble constitué, par une chaleur sonore et un engagement sensiblement supérieurs, et aussi par une familiarité plus développée avec tout le répertoire d'Europe centrale (de Haydn à Webern en passant par Bartók et Dvořák).

Cet album, illustré de manière amusante par un décor d'appartement vintage soviétique, a été enregistré en février 2022 à Paris, c'est à dire le mois où Vladimir Poutine déclenchait la guerre en Ukraine. Alors que l'Europe géographique et culturelle de Reykjavik à Moscou est à nouveau tragiquement fracturée par des enjeux politiques et militaires, souhaitons que le Quatuor Tchalik poursuive imperturbablement sa défense de la musique de Tishchenko, car elle fait partie de notre famille.