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À Namur, Julien Libeer dans le premier livre du Clavier bien tempéré, mi-fugue, mi-(dé)raison

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Namur. Concert Hall du Grand Manège. 12-X-2023. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : le Clavier bien tempéré, livre I, vingt-quatre préludes et fugues dans tous les tons majeurs et mineurs BWV 846 à 869. Julien Libeer, piano

Le pianiste proposait au Namur Concert Hall sa vision très personnelle du premier livre du Clavier Bien Tempéré de , mêlant passion et raison, couleur et dessin, sérieux et pure poésie.

« Quand tout tangue, il faut s'accrocher à un bloc de granit ». Telle fut la réflexion de lors de la crise sanitaire, au moment des annulations en cascade. Le pianiste belge envisagea alors plusieurs projets d'envergure « post-Covid » tous axés autour de . Dans la perspective du tricentenaire de la rédaction du premier livre, il jeta son dévolu sur Le Clavier bien tempéré. S'en suivit une intense réflexion autour de cette somme musicale théorique et pédagogique, contrapuntique et poétique, aux arcanes tant numérologiques que théologiques. Depuis maintenant près d'un an, arpente l'Europe musicale pour présenter sa vision des seuls (si l'on ose écrire) deux Livres, même si à vrai dire, c'est plus souvent le premier (le plus facile d'accès) qui est demandé et programmé par les organisateurs, comme ce soir à Namur, dans le cadre de la saison du Concert Hall du Grand manège.

L'acoustique du lieu légèrement modulable, idéale pour la musique ancienne ou baroque, apparaît certes agréable mais très enrobée par une réverbération un peu trop envahissante pour un récital de piano. Julien Libeer doit également composer avec l'instrument, un Chris Maene à cordes parallèles flambant neuf, choisi par référendum par le public l'an dernier pour équiper la nouvelle salle. Il se joue de ces aléas, avec un sens admirable de la couleur, doublé d'un phrasé magnifié par un usage sophistiqué mais idéal de la pédale, indispensable à l'aération du discours dans un tel contexte.

Le soliste a choisi de livrer les vingt-quatre préludes et fugues dans leur ordre d'édition et sans entracte – pour une heure quarante-cinq minutes de pure concentration exigée tant pour l'exécutant que pour son public. D'emblée, un legato finement perlé nimbe le célébrissime ut majeur BWV 846 : le cycle sera délibérément repensé dans la seule perspective du piano actuel, avec une acuité savoureuse et, le plus souvent, une souple poétique de l'instant, presque bucolique dans le couple en fa dièse majeur BWV 858 ou, ludique dans le prélude du la majeur BWV 864. Mais est-ce le poids des contraintes imposées, ou la répétition des concerts ?  Certains préludes – surtout ceux en mode majeur d'ailleurs – nous semblent parfois expédiés un peu prestement (sol majeur BWV 860, si majeur BWV 868) au prix d'une certaine confusion dans le développement des fugues (ut dièse majeur BWV 848), avec çà et là des rubati intempestifs – ut mineur BWV 847 –  voire des approximations. On note aussi une discontinuité des intentions, par exemple entre le prélude – splendidement cantabile – et sa fugue, « boulée » jusqu'à la confusion, du mi majeur BWV 854.

Mais il y a ailleurs d'admirables réussites, tel le grand prélude en mi bémol majeur BWV 852, avec ces effets d'accumulation de motif quasi en strette au fil du prélude ponctué d'une fugue, impeccablement conduite, le pathétique ut dièse mineur BWV 849 – premier grand frisson de la soirée – et par une construction patiente dans ses tempi, les mi bémol mineur BWV 853 ou le sol mineur BWV 861. Cette approche résolument moderne et actuelle, preste dans ses options de tempo, culmine dans l'ultime gigantesque final prélude et fugue en si mineur BWV 869, livré avec toutes ses reprises, cursif et opiniâtre, tant dans le prélude au motif de basse obstiné que dans une fugue monumentale jouée sostenuto avec une âpreté  aussi impérieuse que conclusive.

Cette interprétation délibérément inventive, capricieuse par l'instabilité de son voltage, force globalement l'admiration même si certains opus nous paraissent ce soir survolés de façon un rien désinvolte, à côté d'autres admirablement maîtrisés et livrés dans une veine tantôt lyrique, tantôt plus abstraite.

Au terme de cet épuisant parcours donné sans entracte l'artiste, heureux d'être là, renvoie au public enthousiaste ses applaudissements, pour le remercier de la qualité de son écoute.

Crédits photographiques : Julien Libeer © Le Grand Manège-Chris Maene

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Namur. Concert Hall du Grand Manège. 12-X-2023. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : le Clavier bien tempéré, livre I, vingt-quatre préludes et fugues dans tous les tons majeurs et mineurs BWV 846 à 869. Julien Libeer, piano

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