Hommage vibrant au violoncelliste Aleksandr Khramouchin
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Robert Schumann (1810-1849) : Fantasiestücke pour violoncelle et piano, opus 73. Eugène Ysaÿe (1858-1931) : Sonate opus 27 n° 3, « Ballade », transcription A. Khramouchin. Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Vocalise opus 34 n° 14. Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Sonate pour violoncelle et piano en ut majeur opus 119. Michel Lysight (né en 1958) : Trois croquis, version pour violoncelle et piano. Gabriel Fauré (1845-1924) : Après un rêve, opus 7 n° 1. Claude Debussy (1862-1918) : Sonate pour violoncelle et piano L.144. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Suite pour violoncelle n° 3 en ut majeur BWV 1009, extrait : sarabande. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : la Cygne, extrait du Carnaval des Animaux. Aleksandr Khramouchin, violoncelle ; Eliane Reyes, piano. 1 CD Etcetera. Enregistré en public entre 2019 et 2023. Notice de présentation en anglais et en français. Durée : 82:00
EtceteraLe 13 mai dernier décédait inopinément, à l'âge d'à peine 43 ans, le violoncelliste d'origine biélorusse mais installé de longue date en Belgique, Aleksandr Khramouchin. Quatre mois après sa disparition, sous le label Etcetera paraît cet hommage, idéalement remastérisée, réunissant des extraits de concerts récents.
Aleksandr «Sasha» Khramouchin naît à Minsk en 1979, au sein d'une famille de longue tradition musicale. Sa formation se partage entre sa patrie et ses pays d'adoption (Belgique, Pays-Bas) où il a suivi, très jeune sa famille. Il parfait sa technique et sa musicalité auprès de violoncellistes pédagogues réputés tels, entre autres, Janos Starker ou Boris Pergamenshikov et remporte de nombreux premiers prix internationaux : il atteint les épreuves finales du concours Tchaïkovski (Moscou) en 2002. Sa carrière se partage alors entre l'orchestre – il est nommé premier violoncelle à l'Orchestre philharmonique du Luxembourg dès ses 19 ans, un poste qu'il occupera près de vingt saisons – la musique de chambre, soit comme soliste à part entière, soit comme membre du quatuor à cordes Louvigny (issu de la Philharmonie luxembourgeoise), puis du Quatuor Aviv, mais aura aussi une riche carrière de pédagogue, notamment auprès de la fondation internationale Musica Mundi. Entre deux séries de concerts, début mai 2023, il contracte une infection somme toute banale à la suite d'une blessure au pied. Celle-ci dégénère rapidement en septicémie et le musicien décède dans la fleur de l'âge, à la suite d'un choc septique, après quelques jours d'hospitalisation en soins intensifs.
En qualité de chambriste, Aleksandr Khramouchin avait gravé voici environ vingt ans plusieurs disques pour le label Timpani (Ohana, Cras, Pierné, Le Flem…) soit en quatuor, soit en compagnie de chambristes prestigieux (Christian Ivaldi, Pascal Devoyon, Marie-Josèphe Jude…) et beaucoup plus récemment, en compagnie d'Éliane Reyes, avait fait paraître un beau disque au couplage quasi classique (César Franck/Serguei Rachmaninov) pour Azur Classical. Le couple à la ville comme à la scène, outre de nombreux concerts en Europe, avait plusieurs enregistrements en projet pour les saisons futures. Las ! Un sort funeste en a décidé autrement.
Entourée d'un groupe d'amis, la pianiste a tenu à perpétuer le souvenir de son compagnon par l'édition de quelques enregistrements publics captés entre 2019 et 2023, splendidement remastérisés et édités par le label Etcetera. Ce disque a été présenté symboliquement à la presse le 13 septembre dernier, journée mondiale contre la septicémie et le choc septique. Un concert de bienfaisance au profit du fond de la recherche scientifique de l'Hôpital Érasme et de son service d'infectiologie sera donné dans la foulée le 21 octobre prochain au Conservatoire Royal de Bruxelles, en hommage au musicien : y sont annoncés entre autres Misha Maïski, Martha Argerich, Tedi Papavrami… tous amis proches et admirateurs de regretté violoncelliste.
On ne peut au fil des 82 minutes de musique qu'admirer ce musicien aussi sensible qu'exigeant. L'articulation du discours ou la netteté des énoncés sont infaillibles ; les doigtés et coups d'archet semblent étudiés, millimétrés, dans le sens d'une expressivité optimale à l'entier service du texte. Cela nous vaut, en ouverture de disque, des Fantasiestücke op.73 de Robert Schumann de rêve, intensément poétiques dans la diversité des intentions, par delà une pureté d'intonation impériale. Issus du même concert (le 17 août 2021 aux Musées Royaux des Beaux Arts de Bruxelles), la Sonate op.119 de Prokofiev, tour à tour rêveuse et bougonne, cadrée et déboutonnée, lyrique et inquiétante sous cet archet imaginatif, outre la célébrissime Vocalise op.34 n°14 de Rachmaninov donnée en bis, révèle un artiste au sommet de son art, en osmose avec sa partenaire.
Aleksandr Khramouchin était un musicien curieux de tout et très tenté par les défis : d'Eugène Ysaye – plutôt que d'interpréter la Sonate op.28 dédiée à son instrument – il choisit de transcrire et de défendre la sonate Ballade pour violon seul op.27 n°3, celle dédiée à Georges Enesco : le résultat , capté en public au Conservatoire de la Ville de Luxembourg en 2019 est exaltant de virtuosité de naturel et d'implication.
L'interprète défendait aussi la musique d'aujourd'hui. Certes les trois croquis, une des œuvres les plus connues et parmi les plus réussies du compositeur « néo-consonnant » Michel Lysight pourront sembler bien sages aux thuriféraires du modernisme à tout prix. Voire ! Les qualités mélodiques, les subtilités harmonique de l'œuvre – enregistrée ici lors de la création de la version pour violoncelle et piano – sont ici admirablement défendues par les deux musiciens complices et dédicataires.
L'ultime récital, donné le 29 avril dernier à Ervy-le Chapel – quinze jours avant le décès de l'artiste – a bénéficié miraculeusement d'une belle captation (signée par Clément Sellerin) : de la sonate de Debussy, rarement on aura entendu une version aussi proche des intentions versatiles, verlainiennes, du compositeur : nos interprètes y font mouche par la poésie déclamatoire du prologue, par le clin d'œil quasi-impromptu et « fantastique » de la sérénade et par un final déluré et vénéneux, vraiment « nerveux » – tel que suggéré par Claude de France. Extrait du même récital, la sarabande de la troisième Suite BWV 1009 de J.S Bach prend, par son étirement méditatif et hiératique une aura métaphysique quasi insoupçonnée. Le cygne de Saint-Saëns, bis (et pour toujours) ultime, en guise d'au revoir à jamais, montre l'artiste sous un jour plus souriant et déluré, s'offrant au passage le plaisir de l'un ou l'autre portamento de bon aloi.
Les enregistrements d'Aleksandr Khramouchin nous permettent de retrouver à l'envi son art, comme « après un rêve » pour paraphraser la célèbre mélodie de Gabriel Fauré, donnée ici – et sublimement – lors d'un récital en 2022 à la Monnaie de Bruxelles.
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Robert Schumann (1810-1849) : Fantasiestücke pour violoncelle et piano, opus 73. Eugène Ysaÿe (1858-1931) : Sonate opus 27 n° 3, « Ballade », transcription A. Khramouchin. Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Vocalise opus 34 n° 14. Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Sonate pour violoncelle et piano en ut majeur opus 119. Michel Lysight (né en 1958) : Trois croquis, version pour violoncelle et piano. Gabriel Fauré (1845-1924) : Après un rêve, opus 7 n° 1. Claude Debussy (1862-1918) : Sonate pour violoncelle et piano L.144. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Suite pour violoncelle n° 3 en ut majeur BWV 1009, extrait : sarabande. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : la Cygne, extrait du Carnaval des Animaux. Aleksandr Khramouchin, violoncelle ; Eliane Reyes, piano. 1 CD Etcetera. Enregistré en public entre 2019 et 2023. Notice de présentation en anglais et en français. Durée : 82:00
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