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La mystérieuse Danseuse de Patrick Modiano

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Patrick Modiano : La danseuse. Collection Blanche, Gallimard. 96 pages. 16 €. Octobre 2023

 
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Mais qui est donc cette mystérieuse danseuse, personnage principal du nouveau roman de , qui parait chez Gallimard, si douée qu'elle aurait pu devenir l'égale d' ?

Le romancier français, Prix Nobel de Littérature, emprunte comme dans chacun de ses romans à la réalité pour fabriquer de la fiction, entremêlant le présent et un passé à plusieurs épaisseurs pour une incursion délicieusement nostalgique dans un Paris disparu.

Tout au long du roman, nous ne connaîtrons jamais son nom. « La danseuse » de Modiano prend ses cours de danse quotidiens chez , danseur, chorégraphe et pédagogue russe, surnommé le « maître des Étoiles ». Inventeur de la « barre à terre », il eut pour élèves les plus célèbres , Ludmila Tcherina et Zizi Jeanmaire. C'est l'un des personnages récurrents du livre, qui, avec un accent russe prononcé, distille les encouragements à son « élève préférée », et lui enjoint de « casser le coude ». Pour tous ceux et celles qui ont eu dans leur vie un professeur de danse d'origine russe, la dernière scène du livre est à ce titre irrésistible.

À quelle période cette danseuse anonyme se rend-elle chaque matin aux studios Wacker situés rue de Douai, près de la place de Clichy ? Vraisemblablement entre 1937, date à laquelle le maître de ballet ouvrit son école de danse et 1953, où il partit enseigner à l'étranger. Les autres élèves de cet illustre studio de danse (créé en 1923 par Olga Preobrajenska et démoli en 1974) cités par Modiano sont , danseur français qui entre à l'Opéra de Paris en 1959 et Marpessa Dawn, qui n'arrive en France qu'en 1953 – ce qui ajoute à l'invraisemblance. De plus, le roman plante l'essentiel de son histoire dans une après-guerre assez sombre, où les logements sont modestes et les situations professionnelles précaires.

À chaque page du livre, le balletomane est tenté d'identifier des personnages ayant réellement existé, mais le romancier prend bien soin de brouiller chaque piste en mêlant fiction et réalité. Ainsi, la danseuse se rend chez Repetto, avenue de la Paix, pour acheter chaussons et collants, et répète La Somnambule, un ballet de créé en 1946 à New York et repris en 1948 par le Ballet du Marquis de Cuevas. cite notamment l'effet d' »incandescence » que le ballet provoque chez la danseuse, lorsqu'elle danse avec son partenaire Georges Starass (qui lui est inventé) à la Salle Pleyel. Un partenaire avec lequel elle partage aussi l'affiche du Train des Roses, au Théâtre des Champs-Élysées – un ballet qui n'a jamais existé que dans l'imagination de .

Plus étonnant, le romancier relate une fête donnée chaque année par « un Turc, grand amateur de ballet », « pour les danseurs et danseuses français et étrangers », et à laquelle le narrateur, qui se prétend en être le dernier témoin, croise Rudolf Noureev, Margot Fonteyn, Jean Babilée, , , Jorge Donn, Maurice Béjart et « Sonia Petrovna, une jeune fille dont Kniasseff nous avait dit qu'elle était française mais qu'elle avait choisi, pour danser à l'Opéra, un nom russe ». En une bouffée de souvenirs, se mêlent à la lueur des bougies et sur des divans les plus grands noms de la danse de la deuxième partie du vingtième siècle.

Cet aller-retour incessant entre personnages réels et inventés, le réalisme avec lequel Patrick Modiano décrit les pas de danse, les parcours dans Paris, les habitudes de vie de ses personnages, ajoutent au mystère qui nimbe tous ses romans et leur donne cet air à la fois lointain et familier. Chacun de ses personnages, qu'il s'agisse d'écrivains, de détectives, de journalistes ou de danseuses, constitue le fantôme d'un passé révolu, où les numéros de téléphone commençaient par Odéon ou Vaneau, où les bars étaient enfumés et où l'on attendait les voyageurs sur les quais de la gare.

La Danseuse, en moins d'une centaine de pages, occupe une place de choix et diffuse un éclat particulièrement vif dans l'exceptionnelle production littéraire de Patrick Modiano.

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