Simon Rattle et l’Orchestre de la radio bavaroise : les débuts d’une aventure pleine de promesses
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 3-X-2023. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 6 dite « Tragique » en la mineur. Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks (Orchestre de la radio bavaroise), direction : Simon Rattle.
De passage à Paris dans le cadre d'une tournée internationale et célébrant son nouveau mandat à la tête de l'Orchestre de la radio bavaroise, Simon Rattle reste fidèle à son compositeur fétiche avec la Symphonie n° 6 dite « Tragique » de Gustav Mahler.
Depuis les années 80, Simon Rattle n'aura cessé de remettre sur le métier le corpus symphonique de Gustav Mahler, et tout particulièrement cette fascinante et mystérieuse Symphonie n° 6 dite « Tragique » qui lui est si chère : avec le City of Birmingham dans le cadre d'une « quasi intégrale » ; avec les Berliner Philharmoniker pour ses adieux ; avec le London Symphony Orchestra dans cette même salle en 2017 ; et aujourd'hui encore avec l'Orchestre de la radio bavaroise en ouverture de son nouveau mandat de directeur musical. Quatre prestigieuses phalanges pour quatre interprétations bien différentes, spécifiques et évolutives. Force est de reconnaitre qu'avec cette dernière phalange bavaroise, le chef britannique retrouve une fois encore un partenaire de choix rompu depuis de nombreuses années au répertoire mahlérien dont on rappellera pour mémoire une splendide intégrale conduite par Rafael Kubelik.
Mystérieuse par son nom faisant référence à Nietzsche, fascinante par son mélange de tragique et d'espoir, de classicisme apollinien et de fureur de vivre dionysiaque, la Symphonie n° 6 (1906) par son pouvoir cathartique, comme la tragédie, permet de retrouver force et courage dans une sorte d'« éternel retour » pour dire « oui à la vie » : un chaotique et douloureux parcours à l'issue incertaine dont Simon Rattle oublie à dessein le caractère sombre pour en donner une interprétation lumineuse, d'une grande beauté formelle, habitée et tendue, tout à la fois exercice d'orchestre et de direction, exaltée par la complicité et la superbe plastique du BRSO qui s'inscrit sans nul doute, actuellement, parmi les meilleurs orchestres de la scène internationale.
L'Allegro energico donne d'emblée le ton, très rythmique et engagé, avec de fulgurantes attaques de cordes (contrebasses) et des traits cinglants de la petite harmonie, participant d'une marche inexorable à laquelle se mêlent des épisodes d'un lyrisme enflammé figurant Alma. On apprécie le phrasé riche en nuances rythmiques et dynamiques, la clarté de la texture mettant au jour de beaux contrechants (cor) autant que l'équilibre des pupitres avec des cuivres bien contenus et les performances solistiques individuelles (célesta, cor solo, violon solo, petite harmonie) auxquelles on associera les étonnantes cloches de vaches.
Comme à son habitude, Simon Rattle place l'Andante en deuxième position (position d'origine lors de la création à Essen, en 1906, dont le compositeur modifiera l'ordre des mouvements lors de l'exécution viennoise de 1907, remettant le mouvement lent en troisième position, laissant ainsi planer un doute qui perdure aujourd'hui). Tout entier porté par le poignant thème énoncé par des cordes somptueuses, bientôt repris par le hautbois, le cor anglais et le remarquable cor solo dans un mélange de noble mélancolie et de sensualité (flute) avant que le phrasé ne se creuse dans un chant passionné recrutant le tutti (trompette, alto, clarinette).
Peut être moins convaincant le Scherzo, semble manquer d‘un rien de continuité et surtout de tension dans la progression du discours qui parait un peu déliquescent, sans caractère bancale, sarcastique, militaire ou vulgaire franchement affirmé, majoré par un Trio central mal négocié. Simon Rattle semble, ici, retrouver ses mauvais démons, en se perdant dans une lecture abusivement analytique dont on admire cependant la rigueur et la précision de la mise en place ainsi que la profusion de timbres (xylophone, piccolo, tuba, harpe) admirablement dispensée par l'orchestre.
Comme lors de son enregistrement avec Berlin en 2017, le chef aborde le gigantesque Allegro final dans un climat d'attente et de mystère scandé par les cloches de troupeau avant que le phrasé ne s'anime dans un combat titanesque entre Apollon et Dionysos suivant une progression ample (cordes) et pleine d'allant, inondée de joie et de lumière, faisant intervenir tous les pupitres, que, ni le chant élégiaque des trombones, ni les deux furieux coups de marteau figurant le Destin ne parviendront à interrompre, avant une coda grandiose signant cette inaltérable fureur de vivre de Gustav Mahler qui le conduira ultérieurement à l'optimisme rayonnant de la Huitième.
Crédit photographique : © Astrid Ackermann
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 3-X-2023. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 6 dite « Tragique » en la mineur. Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks (Orchestre de la radio bavaroise), direction : Simon Rattle.