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Le Trouvère par Davide Livermore au Festival Verdi de Parme

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Parme. Teatro Regio. 24-IX-2021. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Il Trovatore, opéra en quatre actes sur un livret de Salvatore Cammarano d’après Antonio Garcia Guttiérez. Mise en scène : Davide Livermore. Décors : Giò Forma. Vidéo : D-Wok. Costumes : Anna Verde. Lumières : Antonio Castro. Avec : Franco Vassallo, le Comte ; Francesca Dotto, Leonora ; Clémentine Margaine, Azucena ; Riccardo Massi, Manrico ; Roberto Tagliavini, Ferrando ; Carmela Lopez, Inès ; Didier Pieri, Ruiz. Orchestra E Coro Del Teatro Comunale Di Bologna, direction : Francesco Ivan Ciampa

 

Au Teatro Regio de Parme, Il Trovatore mis en scène par Davide Livermore, est le deuxième titre du Festival Verdi 2023, après I Lombardi alla prima Crociata en ouverture et avant Nabucco en version de concert, puis Falstaff en clôture.

Livermore, metteur en scène turinois qui se considère avant tout comme un musicien et se targue d’avoir été chanteur d’opéra, chorégraphe et danseur, a déjà mis en scène Il Trovatore de Verdi l’année dernière au Japon. Pour cette nouvelle production au Regio di Parma, il a choisi une mise en scène forte, audacieuse et rugueuse. La scène est dominée par l’image d’un viaduc en béton, d’une forteresse qui ressemble à une prison, tous deux à la limite de la périphérie urbaine, un lieu de violence, de solitude, d’inconfort. À l’arrière-plan, les vagues multiformes d’une étendue d’eau toujours changeante, peut-être un lac, peut-être une mer, reflètent les mouvements de l’âme et, depuis le mur de LED de la vidéo de D-Wok, projettent leur réverbération sur les scènes plombées du scénographe Giò Forma. De part et d’autre de ces toiles de fond visuelles, deux gratte-ciel de verre et d’acier se profilent de manière menaçante avec leurs arêtes. Ils évoquent le palais de l’Aliaferia à Saragosse, où le drame commence. Les soldats portent des costumes contemporains (Anna Verde), des vestes couleur gris anthracite, des imperméables en simili cuir. Le Comte di Luna, apparaît en veste et cravate, et à un moment sort un téléphone portable pour appeler ses hérauts. Les gitans et les tziganes qui, dans le livret de Cammarano, battent le fer campés dans les ravins des montagnes, sont remplacés par des acrobates, échassiers, gymnastes, clowns, dotés de costumes colorés et se produisent sous un immense chapiteau. Autre transposition, Leonora, à la fin, au lieu de se réfugier dans un couvent, atterrit parmi les infirmières d’un hôpital militaire, qui tourne sur lui-même. Une idée qui suscite une réaction négative et retentissante du loggione (poulailler), le public de la dernière galerie du Teatro Regio de Parme, qui se considère comme gardien de Verdi et de la tradition du maestro de Busseto. Mais le réalisateur Livermore a vigoureusement défendu son choix interprétatif. « Où peut-on trouver des religieuses aujourd’hui si ce n’est dans un hôpital ? » interroge-t-il. « Et les gitans, les marginalisés, vivent aujourd’hui dans les banlieues périphériques, dans des campements sous un viaduc… certainement pas en pleine montagne », explique le metteur en scène, insistant sur le principe clé de son esthétique : « Le metteur en scène d’aujourd’hui doit donner une vie contemporaine aux œuvres du passé ». Exit donc les gitans espagnols avec leur bric-à-brac. A leur place, un groupe de vagabonds, des gens du cirque, avec des cracheurs de feu, des marginaux vivant dans la rue, dans une caravane, aux abords d’un parc, au milieu de vieux pneus, de tas de chiffons, de jerrycans abandonnés. Car Il Trovatore, ce chef-d’œuvre de la trilogie populaire créée en 1953 au Teatro Apollo de Rome, à y regarder de plus près, n’a rien de romantique ou de fétichiste. Et en effet, lorsque Verdi  décide de mettre en musique le drame andalou d’Antonio Garcia Gutierrez, voulant atteindre les recoins sombres des sentiments, conçoit un ailleurs dominé par la force brutale et la violence, où une vieille gitane qui est une sorte de sorcière, au milieu de menaces et de parjures, dans un climat de sombre vengeance, jette aux flammes un nouveau né, sans se rendre compte qu’il s’agit de son propre enfant. Azucena est « un personnage étrange et nouveau », écrivait Verdi à son librettiste Cammarano, non pas une folle donc, mais l’extraordinaire protagoniste d’une histoire incroyable, qui nous parle encore aujourd’hui d’enfants illégitimes vendus et donnés, et qui donne voix à des sentiments inexprimables, tels que la haine, le ressentiment, la vengeance, la force extrême des humbles s’opposant à l’arrogance des grands. C’est en cela que la mise en scène de Livermore du Trovatore est à la fois sombre et brillante.

La direction de Francesco Ivan Ciampa est très attentive à approfondir les timbres sombres, les tonalités fortes, à accompagner les voix et les mettre en valeur. La distribution est assez homogène, bien qu’ayant subie trois remplacements ! La soprano Francesca Dotto en Leonora (remplaçant Eleonora Buratto) montre des qualités stylistiques avec une bonne articulation et une grande agilité, comme dans la cabalette de l’Acte IV « Tu vedrai che amore in terra ». L’excellente performance de Clémentine Margaine en Azucena est à saluer, la mezzo-soprano déployant une grande projection et démontrant une technique exemplaire ainsi qu’une extrême facilité dans les notes aiguës pour camper une sorcière au fort tempérament. Dans le Comte de Luna, le baryton Francesco Vassallo, grâce à son expérience, sauve la situation in extremis après la défection de Markus Werba, ajoutant, dans « Il  alen del suo sorriso », des variations à la façon de Carlo Galeffi, et faisant montre de puissance et d’expressivité ; de même l’excellent Roberto Tagliavini très convaincant en Ferrando, remplaçant Marco Spotti souffrant. Le ténor Riccardo Massi dans le rôle de Manrico livre une interprétation d’un troubadour franc, sympathique et charmant. Carmen López séduit par son beau soprano dans le rôle d’Inès, la suivante de Leonora.

Un ressenti mitigé donc, mais aux saluts les applaudissements chaleureux pour les chanteurs étouffent les sifflets venus du loggione pour la mise en scène.

Crédits photograhiques : © Roberto Ricci

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Parme. Teatro Regio. 24-IX-2021. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Il Trovatore, opéra en quatre actes sur un livret de Salvatore Cammarano d’après Antonio Garcia Guttiérez. Mise en scène : Davide Livermore. Décors : Giò Forma. Vidéo : D-Wok. Costumes : Anna Verde. Lumières : Antonio Castro. Avec : Franco Vassallo, le Comte ; Francesca Dotto, Leonora ; Clémentine Margaine, Azucena ; Riccardo Massi, Manrico ; Roberto Tagliavini, Ferrando ; Carmela Lopez, Inès ; Didier Pieri, Ruiz. Orchestra E Coro Del Teatro Comunale Di Bologna, direction : Francesco Ivan Ciampa

 

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