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Le legs Philips et DG de Karel Ancerl : une réédition en demi-teinte

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Johannes Brahms : Danses slaves n° 1, n° 2, n° 3, n° 5, n° 6, n° 7 et n° 10. Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 10. Antonín Dvořák : Symphonie n° 9 ; Danses slaves op. 46 ; Requiem op. 89. Sergueï Prokofiev : Sonate pour violon et piano n° 2 op. 94a. Bedřich Smetana : Vltava. Piotr Ilitch Tchaïkovski : Le Lac des cygnes, suite op. 20 ; La Belle au bois dormant, suite op. 66a ; Casse-Noisette, suite op. 71a ; Sérénade pour cordes op. 48 ; Roméo et Juliette ; Marche slave ; Ouverture Solennelle “1812” op. 49 ; Symphonie n° 4 op. 36. Wolfgang Schneiderhan, violon ; Carl Seeman, piano ; Maria Stader, soprano ; Sieglinde Wagner, contralto ; Ernst Haefliger, ténor ; Kim Borg, basse ; Chœur Tchèque de Prague et Orchestre Philharmonique Tchèque ; Orchestre philharmonique de Berlin ; Orchestre symphonique de Vienne ; direction : Tibor Paul (Brahms) et Karel Ančerl. 9 CD Eloquence. Enregistrés au Musikverein de Vienne, au Rudolfinum de Prague, à la Jesus-Christus-Kirche de Berlin, à la Herkulessaal de Munich, entre octobre 1955 et décembre 1962. Notice en anglais. Durée totale : 7 heures 20 minutes

 
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Hormis Supraphon qui détient le legs essentiel de Karel Ancerl au disque, nombre de labels ont fait paraître des témoignages de son art de la direction, captée le plus souvent en concert. Decca Eloquence a réuni l'intégrale Philips et Deutsche Grammophon, gravée en studio, entre 1955 et 1962. Une intégrale aux qualités disparates.

Tragique destinée, en vérité, que celle d'un musicien que l'on voit dans un film de propagande nazie, diriger un orchestre de détenus juifs à Terezin et se retourner discrètement au passage d'Himmler en visite dans le camp. Il sera déporté en 1944 à Auschwitz où mourront sa femme et son fils. Par la suite, sa vie sous le régime communiste de l'après-guerre ne fut pas de tout repos. Après la disparition brutale de Charles Munch (6 novembre 1968), lors de la première tournée de l'Orchestre de Paris en Amérique du Nord, il fut un moment question de remplacer le “grand” Charles par qui vivait alors en exil depuis l'intervention soviétique qui mit brutalement un terme au Printemps de Prague. A ceux qui avancèrent son nom pour succéder à Munch, certains décideurs de l'époque répondirent qu'il n'était pas assez prestigieux pour la formation parisienne… Curieuse destinée, aussi, d'un artiste dont la discographie si considérable aux yeux des discophiles demeure, paradoxalement, méconnue de la plupart des mélomanes.

Le legs d'Ančerl (disparu le 3 juillet 1973) repose avant tout sur l'interprétation de la musique tchèque, du romantisme à l'époque contemporaine. On sait moins que son répertoire fut immense avec une certaine prédilection pour la musique française – un univers choyé par les artistes tchèques – mais aussi germanique et russe. Nombre de ses enregistrements et pour commencer ceux réalisés pour le label Supraphon ont assuré la légende d'un âge d'or de la Philharmonie Tchèque que la formation a su habilement faire fructifier durant des décennies. La présente édition Ančerl sous étiquette Decca Eloquence réunit des interprétations majoritairement gravées avec le Symphonique de Vienne, considéré comme la seconde formation de la capitale. Intéressons-nous tout d'abord aux deux autres orchestres, le Philharmonique tchèque et celui de Berlin.

Ančerl laissa à la postérité des gravures des Symphonies n° 1, 5, 7 et 10 de Chostakovitch. L'unique version de la Symphonie n° 10 fut enregistrée lors d'une tournée des musiciens tchèques, à Munich, en 1955 (mono) pour Deutsche Grammophon. Hormis les témoignages de Konwitschny, Kurtz, Mitropoulos et, bien évidemment, Mravinski, l'œuvre bénéficiait d'une nouvelle lecture qui fut longtemps considérée comme une référence. Relativisons aujourd'hui ses qualités en regard de la discographie actuelle. L'interprétation n'est guère aidée par une prise de son certes monophonique, mais froide et plate. Elle dessert les vents tchèques pourtant bien supérieurs à ceux, à la même époque, de Leningrad. Optant pour des tempi très soutenus, Ancerl semble refuser de creuser le son, comme si la puissance du message lui était étrangère. En revanche, le Requiem de Dvořák apparaît toujours comme l'une des “grandes” versions. Édité chez Supraphon, il fut notamment repris dans le catalogue Deutsche Grammophon. L'énergie de cette lecture ne se relâche pas un instant avec un plateau vocal remarquable. Ancerl porte l'œuvre de bout en bout par un souffle qui évite toute surcharge, optant davantage pour une approche symphonique que liturgique. Une version à la hauteur de celles de Kertesz et de Sawallisch. C'est avec le Philharmonique de Berlin qu'Ančerl accompagne dans le Concerto pour violon en Ré de Stravinsky dont Dushkin et le compositeur lui-même laissèrent une gravure “historique”. Ančerl fit ses débuts avec la formation en 1962, l'année de cet enregistrement. La lutte magistrale voulue entre le chef et le soliste est animée avec un sens “baroque” des couleurs et une fraîcheur qui n'a rien perdu de son intensité. Schneiderhan qui fut notamment violon solo du Philharmonique de Vienne possède un archet à la fois incisif et d'une belle tendresse nostalgique. Cette version très vivante s'inscrit aux côtés d'autres référence, qu'il s'agisse de Mutter et Sacher, Perlman et Ozawa (DG) ou bien Stern et Stravinsky (Sony). A noter, en complément de programme, la Sonate pour violon et piano n° 2 de Prokofiev. Le vibrato de l'archet plus propice à l'univers de Brahms qu'à celui du compositeur russe et le piano bien mal capté de Carl Seemann sont difficilement défendables.

Le reste des bandes concerne le Symphonique de Vienne. Elles parurent sous label Fontana, label qui fut lancé par Philips en 1956 et dédié, dans un premier temps, à la variété. Commençons par le “tube” de la Symphonie dite du “Nouveau Monde”. Nous disposons de six versions de l'œuvre sous la baguette d'Ančerl : Philharmonie Tchèque en 1956 (Tahra), 1958 (Ermitage), 1961 (Supraphon), 1963 (Orféo) puis Symphonique de Vienne en 1958 (Fontana) et Cleveland, un concert de 1969 (YSL). Trois ans avant la version Supraphon qui demeure un jalon “historique”, Ančerl tente, déjà à Vienne, d'épurer les tensions, de privilégier le chant au caractère grandiose. Hélas, l'orchestre est assez neutre y compris dans un mouvement lent, privé des solistes d'une petite harmonie pragoise qui se révèlera trois ans plus tard, inégalable. Les danses suggérées passent à la trappe. Malgré une direction fine et souple, l'orchestre paraît peu concerné par l'œuvre à l'exception des deux derniers mouvements. Pour autant, les cordes ne sont pas exemptes de faiblesses comme les contrebasses qui attaquent faux à la cinquième mesure (et avec constance dans la coda…). Réunies en un volume, les Danses Slaves de Dvořák sont couplées avec les Danses Hongroises de Brahms, ces dernières sous la baguette de . Avec Ančerl, la prise de son un peu raide ne facilite pas l'écoute d'une lecture correcte et efficace, avec juste ce qu'il faut de piquant, mais sans l'inventivité de la concurrence de la même époque, au milieu des années cinquante : Kubelik avec Vienne, Rodzinski et le Royal Philharmonic Orchestra, Szell avec Cleveland, entre autres. Durant la même session, Fontana confia sept Danses hongroises de Brahms à . Le livret du coffret s'attache à une biographie assez générale d'Ančerl et il est dommage qu'elle ne mentionne pas le nom de ce chef hongrois et australien d'adoption qui disparut en 1973. Disciple de Scherchen, Weingartner et Kodaly, quitta la Hongrie en 1948 et émigra en Australie tout en poursuivant une carrière en Occident. Il eut notamment une relation privilégiée avec le Symphonique de Vienne, enregistrant des œuvres de Liszt, Bartok, et Moussorgski. Le tempérament très affirmé du musicien fait merveille avec ces danses qui paraissent pour la première fois en CD. Il dynamise magistralement les pupitres viennois poussés dans leur derniers retranchements. Sans la prise de son terne, ce témoignage se hisserait aux côtés de ceux de la même époque, de Dorati avec le Symphonique de Londres, Karajan et Berlin, Marckerras et le Philharmonia ainsi que Reiner avec le Philharmonique de Vienne.

Enfin, trois volumes sont consacrés à Tchaïkovski. Ce sont peut-être les jalons les plus aboutis d'Ančerl. Le chef y montre une élégance tout narrative y compris dans les pages dévolues à l'expression la plus spectaculaire comme la Marche Slave et l'Ouverture solennelle “1812”. Ce n'est certes pas le son de Dorati avec Mercury (1954 et 1958), mais le chef privilégie les contrechants et un raffinement dans les détails, autant de qualités que l'on retrouve dans la Symphonie n° 4 et Roméo et Juliette. L'Andantino de la Symphonie, par exemple, est profondément touchant. Quel dommage qu'Ančerl n'ait laissé au disque que ce seul témoignage d'une symphonie de Tchaïkovski ! On en oublie les quelques dérapages des cuivres notamment des trompettes ainsi que la justesse défaillante et l'acidité des cordes dès l'introduction de la suite de Casse-Noisette. Des défauts qui, aujourd'hui, ne passeraient plus… Ančerl considérait, à juste titre, la musique des ballets de Tchaïkovski, d'une inventivité et d'une valeur au moins comparable à celle des symphonies. Il anime chaque page, “déplace” la salle du Musikverein sur la scène du Staatsoper. Chaque numéro est comme porté par une chorégraphie imaginaire, avec une évidence narrative qui réjouit. Les pupitres viennois suivent avec un engouement perceptible.

On l'aura compris, ce coffret est en demi-teinte, à la fois parce qu'Ančerl ne bénéficia pas de la formation à laquelle il aurait pu prétendre et aussi parce que la qualité technique ne fut pas au rendez-vous.

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