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L’Or du Rhin à Bâle : l’enfance d’une Walkyrie

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Bâle. Theater Basel. 23-IX-2023. Richard Wagner (1813-1883) : L’Or du Rhin, prologue de L’Anneau du Nibelung, sur un livret du compositeur. Mise en scène : Benedikt von Peter. Décor : Natascha von Steiger. Costumes : Katrin Lea Tag. Lumières : Roland Edrich. Vidéo : David Fortmann. Avec : Nathan Berg, baryton-basse (Wotan); Michael Borth, baryton (Donner) ; Ronan Caillet, ténor (Froh) ; Michael Laurenz, ténor (Loge) ; Solenn’ Lavanant Linke, mezzo-soprano (Fricka); Lucie Peyramaure, soprano (Freia) ; Hanna Schwarz, mezzo-soprano (Erda) ; Andrew Murphy, baryton-basse (Alberich) ; Karl-Heinz Brandt, ténor (Mime) ; Thomas Faulkner, basse (Fasolt) ; Runi Brattaberg, basse (Fafner) ; Inna Fedorii, soprano (Woglinde) ; Sophie Kidwell, mezzo-soprano (Flosshilde) ; Valentina Stadler, soprano (Wellgunde). Sinfonieorchester Basel, direction : Jonathan Nott

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Après 40 ans d'absence, et serti dans un festival intitulé Der Ring Ein Festival, le Ring revient à Bâle. prouve qu'économie de moyens scéniques peut rimer avec pensée profonde. 


Posée sur le mi bémol le plus célèbre de l'histoire de l'opéra, tenu plus longuement qu'à l'accoutumée, une voix parlée s'élève. « Comment tout cela a-t-il commencé ?… » C'est celle de Brünnhilde adulte qui, à la façon de beaucoup d'enfants devenus grands, tente de démêler, après la mort de Siegfried, le fonctionnement de la famille (dysfonctionnelle) qui a été la sienne. A l'arrière-plan, on la voit âgée d'une dizaine d'années en train de faire de la balançoire à côté de la maison de son enfance : le Walhalla. Un domaine familial qui, avant d'être la proie des flammes, fut l'eden de sa jeunesse. Un décor unique (une maison en guise d'espace mental, un arbre, une table) que, comme dans le Ring de Valentin Schwarz à Bayreuth, on ne quittera pas. Un pari radical a priori fou (à Bayreuth, la valse dispendieuse des décors montrait le château de Wotan sous plusieurs angles) mais pour l'heure parfaitement tenu dans ce Prologue sous haute tension (une direction d'acteurs au cordeau) qui parvient même à faire surgir de façon crédible le Nibelheim par le biais d'un trou ouvert à coup de masse par Wotan et Loge dans la cour de la propriété, et à raconter, sur les dernières mesures, une partie des vingt années qui le séparent de La Walkyrie.

Wotan est d'emblée présenté comme un marchand d'histoires (Wagner ?) qui abreuve ses enfants et ses petits-enfants (les auditeurs ?) de contes de fées. Avec force marionnettes, il agit en hypnotiseur de progéniture : Siegfried est déjà là, fasciné par la voix de ce grand-père qui lui a offert un joli cor et un épée de bois. Les sirènes d'un castelet aux merveilles prennent vie sous la forme d'ondulantes créatures grandeur nature, animées comme des dragons chinois par trois manipulateurs (le terme prend doublement son sens) dissimulant trois Filles du Rhin invisibilisées par de noirs atours. D'Alberich, miroir déformant de Wotan (tenues de soirée pour l'un et l'autre), Brünnhilde nous apprend qu'il a toujours été surnommé « le crapaud » par son père, ce qui sera bien commode au moment de l'épineuse transformation à Nibelheim. C'est d'ailleurs sous forme de crapaud géant que celui qui est considéré à tort comme le voleur de l'or ( nous apprend que le vrai voleur, c'est Wotan, Alberich n'ayant fait que s'emparer d'une matière naturelle inerte) fait son entrée en scène avant de prendre forme humaine pour venir terrifier les enfants dans leur chambre. Wotan est brossé en Dictateur du Monde, prédateur quasi-animal (noire pelisse lupine) lors d'agapes familiales dont les convives (Froh et Donner compris) ont tous l'air d'être ses enfants : les Nornes du Crépuscule des dieux sont déjà là, lutinées sous la nappe ; le petit Siegfried est déjà initié au réveil de Brünnhilde, quant à Siegmund, il fait la gueule en bout de table… n'a pas hésité à truffer son Or du Rhin de la présence muette de personnages (et des vrais chanteurs destinés à les incarner) qui n'interviendront que dans les journées à venir : un spectaculaire travail d'équipe doublé d'un travail sur le texte exceptionnel, qui donne bien le ton de cette psychothérapie familiale par le prisme des souvenirs d'une ex-fillette.

Une fois le principe compris (la musique s'arrête parfois pour laisser défiler les réflexions intérieures de Brünnhilde), on s'attache assez vite à chacun des protagonistes. A-t-on déjà entendu, dans la lignée pourtant fameuse des Loge, un analyste des comportements plus diseur que celui de , dont la leçon de style s'était déjà exprimée in loco dans le bel Intermezzo d'Herbert Fritsch ? De son rocailleux Wotan, extirpe une matière noire imbue d'elle-même. , un peu en retrait dans quelques productions récentes, retrouve lustre et patine avec un Alberich qu'on n'aurait pas deviné aussi puissant. La raideur de Fricka sied à Solenn' Lavanant Linke. Freia révèle le timbre brûlant de . , imposant Fafner, et , amoureux transi désespéré, très brut(e)s de décoffrage, dégrossissent à loisir deux créatures dépassées par leur force. Mime est un personnage idéal pour la vocalité claire de . Quasi-frères jumeaux (le gène Wotan ?), et le toujours excellent dessinent avec aisance vocale et physique les stratégiques interventions de Donner et de Froh. Le trio d'ondines introduit par est superbe. Cerise sur le gâteau : le passage de relais de l'inoubliable Fricka de Chéreau à l'Erda de Peter : soi-même, jouissant avec talent des limites d'une voix prête à vaciller mais toujours habitée.

De Bayreuth à Bâle, le Ring de Benedikt von Peter, fasciné lui aussi par des secrets de famille, apparaît comme la suite idéale du Ring de Valentin Schwarz. Ici comme là-bas, le Sinfonieorchester Basel, bien que superbement dirigé par , a du mal à dompter certain corniste. Mais surtout : ici comme là-bas, l'orchestre est invisible. On le croit dissimulé derrière le cyclorama du fond de scène. Erreur : il est sous le plateau ! Le son de ce Nibelheim orchestral sourd du caillebotis du plancher de scène : c'est magique, enveloppant, providentiel pour les chanteurs, idéal pour chaque mot de la psychothérapie familiale du Docteur von Peter. avait inventé l'abîme mystique. Benedikt von Peter vient d'inventer le plateau mystique !

Crédits photographiques © Ingo Höhn

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Bâle. Theater Basel. 23-IX-2023. Richard Wagner (1813-1883) : L’Or du Rhin, prologue de L’Anneau du Nibelung, sur un livret du compositeur. Mise en scène : Benedikt von Peter. Décor : Natascha von Steiger. Costumes : Katrin Lea Tag. Lumières : Roland Edrich. Vidéo : David Fortmann. Avec : Nathan Berg, baryton-basse (Wotan); Michael Borth, baryton (Donner) ; Ronan Caillet, ténor (Froh) ; Michael Laurenz, ténor (Loge) ; Solenn’ Lavanant Linke, mezzo-soprano (Fricka); Lucie Peyramaure, soprano (Freia) ; Hanna Schwarz, mezzo-soprano (Erda) ; Andrew Murphy, baryton-basse (Alberich) ; Karl-Heinz Brandt, ténor (Mime) ; Thomas Faulkner, basse (Fasolt) ; Runi Brattaberg, basse (Fafner) ; Inna Fedorii, soprano (Woglinde) ; Sophie Kidwell, mezzo-soprano (Flosshilde) ; Valentina Stadler, soprano (Wellgunde). Sinfonieorchester Basel, direction : Jonathan Nott

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