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Composer selon François Narboni

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A l'occasion des 60 ans de , l', la compagnie Les Gens de la voix et le duo Phébus se sont réunis pour rendre hommage au compositeur avec un concert consacré à ses œuvres le dimanche 1er octobre au Regard du Cygne à Paris, précédé la veille d'une rencontre à la Médiathèque Hector Berlioz du Conservatoire de Paris. C'est l'occasion pour nous d'interroger l'auteur des « Animals » sur son parcours, son œuvre et sa place dans le paysage musical contemporain.

 

Res Musica : , vous quittez Paris en 2000 pour vous installez à Metz, une ville particulièrement active sur le plan culturel, avec l'Arsenal, le Centre Pompidou depuis 2006, et de nombreuses actions ciblées en direction de la création. Comment vivez-vous votre activité de compositeur hors de Paris ?

 : Je me suis installé à Metz pour y enseigner la composition et le jazz au Conservatoire à rayonnement régional, alors conservatoire national de région. Metz est située au carrefour de trois frontières, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg qui sont autant d'opportunités d'échanges et de communication. À une époque où beaucoup de choses se font à distance, y compris les répétitions, je peux sans problème y exercer mon métier de compositeur.

RM : Vous avez dirigé le conservatoire de Thionville pendant onze ans et en 2019, année de votre départ, vous créez au sein de l'établissement le spectacle « On a volé le si bémol ! », un projet monumental de près de trois heures faisant appel à 350 participants où vous multipliez les casquettes, de compositeur, arrangeur, librettiste, metteur en scène et vidéaste…

FN : Après huit ans passés au conservatoire de Metz, j'ai en effet pris la direction du conservatoire de Thionville, à une vingtaine de kilomètres plus loin, toujours en Moselle. « On a volé le si bémol ! » était un peu mon cadeau de départ avec un spectacle qui devait faire participer l'ensemble des disciplines et les élèves de tous âges et niveaux, avec en plus du théâtre, de la danse et de la vidéo. C'est un projet à caractère pédagogique pour lequel j'ai reçu une aide à l'écriture du ministère de la culture et dont ma position de directeur de l'établissement a, bien entendu, facilité la coordination.

J'aime beaucoup travailler avec des amateurs, pour peu qu'on sache les orienter et les motiver, on peut tirer d'eux les choses les plus incroyables. Une de mes plus belles expériences en ce domaine a été les Chantiers de la création à Lyon en 2002 à l'occasion desquels j'avais créé une œuvre avec des classes d'école primaire – des enfants sans aucun bagage musical – et des musiciens de l'Orchestre National de Lyon. Cette œuvre s'appelle Alpha-Beth et avait beaucoup marqué tous ses participants.

RM : Si l'on revient sur votre formation, vous avez été l'élève de Paul Mefano au CNSM puis vous avez fait le Cursus de l'Ircam en 1998, année où vous écrivez Heldenplatz, une pièce aventureuse et virtuose pour contrebasse et électronique. Dans quelles mesures ces étapes de votre formation ont-elles compté dans votre parcours ?

FN : Je ne suis resté qu'un an dans la classe de , lorsque avec qui j'étudiais la composition est partie à la retraite. Ma formation tient essentiellement à l'enseignement de deux grandes dames : , d'abord, qui, à 80 ans, donnait des cours à son domicile après avoir enseigné plusieurs décennies au Conservatoire de Paris. J'ai étudié auprès d'elle pendant quatre années l'écriture musicale (harmonie, contrepoint, fugue, orchestration). J'aimais beaucoup le contrepoint dit rigoureux mais je me souviens avoir eu du mal à passer de l'harmonie empirique du jazz que j'avais pratiquée jusqu'alors à l'harmonie fonctionnelle classique. En parallèle à ces études, j'écrivais et dirigeais des musiques de scène pour le Carré Sylvia Montfort à Paris, ce qui me permettait de mettre en pratique mon apprentissage de compositeur. Malgré son grand âge (Grand Prix de Rome en 1932 !), débordait d'énergie et composait, enseignait, pratiquait la peinture, etc. du matin jusqu'au soir chaque jour de la semaine ! Ce fut aussi une belle expérience de vie.

Je suis entré ensuite au CNSMDP où j'ai étudié la composition avec . J'étais déjà un musicien professionnel alors mais ses conseils m'ont toujours été précieux. Surtout, elle appartenait à la génération d'après-guerre qui, avec Boulez, Berio, Stockhausen et d'autres avait créé la musique contemporaine et son expérience était inestimable. Elle reste aujourd'hui à 97 ans le témoin privilégié de cette histoire. Je venais du jazz et voulais devenir compositeur, j'étais un peu étranger à ce milieu tout en étant déjà musicien de métier et m'a accueilli avec bienveillance. J'aimais beaucoup sur le plan humain et sa disparition il y a quelques années m'a touché, mais nous étions antinomiques sur le plan esthétique. Je me souviens de sa réaction quand j'avais apporté en classe le Different trains de Steve Reich qui venait de sortir en disque ! Ça n'a pas empêché Paul de faire jouer ma musique par l'ensemble 2e2m qu'il dirigeait et je lui en suis reconnaissant. J'ai aussi passé mon prix de composition dans sa classe, que j'ai obtenu avec les félicitations du jury…

L'année de stage à l'IRCAM est venue plus tard car j'avais reçu la commande d'une œuvre pour ensemble et électronique de l'Ensemble Intercontemporain. Ma pièce de cursus est Heldenplatz pour contrebasse et électronique, effectivement une pièce très aventureuse, basée sur le texte éponyme de Thomas Bernhard, et qui a été souvent reprise depuis.

RM : Revenons au fondement de votre formation…

RN : J'ai un parcours un peu particulier, je me destinais au jazz dans ma jeunesse et j'ai d'abord pratiqué la batterie. J'ai étudié à la fameuse école Agostini avec en personne. En parallèle, je jouais un peu de vibraphone en autodidacte. Après un concert de Gary Burton, j'ai décidé de me consacrer entièrement à cet instrument. J'ai eu la chance de rencontrer alors un de ses anciens élèves qui m'a appris le jeu à quatre baguettes et suis entré en même temps au conservatoire pour effectuer un cursus de percussions classiques que j'ai mené jusqu'au bout. J'ai toujours composé, d'abord dans un idiome jazz mêlant écriture et improvisation, puis en réalisant les partitions de plus en plus complètes… et complexes !

À 19 ans, j'ai abandonné le jazz, sur le plan professionnel du moins, pour me consacrer entièrement à la composition. Je découvrais alors toute la musique moderne-contemporaine de Debussy à Boulez et c'est cette aventure que je voulais partager. Ma première œuvre, ou plutôt mon premier essai d'œuvre, est un quatuor à cordes. Le premier mouvement s'inspirait lointainement de la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók que je découvrais alors et aussi de Stravinsky. Quant au deuxième mouvement, j'ai essayé d'y appliquer des techniques que je découvrais dans l'Introduction à la musique de douze sons de René Leibowitz. Je me suis un peu perdu dans ce travail laborieux et somme toute assez impersonnel et le quatuor s'est arrêté là. Il faudra plus 20 ans après pour que je réalise mon véritable premier quatuor à cordes, « Nouveau et particulier » (allusion à Haydn) à l'intention du Quatuor Diotima.

J'ai écrit ensuite de nombreux essais de « jeunesse » mais c'est avec Pandémonium pour clavecin en 1988 que commence véritablement le catalogue de mes œuvres, qui en comprend aujourd'hui une centaine. Pandémonium m'a ouvert pas mal de portes à l'époque, en particulier celles du Conservatoire de Paris. C'est une œuvre radicale qui jette les bases de toutes les techniques que j'utiliserai par la suite. Je l'avais fait entendre à Stockhausen lors d'une master-class et il avait été très élogieux.

RM : Vous appartenez à la génération des post (ou alter) spectraux, côtoyant dans la même promotion des compositeurs comme Marc-André Dalbavie, Thierry Blondeau, Jean-Luc Hervé, Régis Campo, etc. Comment vous situez-vous dans le paysage musical contemporain ?

FN : J'en fais partie parce que j'ai depuis toujours travaillé avec ses principales institutions mais je n'ai jamais appartenu à aucune école, ni sérielle, ni spectrale, ni autre. Bien sûr, je connais ces esthétiques, je les ai étudiées à fond et j'en ai beaucoup appris, mais j'ai assimilé ça à mon propre style et on ne peut en aucun cas m'y rattacher. Je suis arrivé au conservatoire quand toutes ces données étaient déjà historiques, approfondies et parfois même codifiées ; j'en ai gardé l'éthique mais j'ai pris mes distances avec l'esthétique. La pensée paramétrique, le fait de concevoir séparément hauteurs et durées est essentiel dans ma démarche mais personne ne peut dire que ma musique sonne « sérielle » ! J'ai travaillé sur le son, le bruit, les fréquences et leurs distorsions et j'ai utilisé l'électronique bien avant d'avoir entendu parler de l'école spectrale. La démarche de Helmut Lachenmann m'a intéressé un temps et dans une série d'œuvres (Les Animals, Le Plérome des éons, Impromptu d'Ohio…) J'ai beaucoup utilisé le « bruit » instrumental, mais c'était dans une démarche visuelle, théâtrale et humoristique bien différente de la sienne. Certains compositeurs ont continué trente ans après dans cette voie qui me paraissait déjà limitée à l'époque et je m'en étonne, surtout quand il s'agit de jeunes compositeurs. L'utilisation systématique de modes de jeu, avec bruits de souffle et autres frottements, est l'un des poncifs de la musique contemporaine.

RM : Vous pointez l'importance du processus dans votre musique et la notion de trajectoire…

FN : J'ai toujours utilisé des processus, des éléments de construction qui permettent à la musique de se dérouler d'elle-même, de façon quasi autonome. Je les employais de façon assez systématique au début, par exemple dans Pandémonium ou Paradis pour orgue (1991), puis j'ai appris à les casser peu à peu, à les détourner, pour donner à ma musique davantage de souplesse et d'imprévisibilité. Celle-ci n'en garde pas moins une directionnalité très forte qu'on ne trouve pas toujours dans la musique contemporaine. On pourra s'en rendre compte au concert du 1er octobre avec plusieurs œuvres récentes dans lesquelles processus et intuition sont arrivés, il me semble, à un parfait équilibre.

RM : Vous accordez une grande importance au fait de jouer, d'être présent sur la scène. Vous arrive-t-il d'interpréter votre propre musique ?

FN : En tant que compositeur, je suis souvent « joué » comme on dit, et je viens saluer les interprètes sur scène à la fin de l'œuvre. J'assiste donc depuis la salle à ma propre création, c'est assez curieux, surtout venant du jazz comme moi où l'on est présent sur scène pendant toute la durée du concert. J'ai souvent dirigé mes œuvres et depuis vingt ans j'ai été amené à le faire dans d'importants projets et pour de grosses formations. Ainsi, pour les spectacles que nous avons réalisés avec le metteur en scène Antoine Juliens, les oratorios théâtraux Nuit dantesque au festival Colla voce de Poitiers en 2002 et Paul Claudel ou le drame de la conversion à Notre-Dame de Paris en 2005, puis l'opéra Au bois lacté à l'Opéra-théâtre de Metz en 2008.

En revanche, je n'avais jamais joué ma propre musique en dehors du jazz et j'ai été amené à le faire pour la première fois avec le ciné-concert L'Inconnu, d'après The Unknown de Tod Browning, au festival Musica en 2018. Je jouais ma partie de vibraphone en dirigeant un quatuor à cordes et un clavier électronique, avec un œil sur l'image et le prompteur pour être calé à la seconde près. Je n'avais jamais joué du Narboni auparavant et ce n'était pas facile, surtout avec une partition d'une heure et quart !

Il y a quatre ans, nous avons créé avec mon fils Lucas qui est saxophoniste le groupe Extensions, avec le bassiste Alain Wittiche et le batteur Jules Emering… J'y joue du vibraphone et du malletkat (vibraphone électronique) et j'en écris la musique. J'ai progressivement intégré aux compositions du groupe, plutôt jazz fusion à l'origine, des éléments venus de mon langage contemporain. Alors que j'avais toujours séparé ma pratique du jazz de mon écriture contemporaine, je tends aujourd'hui à les réunir.

RM : L', la compagnie Les Gens de la voix et le duo Phébus vont fêter vos soixante ans lors d'un concert hommage le 1er octobre prochain : des artistes avec qui vous avez tissé une relation privilégiée…

FN : Ce concert est placé sous le signe de l'amitié et de la fidélité entre un compositeur et ses interprètes. Composer, c'est écrire pour des gens, des interprètes donnés, et cette dimension humaine est pour moi essentielle. On passe du travail solitaire et long de l'écriture à celui plus resserré du travail avec les musiciens et du concert. C'est ce que je fais avec l' que je connais depuis 15 ans et qui est à l'initiative du concert. C'est à l'origine un duo constitué du flûtiste Nicolas Vallette et de la pianiste Agnès Bonjean, auquel nous avons adjoint en fonction des projets une soprano (Isabel Soccoja), des cordes et même un chœur d'enfants. L'idée du concert est de faire jouer par les ensembles présents des œuvres écrites à leur intention et des reprises d'œuvres créées par d'autres formations. Les Pyxis joueront ainsi en duo Paperolles & Becquets composé pour eux en 2021 et, avec le violoncelliste Grégoire Catelin, le Trio « Lydie » écrit pour le Salon de musique auparavant. La compagnie Les Gens de la voix est portée par l'artiste lyrique Céline Laly, professeur au Conservatoire de Paris, qui mène des expériences musicales innovantes mêlant musique et littérature. J'ai écrit pour Les Gens de la voix la dernière scène du spectacle « Helen Keller, un portrait musical » créé à Versailles en juin dernier. Cette scène s'appelle Comprendre la vie, elle sera couplée au concert avec la Chanson de Lily Culottes extraite de l'opéra Au Bois lacté. Phébus est un jeune duo belge constitué de Martin Descamps au marimba et d'Hélène Petit au violon et à l'alto. Ils joueront Jour de colère dont ils m'ont passé commande l'an passé et qu'ils viennent d'enregistrer, ainsi que deux œuvres antérieures, les Due Pezzi pour alto et Lon pour marimba.

RM : Vous avez mentionné plusieurs de vos œuvres, votre catalogue en comprend une centaine répartie sur 40 ans, vous avez 60 ans, c'est encore jeune aujourd'hui ; l'envie de créer est-elle toujours aussi présente et quels sont vos projets ?

 FN : Parmi mes projets à venir, une installation vidéo-musicale d'après Les Aveugles de Maurice Maeterlinck, un concerto pour vibraphone-marimba et orchestre, un nouveau ciné-concert.

Je n'ai jamais cessé de composer depuis plus de 40 ans, c'est pour moi vital. C'est à la fois une gymnastique et une éthique. Une gymnastique que je pratique quotidiennement et une éthique qui se résume à : il n'y a rien sur cette page, et quelques instants après il y a trois notes. C'est là toute ma vie !

Crédits photographiques : © François Narboni

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