L’admirable et audacieux chant du cygne des Dissonances à la Philharmonie de Paris
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 18-IX-2023. Claude Debussy (1862-1918) : La Mer, trois esquisses symphoniques ; Ernest Chausson (1855-1899) : Poème pour violon et orchestre op. 25 ; Arnold Schoenberg (1874-1951) Pelléas et Mélisande, poème symphonique op. 5. Les Dissonances. David Grimal : violon et direction.
Les Dissonances et leur directeur artistique David Grimal repoussent une fois encore les limites du possible avec ce programme d'une audace symphonique inouïe associant La Mer de Debussy, Pelléas et Mélisande de Schoenberg et le Poème pour violon de Chausson.
La dissolution de l'ensemble a été annoncée avant l'été et le dernier concert prévu en octobre 2024 à la Philharmonie de Paris, mettant un terme à une expérience humaine et musicale unique conduite depuis 2004. Personne n'y croyait et pourtant ils l'ont fait : mener à bien une expérience symphonique sans chef d'orchestre, uniquement fondée sur la responsabilité individuelle et sur une nouvelle façon d'aborder les rapports entre musiciens en s'appuyant sur l'écoute mutuelle, la confiance et l'intelligence collective ; un pari réussi depuis presque 20 ans et une nouvelle gageure, ce soir, avec ce programme d'une rare ampleur symphonique, déjà donné tout récemment au Festival Enescu de Bucarest et lors de celui de Besançon, regroupant près d'une centaine de musiciens !
La Mer de Claude Debussy (1905), déclinée en trois esquisses, impressionne par sa dynamique soutenue, par la cohésion orchestrale et le plaisir de jouer ensemble, comme par la clarté et la précision de la mise en place, rehaussée par la qualité des performances solistiques individuelles, mais cette Mer manque d'un petit rien de délicatesse, de scintillements, de nuances et de variations dans la balance des pupitres (suspendue entre forte et mezzo-forte) pour convaincre totalement, touchant peut être, ici, aux limites d'une interprétation sans chef… De l'aube à midi est abordé dans un climat statique et mystérieux (cor anglais) avant que le phrasé ne se creuse sous l'effet des traits des vents (petite harmonie et cor) pour atteindre à un balancement plus ou moins accentué sous l'action de cordes houleuses, des cuivres, de la flûte et des timbales ; Plus agité, Jeux de vagues fait une fois encore la part belle à la petite harmonie sur un phrasé fragmenté, mais non confus, dans une pulvérisation claire et fluide de timbres variés (piccolo, harpe) ; Dialogue du vent et de la mer conclut cette belle interprétation sur une section plus narrative et chaotique, teintée de dramatisme, simulant l'affrontement des deux forces antagonistes (trompette, petite harmonie et cordes graves).
Le Poème pour violon et orchestre d'Ernest Chausson (1896) achève la première partie sur une magnifique interprétation intériorisée et virtuose de David Grimal. Alto, petite harmonie et violoncelles annoncent l'entrée à découvert du violon qui fera longtemps cavalier seul, développant un lyrisme douloureux dans une belle cantilène chargée de nuances et de legato avant d'entretenir un dialogue très équilibré avec l'orchestre où l'on est séduit par la sonorité, le jeu virtuose, inspiré et tendu du soliste. Dans un clin d'œil à Eugène Ysaïe, dédicataire de l'œuvre, David Grimal donne en bis le premier mouvement « Aurore » de la Sonate n° 5 pour violon solo.
Mais le plus captivant reste à venir avec Pelléas et Mélisande d'Arnold Schoenberg (1905) en seconde partie. Poème symphonique inspiré du drame de Maeterlinck, d'une extrême complexité structurelle et thématique où le fil narratif se perd rapidement dans la profusion des thèmes et des couleurs. Force alors, de se laisser guider par la magie des sons, l'éloquence des motifs et par l'entrelacement hypnotique des lignes d'une polyphonie dense dont les Dissonances donne une interprétation d'une grande virtuosité, claire avec de beaux contrechants, exaltante par ses couleurs instrumentales, mais souffrant là encore d'un certain lissage dans l'expression des nuances dynamiques ; une lecture qui enchaine à l'envi les climats, imprégnée de mystère, de sentiment d'attente, de dramatisme et d'urgence, portée par une féérie de timbres, au sein d'un phrasé tendu, très en relief, alternant les épisodes d'un lyrisme sensuel et les crescendos passionnés.
Crédit photographique : © Benoit Linero
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 18-IX-2023. Claude Debussy (1862-1918) : La Mer, trois esquisses symphoniques ; Ernest Chausson (1855-1899) : Poème pour violon et orchestre op. 25 ; Arnold Schoenberg (1874-1951) Pelléas et Mélisande, poème symphonique op. 5. Les Dissonances. David Grimal : violon et direction.