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Berlin. Hangar 1 dans l’ancien aéroport de Berlin-Tempelhof. Hans Werner Henze (1926-2012) : Das Floß der Medusa (Le Radeau de la Méduse), oratorio sur un livret d’Ernst Schnabel. Mise en scène : Tobias Kratzer ; décor et costumes : Rainer Sellmaier ; chorégraphie : Marguerite Donlon. Avec Gloria Rehm (La Mort), Günter Papendell (Jean-Charles), Idunnu Münch (Charon). Chœur de la Komische Oper Berlin ; Vocalconsort Berlin ; Orchestre de la Komische Oper Berlin, direction : Titus Engel
Le Komische Oper se déplace dans l'ancien aéroport de Tempelhof pour un spectacle vain tant par sa réalisation que par l'œuvre choisie.
L'an passé, le Komische Oper Berlin avait ouvert sa saison en transformant sa salle pour y accueillir Intolleranza 1960, avec une scène au milieu du parterre. Cette année, et les prochaines, elle propose un projet tout aussi inhabituel autour d'une grande œuvre du XXe siècle, mais ce sera dans des lieux tout aussi insolites partout dans Berlin : la salle historique de la Behrenstraße est désormais fermée pour travaux. En 2023, le lieu choisi est un hangar de l'ancien aéroport de Tempelhof, celui qui avait accueilli en 1948-1949 les avions du pont aérien destiné à sauver Berlin-Ouest de l'emprise soviétique, lieu éminemment politique et historique donc. L'œuvre n'est pas un opéra, mais l'oratorio de Hans Werner Henze Le radeau de la Méduse, créé en 1968, et tout aussi politique.
À vrai dire, cet ancrage politique ne se voit guère dans le spectacle qui nous est proposé, ni dans la mise en scène jolie et efficace de Tobias Kratzer, ni – et c'est plus gênant – dans le texte médiocre d'Ernst Schnabel (qui plus est à peu près illisible sur des surtitres placés beaucoup trop loin). Cela ne retire rien au caractère spectaculaire de la soirée, ni au triomphe qui accueille les participants à la fin. Il y a, certes, la description d'une société de classe, les élites du pouvoir et de l'argent sur les chaloupes qui peuvent s'éloigner de l'épave, les pauvres diables condamnés à tenter leur chance sur l'éponyme radeau. Mais dire cela, c'est une simple évidence, pas une prise de position politique ; il y a certes, paraît-il, une citation de chant révolutionnaire, l'œuvre est dédiée à Che Guevara, et la première en 1968 avait dû être annulée parce que Henze tenait à orner son pupitre de chef du drapeau rouge – mais une fois ces informations connues, on ne comprend toujours pas ce qui a intéressé Henze dans l'histoire du radeau de la Méduse.
Même la musique de Henze pâtit cruellement des limites du projet : l'ampleur du sujet le convainc d'écrire pour un grand orchestre qui tombe vite dans la surcharge (et la baguette de Titus Engel n'y peut rien), et la forme oratorio l'a conduit à une esthétique simplificatrice qui ne fait pas qu'effleurer les limites du pompier. Œuvre révolutionnaire dans l'intention de ses concepteurs, elle ne l'est ni par la musique, ni par la dramaturgie ; la comparaison avec les chefs-d'œuvre de Luigi Nono, à commencer par Al gran sole carico d'amore, est cruelle pour Henze de ce point de vue, et on peut penser qu'il y a bien plus de subversion dans ses propres Bassarides que dans cette massive parabole. Un choix interprétatif pour ce spectacle vient encore aggraver les faiblesses de l'œuvre : au lieu du narrateur (assimilé à Caron par le livret, sans grand profit), c'est une chanteuse qui raconte l'histoire. Le problème n'est pas le genre : une actrice pourrait aussi bien faire l'affaire, mais Idunnu Münch est visiblement mal à l'aise avec le parler rythmique prévu par Henze, et les couleurs qu'elle tente de produire par le parlé-chanté ne compensent pas son manque de projection.
Entre deux immenses tribunes qui accueillent chacune quelque chose comme 500 ou 600 spectateurs, le décorateur Rainer Sellmaier a installé un grand bassin, sur lequel des bancs immergés font figure de radeau – l'eau sur un plateau de théâtre fait toujours son effet, et il aurait été dommage de s'en priver, même si elle sert ici l'anecdote au détriment du sens. Le metteur en scène Tobias Kratzer, visiblement peu inspiré, fait circuler les choristes des tribunes à la scène et de la scène aux tribunes, il leur fait rejouer la scène sur le radeau tel que peinte par Géricault, et La Mort (Gloria Rehm, impeccable colorature) rôde dans et hors du bassin ; l'usage des fumigènes est spectaculaire, mais vain. Seul Jean-Charles, le marin qui agite le drapeau rouge du salut sur le tableau, reçoit un traitement individuel par Henze ; c'est ici, après Fischer-Dieskau lors de la création avortée (mais diffusée à la radio à partir des répétitions puis éditée au disque), Günter Papendell, membre de la troupe du Komische Oper. Remarquable musicien et interprète passionnant, il apporte les seuls moments d'humanité et d'émotion de la soirée.
Crédit photographique : © Jaro Suffner
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Berlin. Hangar 1 dans l’ancien aéroport de Berlin-Tempelhof. Hans Werner Henze (1926-2012) : Das Floß der Medusa (Le Radeau de la Méduse), oratorio sur un livret d’Ernst Schnabel. Mise en scène : Tobias Kratzer ; décor et costumes : Rainer Sellmaier ; chorégraphie : Marguerite Donlon. Avec Gloria Rehm (La Mort), Günter Papendell (Jean-Charles), Idunnu Münch (Charon). Chœur de la Komische Oper Berlin ; Vocalconsort Berlin ; Orchestre de la Komische Oper Berlin, direction : Titus Engel