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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 16-IX-2023. Dans le cadre du Festival Musica. Simon Steen-Andersen (né en 1976) : Don Giovanni aux enfers, aller-retour aux enfers lyriques en un acte. Conception, mise en scène, décors, vidéos, lumières : Simon Steen-Andersen ; costumes : Thibaut Welchlin ; ingénieur du son : Romain Muller. Avec : Christophe Gay, Don Giovanni, le Hollandais, Orphée ; Damien Pass, La Statue du Commandeur, Polystophélès, Un médecin ; Sandrine Buendia, Une ombre, Alecto, Marguerite, Francesca, Olympia, Senta ; Julia Deit-Ferrand, Tisiphone, Turandot, Sycorax, Eurydice, Une ombre, Une parque ; François Rougier, Faust, Don José, Dante, Paolo, Une parque, Un démon, Un paysan ; Geoffroy Buffière, Leporello, Charon, Macbeth, l’Ombre de Virgile, Barnaba, Iago, Une parque, Un démon, Un esprit, Un secouriste ; Chœur de l’Opéra national du Rhin (chef de chœur : Henrik Haas) ; Ensemble Ictus ; Orchestre Philharmonique de Strasbourg, direction : Bassem Akiki
Dans son Don Giovanni aux enfers, donné en création mondiale à l'Opéra national du Rhin, Simon Steen-Andersen revisite le chef d'œuvre mozartien, prolongeant l'histoire de cette âme damnée qui a rejoint les enfers lyriques.
En partenariat avec le festival Musica, l'Opéra national du Rhin a passé commande au compositeur danois Simon Steen-Andersen, personnalité atypique du monde de la scène lyrique habitué depuis plus de quinze ans à travailler le son autant que l'image. Dans ce que l'on peut considérer comme son premier ouvrage scénique d'envergure (2 heures 15 sans entracte), il prend en charge la musique mais aussi la mise en scène, la scénographie, la vidéo et les lumières.
Compositeur performer et artiste audiovisuel, Steen-Andersen aime s'impliquer en tant qu'acteur dans ses propres spectacles. Aussi le retrouve-t-on dans l'opéra, filmé dans les sous-sols de l'Opéra du Rhin où il tient le rôle d'agent de service. Car la plongée vertigineuse de l'inénarrable séducteur dans la trappe ménagée à cet effet dans la dernière scène du Don Giovanni de Mozart (c'est ainsi que commence l'opéra du Danois) nous propulse tout à la fois dans le cercle maléfique des personnages infernaux et dans les entrailles du théâtre de Strasbourg, autre dédale qui flirte parfois avec le fantastique. « Mon projet a donc aussi un aspect presque documentaire », avoue le compositeur qui aime la création in situ. C'est dans cet entre-deux qu'il agence sa narration, via les ressources de la vidéo et le jeu duel entre la réalité du plateau et la virtualité de l'image.
« J'ai toujours aimé travailler sur du matériau préexistant » prévient le compositeur. Le projet musical du Don Giovanni aux enfers est extravagant, qui consiste à extraire d'une quarantaine d'opéras traitant des enfers (de l'Orfeo de Monteverdi au Faust de Gounod, de Spohr à Boito, etc.) ou mettant en scène des personnages maudits (le Hollandais volant, Turandot, Macbeth, Iago, Robert le Diable, etc.) de courtes séquences musicales et leur environnement orchestral : autant d'objets trouvés que Steen-Anderson va recycler et assembler, respectant la musique, le texte et ses langues respectives : c'est un montage extrêmement virtuose qui met au défi les chanteurs autant que l'orchestre (le Philharmonique de Strasbourg dans la fosse, dirigé par Bassem Akiki). Si Steen-Andersen dit ne pas avoir écrit une seule note de sa main dans l'opéra, il n'en réalise pas moins la partie électronique en phase avec les cinq musiciens de l'ensemble belge Ictus qui viennent jouer sur scène avec arcs musicaux amplifiés et autres guitares électriques : un matériau et une musique issus de la culture populaire (performer hip-hop, musique métal, chanson de Rosalia, etc.) qui trouvent leur place au côté du grand répertoire.
Peu de temps morts dans cette odyssée infernale au rythme soutenu et aux couleurs flashy, contrastant avec la grisaille des sous-sols du théâtre. Elle met au centre de l'action une sorte de Méphistophélès universel nommé Polystophélès (Damien Pass) tenant les rênes de ce récit protéiforme. Il reste au côté de Don Giovanni (Christophe Gay) qu'il met à son service (il fait avec lui des auditions de chanteurs car il prépare un grand spectacle lyrique…), l'incitant à monter dans la barque de Charon. La scène est superbe avec ses colosses aux muscles saillants qui poussent l'embarcation. Les deux Ombres apparaissant de profil rappellent les peintures à figures noires de la céramique grecque antique. C'est dire le soin avec lequel Steen-Andersen conçoit la mise en scène et les lumières. Passent à l'orchestre quelques mesures de la course à l'abîme de la Damnation de Faust de Berlioz : « Hop! Hop! Et au galop » lance Polystophélès.
Les situations qu'engendrent les rencontres inopinées de personnages sont souvent très drôles ; celle de Don Giovanni (« Je crois flairer une odeur de femme ») avec Olympia sur ses patins à roulettes électriques est irrésistible ! Et pour booster l'énergie de la troupe (« L'Enfer a un incroyable talent ») c'est la Toccata de l'Orfeo de Monteverdi qui sert de jingle à cette grande cérémonie festive qui s'achèvera sur la musique de l'Italien.
Comme les autres damnés et personnages maléfiques (certains se flagellent violemment dans cet enfer d'opéra !), Don Giovanni doit expier sa faute ; le châtiment est de nature musicale, Steen-Andersen prenant un malin plaisir, dans la seconde partie de l'ouvrage, à contrarier les intentions de Mozart en bouleversant l'ordre des choses : les airs du Don Giovanni sont entendus mais les personnages qui les chantent ont changé… ainsi notre bourreau des cœurs devient-il la victime, propulsé sur le devant de la scène (celle de la vidéo), seul et entièrement nu !
Six chanteurs aguerris et tout terrain (quatre hommes et deux femmes) se partagent les rôles, entre récitatif, dialogues et airs. Dix pour la basse Geoffroy Buffière (Leporello, Charon, Macbeth, l'Ombre de Virgile, etc.), et presqu'autant (Faust, Don José, Dante, Paolo, une parque, etc.) pour le ténor François Rougier. La soprano Sandrine Buendia et la mezzo-soprano Julia Deit-Ferrand sont aussi polyvalentes que réactives : Marguerite, Francesca, Olympia, etc. pour la première, Tisiphone, Turandot, Sycorax, Euridice, etc. pour la seconde, alliant toutes deux fraicheur vocale et joli timbre. Christophe Gay (Don Giovanni, le Hollandais, Orphée) est un baryton vaillant plein de ressources, usant de toutes les facettes de sa voix pour épouser les humeurs versatiles du rôle titre.
Quant à Damien Pass (La voix du commandeur, Polystophélès, un médecin), robuste baryton-basse, il nous fascine par son autorité scénique et l'assurance d'une voix merveilleusement projetée. Steen-Andersen lui donne des ailes dans les deux superbes séquences vidéo où on le voit voler au-dessus de la scène, accompagné par une guitare électrique aux sonorités floutées. La langue est russe et les deux extraits, Blues du démon rêveur, et Les songes d'or du Démon rêveur sont tirés du Démon (1875) de Rubinstein.
Présent sur toute la durée du spectacle, le chœur (celui de l'Opéra national du Rhin) participe activement, et comme les voix solistes, au montage audiovisuel, qui mériterait parfois d'être mis plus en avant pour une meilleure lisibilité de sa performance. Dans la fosse, Bassem Akiki et ses musiciens jonglent avec les extraits, les époques et les styles pour donner son plein rendement à cette machine infernale, assurant avec une maîtrise confondante la synchronie entre le mouvement scénique et la temporalité de la vidéo.
Crédit Photographique : © Klara Beck
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