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Mirga Gražinytė-Tyla esquisse sa vision de la Deuxième symphonie de Mahler à Berlin

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Berlin. Philharmonie. 12-IX-2023. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 2 Résurrection. Talise Trevigne, soprano ; Okka von der Damerau, mezzo ; Philharmonischer Chor München ; Münchner Philharmoniker ; direction : Mirga Gražinytė-Tyla

Ce Mahler ne ressemble pas à nos habitudes d'écoute, mais les Münchner Philharmoniker ne sont pas à la hauteur de l'enjeu.

Dans la continuité des festivals d'été, la Musikfest accueille à Berlin les grands orchestres internationaux en même temps que les premiers concerts de la saison du Philharmonique de Berlin, sous la tutelle des Berliner Festspiele, organisation créée pendant la guerre froide pour maintenir le lien de Berlin-Ouest avec le reste du monde occidental. Aujourd'hui, l'isolation n'est plus la même, mais la chaîne des festivals est plus vivante que jamais, et de Salzbourg à Lucerne, des Proms à Grafenegg, et donc à Berlin, les orchestres font le tour de l'Europe.

La courte tournée du Philharmonique de Munich a été certainement conçue à l'origine pour Valery Gergiev, avant que ses positions en faveur de la guerre d'invasion contre l'Ukraine ne force l'orchestre à rompre tout lien avec lui. Le choix de l'orchestre pour le remplacer rend le concert plus prometteur, à vrai dire : la directrice musicale sortante du City of Birmingham Symphony Orchestra, , propose une interprétation qui n'a rien à voir avec l'univers sonore de Gergiev, interprétation éminemment personnelle et stimulante à défaut d'être parfaitement aboutie.

Une partie de la popularité de cette symphonie tient à son côté spectaculaire, dès le premier mouvement, jusqu'à l'apothéose finale : ce n'est pas ce qu'a choisi de présenter la cheffe. Les deux premiers mouvements en particulier sont marqués par des tempi très retenus, confirmés par des choix de dynamique soigneusement contrôlés. Cérémonie funèbre où, selon les mots célèbres de Mahler, « vie, combats, souffrances et vouloir » du défunt « apparaissent une fois encore, une dernière fois, devant notre œil intérieur », le premier mouvement n'est pas ici la description directe de ces tourments : au contraire, c'est bien cet œil intérieur qui est mobilisé, induisant une distance, peut-être une nostalgie, que le deuxième mouvement vient approfondir. Il y a une tendresse dans le geste de la cheffe, qu'on peut parfois interpréter comme une forme de mollesse expressive, mais qui fait aussi redécouvrir le parcours dessiné par Mahler, de la vie terrestre à la rédemption : cet univers ouaté peut déconcerter les tenants d'interprétations plus directement tourmentées, mais on y découvre aussi des perspectives singulières vers des recoins intimes que le souci du grand spectacle dissimule généralement.

Le troisième mouvement esquisse un virage qui surprend : sans renoncer à la nuance, choisit un tempo plutôt vif, qui fait ressortir l'ironie sous-jacente du Lied adapté par Mahler pour la symphonie. L'articulation se fait tranchante, la fluidité lumineuse du mouvement général va de pair avec une inquiétude que les mouvement précédents ne trahissaient pas. La suite du mouvement est plus tourmentée, comme un retour au réel et au présent avant les visions lointaines des deux premiers mouvements.

Mais il faut bien avouer que le concert donne une image un peu éteinte du Philharmonique de Munich, qui a, il est vrai, connu bien des vicissitudes, depuis le départ de Christian Thielemann contre son gré (2011), le décès en poste de son successeur Lorin Maazel (2014) et le mandat problématique de Gergiev (2015-2022). Il est bien certain que les musiciens restent individuellement ceux d'un grand orchestre, mais le son d'ensemble reste trop peu malléable, trop uniforme. Il est naturellement possible d'en incriminer aussi la cheffe, mais ce constat n'est pas si différent de nos impressions précédentes de cet orchestre sous d'autres baguettes.

La partie vocale de la soirée est aussi peu satisfaisante. chante avec élégance le Lied du troisième mouvement, mais le vertige cosmique n'est pas là ; la soprano , elle, est difficilement audible et sans expression. Quant au Chœur Philharmonique de Munich, associé à l'orchestre, il est composé d'amateurs chevronnés, mais ne peut tout à fait rivaliser avec les grands chœurs professionnels qu'on entend généralement dans ce répertoire (y compris la concurrence munichoise, avec le chœur de Radio Bavaroise qui a souvent brillé dans cette œuvre avec Mariss Jansons). Le finale manque un peu de couleurs dans ces conditions, mais la masse sonore que la cheffe ne refuse pas pour cette apothéose est bien là, suscitant l'enthousiasme prévisible du public : on voit bien, cependant, que ce triomphe attendu ne doit pas masquer l'originalité de la démarche. Il faudra cependant attendre d'autres concerts avec d'autres orchestres pour en comprendre toutes la force.

Crédits photographiques : © Fabian Schellhorn

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Berlin. Philharmonie. 12-IX-2023. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 2 Résurrection. Talise Trevigne, soprano ; Okka von der Damerau, mezzo ; Philharmonischer Chor München ; Münchner Philharmoniker ; direction : Mirga Gražinytė-Tyla

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