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Les créations de Voix Nouvelles à Royaumont

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Royaumont. Festival de Royaumont 10-IX-2023. Salle des Charpentes.
11h30 : Œuvres de José Luis Perdigón, Tuomas Kettunen, Sofie Meyer, Sara Zamboni, Eda Er, Philippe Leroux. Johanna Vargas, voix ; Yaron Deutsch, guitare électrique ; ensemble Court-circuit ; ensemble Voix Nouvelles ; direction Jean Deroyer et Charles-Eric Fontaine.
15h30 : Philippe Hurel, Chatori Shimizu, Minzuo Lù, Matthew Monaco, Hyeokjae Kim, Ihlara McIndoe, Maxime Mantovani. Johanna Vargas, voix ; Yaron Deutsch, guitare électrique ; ensemble Voix Nouvelles ; ensemble Court-circuit ; direction Jean Deroyer et Fernando Palomeque.

Dix stagiaires de dix nations différentes sont venus à Royaumont durant une quinzaine de jours pour finaliser leur travail auprès des trois compositeurs invités par Jean-Philippe Wurtz à l'académie Voix Nouvelles 2023 : Philippe Leroux, Diana Soh et Du Yun.

Pour les deux concerts de restitution des œuvres, c'est l' et leur chef qui ont investi la Salle des charpentes, accueillant les deux artistes en résidence à la Fondation, la soprano colombienne (déjà présente en 2022) et le guitariste israélien . À l'affiche du premier concert, six créations mondiales dont le dispositif instrumental varie selon la nature des projets.

Drift (Dérive) de l'Espagnol associe la guitare électrique de et le clavecin entendu sous les doigts, poings et avant bras (il a mis des mitaines de protection !) de . L'instrument qui appartient à la Fondation Royaumont est de facture récente (1970), muni d'un cadre d'aluminium qui en accroît la puissance. En témoigne ces impacts percussifs sur le clavier entendus au début de la pièce. Perdigón cherche la complémentarité des deux sources instrumentales dans une musique de gestes particulièrement musclée, modelant les masses sonores via une écriture virtuose qui fait appel aux techniques de jeu étendues. Le clavecin est également joué dans les cordes, avec la clé d'accordage ! La coda, entre lissage et distorsion, est du plus bel effet.

L'ambiance est aquatique et l'univers microtonal dans False reflections pour flûte, clarinette, hautbois, trombone et piano du Finlandais Tuomas Kettunen. De facture délicate, l'œuvre évoluant de la transparence au brouillage acoustique n'est pas sans évoquer le Vortex temporum de Gérard Grisey.

De la Danoise , Dunkles zu sagen (Dire l'obscur) fait appel à un poème d'Ingeborg Bachman et met en vedette la soprano dont la pureté des aigus et la justesse de l'intonation nous comblent. À ses côtés, les trois instruments à cordes à la marge de la saturation entretiennent une tension quasi expressionniste.

L'obscurité est balayée avec Cosmic Magnet de l'Italienne Sara Zamboni qui nous transporte dans sa sphère poétique et lumineuse. Entre voix chantée et parlée, incarne la sorcière qui lance trois sorts nocturnes. La dimension est théâtrale où les instruments (quatuor avec piano) endossent le rôle de l'Aimant Cosmique qui coupe les élans de la sorcière. La proposition est originale autant que l'univers timbral que la compositrice parvient à créer.

La pièce pour voix et électronique de la compositrice turc Eda Er réclame une scénographie et l'obscurité du lieu. Des ballons de baudruche rouges en forme de main sont disposés sur une table éclairée par des bougies, sorte de sanctuaire préfigurant quelque sacrifice morbide. Johanna Vargas a quitté ses bottines rouges pour des basquettes tout confort. Sa voix amplifiée, variant les modes d'énonciation, s'inscrit sur un bourdon entretenu par l'électronique. Elle accroche sur son torse trois mains rouges (seins et sexe). In the cosmic dance, our spirits accrue (le titre de la pièce) sont les mots qu'elle prononce après avoir crevé dans la douleur les trois ballons qu'elle avait épinglés. Captant l'œil autant que l'oreille, Johanna Vargas impressionne par sa tenue de scène et ses qualités de performeuse.

La dernière œuvre de ce premier concert de la journée, Prélude à l'épais, terminée à Royaumont en 2017, est celle de Philippe Leroux. Elle est confiée aux musiciens de l', cinq jeunes instrumentistes et leur chef Charles-Eric Fontaine venus perfectionner leur technique et leur interprétation auprès du maître durant l'académie. Prélude à l'épais est le troisième volet d'un cycle qui vient de se refermer avec L'autre épaisseur, donné en création mondiale au festival Messiaen 2023. Leroux y cherche les correspondances entre le geste instrumental (trajectoire, itération, glissades, etc.) et celui du bras de l'interprète qui reproduit le mouvement dans l'espace. Dans Prélude à l'épais, les musiciens doivent jouer sur leur instrument et dessiner les lettres et les mots d'une phrase de Paul Claudel accompagnée des sons vocaux qui lui correspondent : une nouvelle virtuosité demandée aux interprètes et une expérience audiovisuelle quasi hypnotique pour l'auditeur qui écoute et regarde en même temps.

On retrouve dans l'après-midi l' sous la direction de dans Pour Luigi, une pièce particulièrement virtuose de , directeur artistique de Court-Circuit, qui a, lui aussi, prodigué ses conseils aux jeunes musiciens. La densité de l'écriture et la rythmique sans concession mettent au défi et le chef et les instrumentistes. Leur engagement est total même si la partition très exigeante réclame davantage encore d'assise et d'anticipation du geste de leur part.

Du Japonais Chatori Shimizu, empty manju est un solo de guitare électrique, un instrument plein de promesses qui n'aura tenté  finalement que deux compositeurs ! La pièce très courte séduit par le choix de ses couleurs mais ne convainc pas pleinement au niveau de la conduite formelle. On est davantage charmé par la proposition de la Chinoise Minzuo Lù, When love departs, pour sept instruments. La manière très plastique d'envisager l'écriture semble s'apparenter à celle de la calligraphie et les allures plus ou moins cursives du mouvement du pinceau. Pour la même formation, Mesh de l'États-unien Matthew Monaco relève d'une esthétique proche de la saturation où prédominent l'énergie du geste et l'état fusionnel de la matière sonore. La trajectoire de Keep Me From Ever Completing Anything du Coréen est plus fantaisiste, ciselée et rafraichissante, où se profilent les contours d'une chanson médiévale.

Mirror traps, notre coup de cœur 2023, de la Néo-zélandaise fait revenir sur scène la soprano Johanna Vargas et associe le clavecin au set instrumental. L'écriture tant vocale qu'instrumentale est au service de l'expression, variant à l'envi les techniques de jeu et d'énonciation vocale pour faire entendre les mots de la poétesse Hera Lindsay Bird, le souffle et la participation vocale des instrumentistes aidant. L'émotion affleure durant les dernières minutes où se mêlent lignes instrumentales et vocales dans un espace d'une grande sensualité.

Sans raisons apparentes qui termine en beauté cette journée de la création est une co-commande de la Fondation Royaumont et de l' passée au compositeur et improvisateur , lauréat de Voix Nouvelles 2022. Écrite pour des musiciens dont il connait les capacités instrumentales, la pièce développe sous forme de cycles un jeu virtuose à travers une exploration sonore issue de l'improvisation et une volonté d'inclure des harmonies jazz dans chacune des sections : un processus en marche, nous dit-il, « pour décloisonner mes pratiques d'improvisation et d'écriture ». Le compositeur donne aux interprètes, en fin de parcours, la possibilité de libérer le jeu et le timbre au sein d'une section semi-ouverte qui engage leur improvisation. L'écriture jubilatoire de Sans raisons apparentes se double d'une dimension mélodique toute nouvelle chez le compositeur, l'occasion de mettre en valeur la flûte d' et le hautbois d'Hélène Devilleneuve entendu dans une tessiture médium grave éminemment jazzy.

Saluons l'engagement exemplaire des musiciens de Court-circuit au sein de ce marathon de la création et la direction aussi fine qu'efficace de .

Crédit photographique : © J. Abdi / Royaumont

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Royaumont. Festival de Royaumont 10-IX-2023. Salle des Charpentes.
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