Sietze de Vries complète le Petit livre d’orgue inachevé de Johann Sebastian Bach

L'Orgelbüchlein de Johann Sebastian Bach représente l'un des cycles les plus importants consacrés à l'orgue. L'autographe renferme 45 chorals mais laisse vide un grand nombre de feuillets où l'auteur avait juste indiqué les titres. Sietze de Vries se propose de compléter et d'expliquer ces pages manquantes, à la hauteur des originaux. Il joue à cette occasion deux orgues historiques d'exception aux Pays-Bas.

L'organiste néerlandais Sietze de Vries est maintenant bien connu pour ses travaux et ses interprétations sur la musique ancienne et la manière d'improviser dans le style des maitres du clavier depuis la Renaissance. Cette fois-ci, il nous convie à un défi peu banal : terminer un travail laissé inachevé par Johann Sebastian Bach.

On sait que le Petit livre d'orgue fut composé durant la période de Weimar entre 1708 et 1717, date à laquelle Bach souhaita alors quitter Weimar pour Köthen, mais le Prince de Saxe-Weimar au service duquel il se trouvait le fit alors emprisonner pendant un mois, période durant laquelle le jeune Johann Sebastian en profita pour avancer sur ce recueil pour orgue. Il avait prévu de composer un nombre plus important de chorals, 164 au total, mais laissa déjà de nombreux feuillets vierges de notes de musique (46 environ) où il écrivit le titre des chorals qu'il pensait composer. C'est ce que nous propose ici de compléter Sietze de Vries.

Le luxueux coffret comporte 2 CD où Sietze de Vries interprète à la fois les 45 Chorals de Bach et invente les autres, guidés par les titres et leurs mélodies associées. Pour cela il utilise deux orgues historiques remarquables des Pays-Bas. Le premier est celui de la Martinikerk de Gröningen où l'organiste est titulaire. C'est un instrument de 32 pieds en montre construit par Franz Caspar Schnitger en 1728 et magnifiquement restauré en 1984 par Jürgen Ahrend. L'autre instrument utilisé est celui de la Petruskerk de Leens, contruit par Albertus Anthoni Hinz en 1734 et restauré par le facteur Reil en 2021. Sur un DVD, Sietze de Vries est aux claviers de l'orgue de Groningen pour nous parler de son projet d'écriture des pièces manquantes, à partir non seulement du modèle Bach, mais aussi de toute la sphère musicale antérieure où le choral a toujours occupé une place centrale. Ainsi depuis l'écriture par Martin Luther de son livre de chorals au XVIe siècle, tous les compositeurs organistes ont largement disserté et dans divers styles sur ces mélodies aisément mémorisables et donc connues de tous.

Sietze de Vries offre une alternance agréable des deux instruments aux atmosphères opposées (cathédrale et église de campagne) tout au long du programme, en mélangeant également les pièces initiales et ses compléments. Il faut remarquer tout une interprétation de grande classe et parmi les plus réussies de la discographie, et le niveau supérieur d'écriture et d'exécution des compléments. L'organiste suit la même démarche que Bach qui fut inspiré par les générations précédentes. Il n'hésite pas à chercher des pistes musicales auprès d'auteurs qui l'on précédé et qui ont vénéré Bach depuis le XVIIIe siècle, évoquant par exemple Boëly ou Mendelssohn. L'expérience valait la peine car elle montre de nombreux procédés d'écriture utilisés par Bach et repris par Sietze de Vries dans ces fameuses « pages perdues », titre même de l'album.

Les prises de son sont exemplaires, en parfait équilibre avec les sources et les acoustiques. Le DVD est particulièrement soigné avec de très belles prises de vues aidées d'un drone. Pour ses explications, Sietze de Vries s'exprime en anglais, le DVD ne propose hélas pas de sous-titres multilingues. Sa diction, assez lente et articulée, permet cependant de suivre correctement son discours. Le livret est riche en photos et renseignements sur les orgues. Pour les spécialistes ou simplement pour ceux qui veulent mieux comprendre l'alchimie de l'orgue, toutes les registrations sont spécifiées.

Présenté de cette façon le Petit livre d'orgue devient un grand recueil riche de 91 chorals, le vœu de Johann Sebastian Bach d'achever son ouvrage est ainsi virtuellement exhaussé!