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Au Festival Ravel, l’hommage à Ligeti de l’Ensemble Intercontemporain

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Ciboure. Espace polyvalent. 27-VIII-2023. György Ligeti (1923-2006) : Concerto de chambre pour treize instrumentistes ; Concerto pour piano ; Concerto pour violoncelle ; Concerto pour violon. Sébastien Vichard, piano ; Renaud Déjardin, violoncelle ; Jeanne-Marie Conquer, violon ; Ensemble Intercontemporain, direction : Pierre Bleuse

Rarement donnée au sein d'une même soirée, l'intégrale des concertos de Ligeti s'inscrit dans le week-end très ligetien du Festival Ravel. L' est sous la direction de son nouveau chef qui débute officiellement son mandat de quatre années à sa tête.

Préludant au concert, une conférence de l'éminente musicologue Anne Ibos-Augé nous introduit dans l'univers singulier de qu'elle a choisi d'aborder selon diverses thématiques (le folklore, la polyphonie saturée, l'humour et l'absurde, les références et citations, etc.) : autant d'aspects saillants que l'on allait retrouver dans la musique d'une des figures les plus originales et attachantes de la deuxième moitié du XXᵉ siècle.

Les quatre concertos de Ligeti couvrent quelques vingt-six ans de création (1966-1992) au cours desquels l'écriture musicale évolue au gré des désirs et découvertes du compositeur.

La soirée débute avec le Concerto de chambre pour treize instrumentistes (incluant un clavecin, un harmonium et un célesta) en quatre mouvements dont la trajectoire éminemment libre ne laisse d'étonner. La beauté des lignes jouées dans la transparence au début du premier mouvement (Corrente) saisit d'emblée, que Ligeti brouille ensuite avec un malin plaisir. soigne les équilibres et fait valoir les alliages sonores très singuliers (piaillement des bois, ronflement des cuivres graves) dans le Calmo sostenuto. Les musiciens doivent alors composer avec la pluie et la grêle qui s'abattent sur le toit métallique de l'Espace polyvalent… Plutôt ligetien d'ailleurs, le déchaînement des éléments semble anticiper le troisième mouvement (Movimento preciso e meccanico) dont sont respectées, à la lettre, les indications du compositeur. Les musiciens y ajoutent une touche d'humour et de théâtralité comme cette ponctuation très attendue du célesta en fin de parcours. Toujours dans la mesure et la légèreté, le Presto est jubilatoire et fantaisiste à souhait, qui coupe court, le discours se désagrégeant rapidement jusqu'au silence. La performance des musiciens laisse sans voix !

S'enchaîne sans pause le Concerto pour piano de 1986, dont Ligeti ajouta à la version originale deux mouvements supplémentaires en 1988. C'est une manière renouvelée et une envergure sonore autre qui se manifestent dans ce pur chef d'œuvre révélé dans sa plénitude sonore et rythmique par l'Ensemble et le soliste .

Le premier mouvement (Vivace molto ritmico e preciso) communique d'emblée le caractère festif d'une musique gorgée de références populaires (le set de percussion est important et très actif), embarquant le pianiste dans une folle virtuosité et l'orchestre dans une joute rythmique musclée. Le contraste est radical dans le Lento e deserto du 2, l'un des mouvements les plus exploratoires du concerto avec la présence de l'ocarina alto (légèrement détempéré) joué par le clarinettiste et les canons de sifflets à coulisse. Ligeti dit avoir emprunté à Messiaen une de ses échelles modales. Le fouet claque et la combinatoire rythmique se corse dans le Vivace cantabile et l'Allegro risoluto, molto ritmico. L'équilibre sonore est de rigueur, donnant à entendre cette incroyable complexité obtenue par la superposition des strates rythmiques marchant à différentes vitesses au sein des pupitres. est constamment sollicité, assumant les tours et détours de sa partie avec une aisance déconcertante. « Abolir le temps, le suspendre, le confiner au moment présent, tel est mon dessein suprême de compositeur », rappelle Ligeti dans sa notice d'œuvre.

Après l'entracte, est sur son estrade, dominant légèrement ses collègues musiciens, pour interpréter le Concerto pour violoncelle (1966), nous ramenant à l'époque de la « polyphonie saturée » (ou micropolyphonie) d'Atmosphères (1961) au sein de laquelle s'inscrit l'écriture de ce concerto. Le plus court des quatre (15 minutes), il est conçu en deux mouvements évoluant dal niente al niente.

La musique naît du silence, sous l'archet délicat du soliste qui tisse avec ses partenaires une toile arachnéenne d'une indicible beauté, dans une atmosphère très raréfiée qui nous étreint. La musique est impalpable, fragile et liminale, comme cette tenue du violoncelle dans l'extrême aigu de son registre qu'entretient longtemps le soliste. On est proche du Concerto de chambre (Corrente) dans le second mouvement où le violoncelle tend à se fondre dans la texture globale des instruments. Mais Ligeti le dote d'une cadence éminemment virtuose et c'est lui qui referme le concerto comme il l'a commencé.

Le Concerto pour violon de 1990 est lui aussi augmenté de deux mouvements en 1992. Riche de tous les acquis du compositeur (rappelons son vif intérêt pour la polymétrie complexe des musiques africaines), le concerto puise également ses références dans les formes de la musique ancienne (hoquet médiéval, passacaille, air et choral) portant cet autre chef-d'œuvre, le plus long des quatre, au sommet de la production du compositeur.

était au sein de l'Ensemble lors de la création française du concerto par son dédicataire Saschko Gawriloff et sous la direction de Pierre Boulez. Elle est ce soir sur le devant de la scène : « C'est un concerto très long, qui nécessite un entraînement quasi athlétique et une palette technique très vaste, jusque dans le suraigu », commente la violoniste. Le ton est donné avec un premier mouvement, Præludium (Vivacissimo) où Ligeti s'amuse à hybrider le son du violon avec celui du marimba. Les trouvailles abondent pour faire rayonner le soliste au-dessus de l'orchestre. L'Aria nous captive, que la soliste débute seule, avec cette sonorité généreuse et caressante dont elle a le secret. Elle est bientôt rejointe par les ocarinas quand, instruments sous le bras, les violons assurent le soutien rythmique. Le violon est au sommet de sa tessiture dans le début de la Passacaglia (Lento intenso) où il se cantonne durant pratiquement tout le mouvement, diffusant sa lumière intense au-dessus d'un orchestre multipliant les interventions tapageuses. C'est l'une des pages les plus prodigieuses de cette soirée, portée vers sa plénitude par Pierre Bleuse. L'humour et la fantaisie irriguent un dernier mouvement non moins impressionnant, par la richesse des couleurs et les surprises ménagées par un compositeur qui ouvre l'espace de tous les possibles. Il souhaitait qu'au terme du cinquième mouvement, le ou la soliste termine à sa guise le concerto. C'est la cadence écrite par que a choisi d'interpréter ce soir. D'une virtuosité insolente, elle révèle les capacités d'un violon hors-norme, puissant autant qu'irradiant.

Ainsi s'achève ce concert d'une rare intensité qui fait l'objet d'une tournée en Roumanie. Au vu de la performance, il est permis d'attendre beaucoup de cette nouvelle rencontre entre Pierre Bleuse et les Solistes de l'EIC.

Crédit photographique :© Festival Ravel

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