Orchestre de la WDR & Philharmonique Tchèque au Festival Enescu
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Bucarest. Enescu Festival ; Athenaeum. 28-30-VIII-2023. Le 28 : Jörg Widmann (né en 1973) : Con Brio. Concerto pour violon n°2. Carolin Widmann, violon. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Sonate pour clarinette : Andante ; arr. Widmann. Symphonie n°5 en ré mineur, op.107 “Reformation”. WDR Sinfonieorchester, direction : Jörg Widmann. Le 29 : Dan Dediu (né en 1967) : Formido. Gustav Mahler (1860-1911) : Lieder aus Des Knaben Wunderhorn ; arr. Detlev Glanert. Matthias Goerne, baryton. Béla Bartók (1881-1945) : Le Prince de bois, op. 13, Sz. 60. WDR Sinfonieorchester, direction : Cristian Măcelaru. Le 30 : Bryce Dessner (1976*) : Concerto pour deux pianos et orchestre. Katia & Marielle Labèque, pianos. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n°5 en mi mineur, op. 64. Le 31 : Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n°1 en do majeur, op. 21. Antonín Dvořák (1841-1904) : Rusalka Fantasy ; suite orchestre, arr. Tomáš Ille. George Enescu (1881-1955) : Vox Maris, op. 31. Cosmin Ifrim, ténor ; Lavinia Mamot, soprano. Corul Filarmonicii George Enescu (Chef de Choeur : Iosif Ion Prunner). Česká filharmonie, direction : Manfred Honeck.
Au Festival George Enescu de Bucarest, les concerts d'après-midi permettent une ouverture sur le répertoire d'aujourd'hui en bénéficiant d'orchestres de très haut niveau, à l'instar du Philharmonique Tchèque dirigé par Manfred Honeck, ou de l'Orchestre symphonique de la WDR de Cologne sous les directions successives de Jörg Widmann et Cristian Măcelaru.
Ouvert le 27 août par son directeur musical Cristian Măcelaru, le Festival Enescu retrouve ce même chef le surlendemain en après-midi avec sa formation allemande, pour un programme auquel vient s'intégrer Matthias Goerne. Mais avant d'entendre le célèbre baryton allemand, le concert est ouvert par une courte pièce du compositeur contemporain de 56 ans Dan Dediu. Interprétée pour la première fois dans le pays, Formido présente en quelques minutes un matériau fait de nombreux écarts dynamiques et de contrastes, d'un style cependant difficile à démarquer de nombreuses autres pièces du genre écrites depuis plusieurs décennies.
Matthias Goerne entre ensuite dans l'Atheneum bien rempli, devant un orchestre fourni, très à l'aise pour livrer les sonorités mahlériennes d'abord arrangées par Detlev Glanert. Plus légère que l'orchestration d'Harold Byrns enregistrée par Sinopoli, celle de Glanert sert bien les lieder Zu Straßburg auf der Schanz et Nicht wiedersehen, dans lequel le baryton déploie son style habituel, avec une belle amplitude de grave, sans trop surdévelopper le phrasé. Tous les autres poèmes, de Rheinlegendchen à Der Tamboursg'sell en passant par Revelge et Urlicht –réentendu le soir dans la Symphonie n° 2 – proviennent de l'orchestration de Mahler lui-même, bien mise en valeur par le WDR Sinfonieorchester et son chef, discrètement en retrait pour laisser la primauté à Goerne. Souvent défendu par des femmes, Das irdische Leben est ici le lied qui profite le mieux de la sensibilité du chanteur. En seconde partie, Le Prince de Bois de Bartók joué dans sa version intégrale de ballet attire plus par l'agencement symphonique impeccable que par le discours de Cristian Măcelaru, sa direction avec sa formation allemande jouant plus sur les masses que sur les couleurs, plus éclatantes lorsqu'il dirige le National de France, avec lequel il reviendra pour plusieurs programmes en fin de festival.
La veille, le même orchestre est tenu par Jörg Widmann, pour un concert majoritairement composé de ses œuvres. Pour ouverture, Con Brio utilise un matériau dynamique, un peu trop classique cependant, plein de similarités avec ce que l'on a décrit précédemment pour Formido le lendemain, même si l'écriture plus technique et plus joueuse fait un beau parallèle avec les pièces de Mendelssohn proposées en seconde partie. Bien plus intéressant, le Concerto pour violon n°2 bénéficie de l'archet de la sœur du compositeur, Carolin Widmann, qui débute comme par une redécouverte de l'instrument, en touchant d'abord toutes les cordes sans presque en faire ressortir aucun bruit, puis en cognant toutes les parties du violon avec l'archet, avant de chercher un la qu'elle répète à la voix. Cette longue cadence introductive pourrait faire gadget, mais cette œuvre d'environ trente-cinq minutes créée à Tokyo en 2018 avec la même violoniste est l'une des plus belles partitions du compositeur, écrite en trois mouvements dont le premier, Una ricerca, propose une belle nervosité, tandis que la Romanze médiane apporte une superbe poésie, dans la continuité des œuvres de Szymanowski ou de Zemlinsky. Le final, Mobile, utilise un violon souvent tendu à l'aigu, bien accompagné par un orchestre encore rêveur. Ensuite, Jörg Widmann revient à la fois en tant qu'arrangeur et clarinettiste, pour offrir avec sa superbe un arrangement pour orchestre de l'Andante de la Sonate pour clarinette de Mendelssohn. D'une clarté et d'une projection qui rappellent quel musicien soliste est le compositeur, la sonate précède une Symphonie n°5 un peu trop accentuée, cette « Réformation » bénéficiant surtout d'un orchestre parfaitement adapté, notamment pour livrer l'Amen de Dresde que tout le monde connaît surtout comme thème principal du Parsifal de Wagner.
Le mercredi, le WDR Sinfonieorchester Köln laisse sa place pour deux jours au Philharmonique Tchèque dirigé par Manfred Honeck, étonnamment en après-midi, puisque les soirées des mêmes jours sont laissées au London Symphony Orchestra et à Simon Rattle, présent dans le public de l'Atheneum aux côtés de Măcelaru pour assister au Concerto pour deux pianos de Bryce Dessner. Devant les Steinway & Sons, on retrouve bien évidemment les instigatrices et créatrices de l'œuvre, Katia et Marielle Labèque, la semaine précédente en concert au Festival Ravel avec le compositeur lui-même à la guitare électrique. Créé en 2018 à Londres avant d'être repris notamment à Paris la même année puis avoir été enregistré pour DG l'année suivante, l'ouvrage tire sa matière des enseignements minimalistes, dont il se rapproche d'abord par une évocation de la figure de Glass avant de s'en distancier plus au second mouvement, pour évoquer plutôt John Adams. Très rythmée, ce concerto en trois mouvements fait la part belle aux pianos, toujours très dynamiques dans les arpèges puis les croches très rapides jouées en alternance ou ensemble par deux solistes parfaitement en accord. Stylistiquement très ouvert sur le monde, Dessner n'hésite pas à user de principes qui évoquent le jazz moderne ou le rock, mais avec une maîtrise de l'orchestration qui permet à cette partition de garder toujours la même fraicheur cinq ans après sa création. Consciencieux et impliqué, Manfred Honeck agence le tout en faisant ressortir les plus belles sonorités de sa formation tchèque, de même qu'il le fera ensuite pour la Symphonie n°5 de Tchaïkovski, bien que celle-ci perde en force par une mise en avant de chaque intonation et de chaque accentuation, d'une effusion permanente qui limite l'éclat du discours global.
Crédits photographiques : © Petrica Tanase (Widmann & Honeck) ; © Catalina Filip (Macelaru)
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Bucarest. Enescu Festival ; Athenaeum. 28-30-VIII-2023. Le 28 : Jörg Widmann (né en 1973) : Con Brio. Concerto pour violon n°2. Carolin Widmann, violon. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Sonate pour clarinette : Andante ; arr. Widmann. Symphonie n°5 en ré mineur, op.107 “Reformation”. WDR Sinfonieorchester, direction : Jörg Widmann. Le 29 : Dan Dediu (né en 1967) : Formido. Gustav Mahler (1860-1911) : Lieder aus Des Knaben Wunderhorn ; arr. Detlev Glanert. Matthias Goerne, baryton. Béla Bartók (1881-1945) : Le Prince de bois, op. 13, Sz. 60. WDR Sinfonieorchester, direction : Cristian Măcelaru. Le 30 : Bryce Dessner (1976*) : Concerto pour deux pianos et orchestre. Katia & Marielle Labèque, pianos. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n°5 en mi mineur, op. 64. Le 31 : Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n°1 en do majeur, op. 21. Antonín Dvořák (1841-1904) : Rusalka Fantasy ; suite orchestre, arr. Tomáš Ille. George Enescu (1881-1955) : Vox Maris, op. 31. Cosmin Ifrim, ténor ; Lavinia Mamot, soprano. Corul Filarmonicii George Enescu (Chef de Choeur : Iosif Ion Prunner). Česká filharmonie, direction : Manfred Honeck.