Des impressions d’enfance de Sarah Nemtanu à La Damnation de Faust de Charles Dutoit au Festival Berlioz
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La Côte-Saint-André. Festival Berlioz. 27-VIII-2023. Église. George Enesco (1881-1955) : Impromptu concertant ; Impressions d’enfance op.28. Eugène Ysaÿe (1858-1931) : Rêve d’enfant op.14. Maurice Ravel (1875-1937) : Sonate pour violon et piano. Nino Rota (1911-1979) : Improvviso. Béla Bartók (1881-1945) : Six Danses populaires roumaines. Grigoras Dinicu (1889-1949) : L’Alouette. Sarah Nemtanu, violon ; Romain Descharmes, piano.
Château Louis XI : Hector Berlioz (1803-1869) : La Damnation de Faust. Livret d’Hector Berlioz, Almire Gandonnière et Gérard de Nerval, d’après Goethe. Marc Laho, Faust ; Stéphanie D’Oustrac, Marguerite ; John Relyea, Méphistophélès ; Edwin Crossley-Mercer, Brander. Orchestre de la Suisse Romande, Chœur de Radio France (chef de chœur Josep Vila i Casañas), Les Petits chanteurs de Lyon, Maitrise de la Primatiale/Chœur de jeunes de Rymea, direction : Charles Dutoit
Une journée à la Côte Saint-André effaçant les vicissitudes de cette édition 2023 : la révélation de la Marguerite de Stéphanie d´Oustrac dans La Damnation de Faust dirigée par Charles Dutoit, précédée d'une heure d'enchantement avec Sarah Nemtanu et Romain Descharmes.
L'édition « Mythique ! » du Festival Berlioz tient ses promesses, faisant front à une météo extravagante cette année. La chute brutale des températures après un épisode caniculaire éprouvant n'a en rien attiédi les braises de l'Enfer dans la cour du Château Louis XI, où l'Orchestre de la Suisse Romande dirigé par Charles Dutoit a précipité Faust dans le plus terrifiant des abîmes.
Auparavant, à l'Église de la Côte-Saint-André le public est invité à un retour vers l'enfance : la violoniste Sarah Nemtanu et le pianiste Romain Descharmes, de longue date partenaires de musique de chambre, y donnent une grande partie du programme de leur dernier disque intitulé « Impressions d'enfance », comme cette suite de dix courtes pièces pour violon et piano composée en 1940 par Georges Enesco, pierre angulaire de leur récital. Sarah Nemtanu prend plaisir à présenter au public les morceaux qu'ils vont jouer. Lumineuse, enjouée, elle s'y prête avec d'autant plus d'enthousiasme qu'elle parle ce jour-là de musique roumaine, celle qui coule dans ses veines. Et ce n'est pas un regard nostalgique vers le passé révolu de l'enfance qu'elle nous propose, mais un florilège de souvenirs joyeux et tendres, comme s'il était question de redonner vie à l'enfance, de la refaire chanter, de retrouver ses couleurs intactes. C'est exactement le sentiment que nous en avons à entendre d'abord le virevoltant Impromptu Concertant d'Enesco, puis la Sonate pour violon et piano de Maurice Ravel (créée par Enesco et Ravel lui-même), sonnant avec naturel, parfois avec ingénuité et malice, dans des nuances subtiles tissées de fil de soie, doucement vibrante ou lyrique, selon, s'entretenant avec le piano de Romain Descharmes qui ne manque ni de couleurs, ni de profondeur. Après la tendre respiration du Rêve d'enfant op.14 d'Eugène Ysaÿe, place au monde poétique d'Impressions d'enfance et son ruisselet qui serpente sur des cailloux, son oiseau qui pépie dans sa cage rejoint par un coucou mécanique, sa tempête tumultueuse… Évocations combien vivantes suivies des Six Danses Populaires Roumaines de Béla Bartók, idéalement stylisées et colorées. Puis une incongruité dans ce programme : un plaisir coupable, celui d'une « musique régressive » comme la qualifie Sarah Nemtanu, bref, un bonbon ! Improvviso de Nino Rota est cela, cette friandise joyeuse, frénétique et rêveuse tour à tour, que le duo s'autorise, faisant incontestablement grimper les taux de dopamine dans l'auditoire. La virtuose Alouette de Grigorias Dinicu, telle une dernière « révérence » au folklore roumain, termine le récital dans un tourbillon de gaité.
Après une halte à la Taverne du festival où quelques clés d'écoute sont proposées, le public emplit les gradins de la cour du Château Louis XI pour entendre la Damnation de Faust. Charles Dutoit familier de l'œuvre qu'il a maintes fois dirigée, notamment à la Philharmonie de Paris en 2019, l'année « Berlioz », sait où il emmène ses musiciens, ce soir-là ceux de l'Orchestre de la Suisse Romande et du Chœur de Radio France, et ses 86 ans n'ont rien entamé de son énergie, de sa passion pour cette grande fresque de plus de deux heures, donnée sans entracte. Il en présente une vision unifiée, lyrique et intensément expressive, où l'orchestre est un acteur de premier plan, laissant s'y épanouir les interventions solistes, laissant éclore mille détails expressifs ou suggestifs, comme les pizzicati accompagnant la Romance de Marguerite, tels les battements de son cœur. Sa direction souple et précise retire toute astringence à la Marche Hongroise qui gagne en élégance, en noblesse, jouée sans hâte inutile, en cohérence avec ce qui la précède et la suit. Autre personnage de taille : le Chœur de Radio France, d'une présence particulièrement intense. Les pupitres d'hommes et de femmes sont l'un et l'autre d'une homogénéité et d'une densité saisissantes. Rejoints par les chœurs d'enfants, ils font du tableau final un moment d'apothéose.
Le ténor Marc Laho incarne avec honnêteté le personnage de Faust de son timbre clair dans une diction parfaite. Mais semblant en proie à la fatigue, ses aigus sont peu assurés dans son Invocation à la nature. Sa voix retrouve toute son ampleur et sa fermeté par la suite, dans la quatrième partie de l'ouvrage. John Relyea prête sa riche voix de basse d'une belle assise et sa stature à Méphistophélès, dont il fait un personnage hâbleur, moqueur, dominateur, et jouissant de son emprise. Sa Chanson de la Puce, introduite par un grincement de l'orchestre, est particulièrement savoureuse, tandis que sa voix se fait puissante et effrayante lorsqu'il invoque les esprits (« Esprits des flammes inconstantes… »). Edwin Crossley-Mercer se fait remarquer dans l'unique air de Brander, rondement mené, le timbre homogène, la voix superbement projetée. Enfin Stéphanie d´Oustrac réussit sa prise de rôle, incarnant Marguerite de son chant sensible, sans jamais forcer l'émission de sa voix. En duo avec l'alto solo, son air « Autrefois un roi de Thulé… », puis sa complainte qu'elle chante accablée, abandonnée, suscitent l'émotion, touchent par la sincérité de ses intonations, la justesse de ses phrasés.
Le public unanime salue debout les artistes, par le crépitement de ses longs applaudissements.
A deux pas de là dans la ville, il retrouvera Faust au musée Hector-Berlioz, en visitant l'exposition temporaire « Enfer et Damnation ».
Crédit photographique © Bruno Moussier
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