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L’expérience immersive et sensorielle du 31e Futura

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Crest ; Festival Futura du 24 au 25 Août 2023. Espace Soubeyran. Œuvres de Diego Ratto, Paola Aviles, Lucien Basdevant, Julie Mondor, Sarah Clénet, Philippe Leguérinel, Paul Ramage, Qingqing Leng, Armando Balice, Bruno Capelle, Laurence White, Denis Dufour, Frédéric Acquaviva… Éric Broitmann, Nathanaëlle Raboisson, Olivier Lamarche et Jonathan Prager, interprètes à la console de projection

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Autour du monde : c'est la thématique de la 31ᵉ édition, particulièrement cosmopolite, de Futura, le festival des musiques électroacoustiques basé à Crest dans la Drôme, qui court cette année sur trois jours (du 24 au 26 août) et une nuit blanche venant clôturer la manifestation.


Des compositeurs du monde entier (France, Italie, Japon, Chine, Portugal, Croatie, USA, Autriche, Afrique sub-saharienne, etc.), répondant à l'appel d'œuvres lancé en amont par Vincent Laubeuf, directeur de Futura, sont à l'affiche de l'édition 2023, témoignant de l'envergure internationale de la manifestation. Deux commandes du festival ont été passées aux compositrices Lucie Bortot et Ai Watanabe tandis qu'une place importante est accordée aux pièces récentes et à la jeune génération où se distinguent cette année de nombreuses compositrices.

Galeries sous le soupir des pierres (2023) est la première réalisation publique de Paola Aviles, harpiste de formation classique dont la notice d'œuvre consiste en un long poème servant de trame à la composition. La pièce est un voyage exploratoire tout en nuances et en finesse dont l'interprétation de Jonathan Prager souligne la part d'onirisme. Yin system(2023) de la compositrice chinoise Qingqing Teng, finement interprétée par Nathanaëlle Raboisson, est une commande de la compagnie Alcôme. La musique sous tension, traversée de souffle et à fleur d'émotion, laisse entendre la respiration, le rire et la voix d'une jeune Chinoise. Le titre, Petite Balade En Forêt Avec Marguerite(2023) de Lucien Basdevant est une fausse piste! Étude aux sons animés plus que paysage sonore, la pièce utilise des sons de synthèse, instaurant un jeu sur la résonance, le rebond et les trajectoires. De Julie Mondor, Hécate(divinité grecque à trois têtes) de 2021 ouvre un vaste espace de résonance habité par la présence fantomatique d'une voix ; le travail très soigné sur la texture et l'étirement temporel de la matière que fait valoir l'interprétation d'Éric Broitmann entretient le mystère et la tension de l'écoute. Dans Vertige en entonnoir(2012), Sarah Clenet, artiste sonore formée aux Studios d'Art Zoyd, fait naître un flux sonore puissant et immersif dessinant différents mouvements de spirales. Des voix, dont le traitement masque les paroles, ajoutent à l'étrangeté de la proposition sonore.

Le lauréat du Prix Russolo

Depuis quatre ans déjà, Futura accueille dans sa programmation l'œuvre gagnante du Prix Russolo. Le concours dédié aux musiques électroacoustiques est fondé en 1979, en hommage au compositeur et peintre italien Luigi Russolo (1885-1947). Depuis 2010, l'organisation du concours est assurée par l'association Le Bruit de la neige et son directeur Philippe Blanchard qui a su donner à la manifestation une aura internationale. Ainsi pouvait-on découvrir KOM, la pièce de l'Italien primée en 2022. Interprétée à la console par son compatriote Paolo Castrini, KOM est une œuvre de dix minutes alliant l'énergie du geste et le sens de la trajectoire ; une musique aux arrêtes vives, nourrie de contrastes et de ruptures, qui captive notre écoute.

Les grands formats

Rappelons que c'est (fondateur de Futura) qui fut le premier récipiendaire du Prix Russolo en 1979! Il est à l'affiche de Futura 2023 avec une nouvelle œuvre de grand format (plus d'une heure de musique), FA 67-54, dédiée au compositeur , aussi artiste sonore et ami que Dufour est allé interviewer. Cette nouvelle saga dufourienne prend comme trame structurelle le parcours du compositeur, de sa naissance en 1967 à l'année 2021 où il fête ses 54 ans. Aimant jouer avec les nombres, Dufour choisit, dans le déroulé chronologique de la vie d'Acquaviva, des dates en rapport avec la série de Fibonacci (1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, etc.). Les propos volontairement succincts voire énigmatiques du compositeur invité à témoigner de sa trajectoire d'artiste sont systématiquement traduits en anglais puis brodés, prolongés, commentés par les actions sonores/improvisations de la chanteuse Loré Lixenberg et de l'artiste multimédia Hém-ish. Ce dernier, qui prête sa voix à la traduction anglaise, souffle également dans un superbe cor tibétain dont Jonathan Prager, aux manettes, magnifie le rendu sonore. L'invention et la liberté de ton sont la règle, entre fantaisie débridée, humour décapant et virtuosité du montage. En phase avec l'ordonnance numérique, la pièce dure… 67'54 »!

Évoquée dans la pièce de , Séminal (2020-21) de est donnée dans la foulée, interprétée par Olivier Lamarche. D'envergure elle aussi (49′), la pièce convoque une locutrice, l'artiste ORLAN, une chanteuse, un orchestre et l'électronique. C'est la version acousmatique (entièrement fixée sur support) qui est donnée ce soir en création. Le texte consiste en une liste d'événements cosmologiques à venir, dit dans un mauvais anglais par la locutrice environnée par une constellation de sons instrumentaux : ainsi cette pièce conceptuelle se déroule-t-elle selon un même protocole, évoluant dans sa deuxième partie vers une densification du tissu orchestral lorsque les instruments se mettent à jouer simultanément.

Varier les propositions

Pour croiser les publics, former les jeunes oreilles et initier les néophytes, Futura a à cœur de diversifier ses propositions. Ainsi consacre-t-il une matinée aux jeunes enfants et aux parents qui les accompagnent (mini Futura) via un concert participatif taillé sur mesure pour le jeune public : Tango de l'oubli de , The Koala song de Jonathan Prager, Lullaby de Roger Cochini, La mousson de sont à l'affiche de la rencontre.

Dans le but de mieux entendre l'orchestre de haut-parleurs (acousmonium), une séance, matinale également, de comparaison d'interprétation d'une même œuvre (des extraits de la Symphonie acousmatique de ) permet aux auditeurs d'évaluer les variations d'une interprétation à l'autre. L'œuvre est projetée par trois acousmates (Jonathan Prager, Olivier Lamarche et Nathanaëlle Raboisson), laissant apprécier le niveau des dynamiques, la manière singulière à chacun.e de gérer le mouvement dans l'espace ou encore de choisir ses haut-parleurs en fonction de la couleur souhaitée. Une vidéo réalisée par Pierre Couprie, chercheur dans le domaine des musiques de support et fidèle de Futura, permet de visualiser sur l'écran l'acoumonium et l'activité des haut-parleurs en live durant les interprétations. Passionnant!


En soirée cette fois, le concert Acousma-vidéo, associant le son électroacoustique et l'image, réunit sept propositions de haute tenue parmi lesquelles nous retiendrons le projet collectif d'Armelle Devigon (chorégraphe), Karen Fenn (compositrice), Gwen Mulsant (vidéaste) et Corinne Frimas (voix), quatre artistes qui font converger leur talent dans Les Herbes folles (2021) ; parmi les œuvres les plus récentes, citons encore Lightbending (2022) de Rossella Calella et Sons d'anthropocène de Michel Titin-Schnaider donné en création.

Concert « au sol » et dans le noir, la Nuit blanche de minuit au petit matin (8 heures) enchaîne en un flux continu quelques quarante pièces acousmatiques et élargit son cercle d'interprètes (Paolo Castrini, Ayako Sato, André Fèvre, Sarah Clenet, Anne Foucher et Ai Watanabe), six compositeurs.trices qui ont tous fait le stage d'interprétation proposé chaque année une semaine avant le festival.

Les rendez-vous annuels

Futura compte un certain nombre de compositeurs fidèles qui, tous les ans, réalisent une œuvre nouvelle dont le festival à la primeur. Aux cinq acousmates retenus dans cette chronique 2023, il faudrait ajouter les compositrices Lucie Prod'homme et Agnès Poisson, le collectif Acousmaki, Frédéric Kahn, Éric Broitman (également interprète à la console) et Tomonari Higaki, que nous n'avons pas pu écouter cette année.

On respire l'air du large avec dans Battements de la mer, commande 2023 de l'ensemble Cairn. Le compositeur ouvre l'espace et laisse au départ fonctionner les quatre strates rythmiques jusqu'à épuisement de l'énergie ; si le bruit blanc de la vague est omniprésent, la toile sonore et la qualité du matériau se renouvellent, modifiant les espaces via d'habiles fondus enchaînés que Jonathan Prager anticipe avec la plus grande délicatesse.

Les ondes sonores se superposent et nourrissent le flux musical, aussi caressant qu'apaisant, que rehausse de scintillements et autres touches colorées dans Dix divagations (2019) dont Olivier Lamarche accompagne la souplesse du geste.

De Laurence White, L'Ohm et la mort (2023) est « le premier volet d'un diptyque qui se déroule comme un paysage perpétuel », nous dit la compositrice. Les chocs lourds d'une peau grave percutée débutent la pièce dans un registre sombre ; c'est l'amorce d'un voyage intérieur où souffle, voix et instruments se confondent ; des motifs fonctionnent en boucle sur lesquels s'inscrivent des figures singulières, tel ce geste balayant les cordes d'un pseudo-piano. La musique nous tient en haleine et nous invite à déchiffrer les signaux de cette cérémonie secrète et imaginaire.

Fidèle d'entre les fidèles, Philippe Leguerinel est chaque année à l'affiche de Futura avec une nouvelle œuvre inscrite à son catalogue. Suite diaphane en quatre mouvements (2023) « est avant tout la concrétisation d'une idée plastique […] », nous dit le compositeur, donnant lieu à un travail spécifique autant que radical sur la matière, les dynamiques et le mouvement : une conception très/trop sophistiquée peut-être qui nuit un rien à la perception globale de la pièce.

De , Romance is a Ticket to Paradise(2023), notre coup de cœur, est le premier volet d'un cycle intitulé À l'article de l'Amour. La pièce met à mal, et non sans humour, l'écoute d'une pièce qu'un groupe de rock est en train de répéter, le compositeur hachurant, coupant, bouclant une musique « empêchée » dont on ne percevra que des bribes prometteuses et les applaudissements qui l'accompagnent!

Installé depuis 2001 à l'espace Soubeyran, le festival Futura voit sa position fragilisée et son avenir menacé par les restrictions financières et le peu de moyens qui lui sont alloués. Unique en France et rayonnant aujourd'hui à l'international, gageons que ce festival des musiques acousmatiques saura trouver le soutien et l'aide matérielle nécessaire pour pouvoir résister.

Crédit photographique : © Pierre Couprie

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