Le Quatuor Ébène à Salzbourg, trois siècles de musique
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Salzbourg. Mozarteum. 6-VIII-2023. Henry Purcell (1659-1695) : 5 Fantazias ; György Ligeti (1823-2006) : Quatuor à cordes n° 1 Métamorphoses nocturnes ; Robert Schumann (1810-1856) : Quatuor à cordes n° 1 op. 41/1. Quatuor Ébène
Une interprétation tenue et pleine de surprises donne une cohérence remarquable à un programme audacieux dans sa diversité.
Attention, ils sont partout ! Qui donc ? Les Français ! La programmation du Festival de Salzbourg affiche cette année un nombre inédit de musiciens français, de Pierre-Laurent Aimard qui triomphe dans trois concerts autour de Ligeti aux musiciens des Siècles, d'Alexandre Kantorow et Renaud Capuçon dans Brahms à David Fray, de Lea Desandre, Raphaël Pichon et Sandrine Devieilhe dans Le nozze di Figaro à Maxime Pascal dans la Passion grecque de Martinů, et voilà que le Quatuor Ébène réussit à attirer au Mozarteum un public qui occupe jusqu'à la dernière place. À vrai dire, le quatuor est cette fois moins français que d'habitude : Raphaël Merlin est remplacé au violoncelle par le jeune Ukrainien Aleksey Shadrin, arrivé seulement pour cette dernière semaine de la saison du quatuor. Il est difficile de savoir ce qui, dans notre perception, peut être justifié par les difficultés de cette situation : sans doute le quatuor aurait-il pu donner un peu plus de variété et d'expression aux cinq fantazias de Purcell qui ouvrent le programme, choix original et méritant qui ne convainc ici pas pleinement. L'adaptation du répertoire antérieur à Haydn au quatuor à cordes est souvent payante, de Bach à la musique médiévale, mais la sonorité comme l'agogique sont ici trop lisses pour donner vie à ces partitions.
Une fois de plus dans la programmation salzbourgeoise pour le centenaire de Ligeti, l'exécution de son premier quatuor, Métamorphoses nocturnes, se termine non pas par les applaudissements polis d'un public bien élevé, mais par une véritable ovation de l'ensemble du public, qui laisser penser que la réception de cette musique a franchi un palier décisif : loin de l'entre-soi du monde de la musique contemporaine, un compositeur qui revendiquait son exigence a trouvé son chemin vers le cœur et le cerveau des mélomanes. La pièce de Ligeti correspond bien, dans l'interprétation des Ébène, au surnom que lui a donné Kurtág, « Septième quatuor de Bartók », mais pas seulement : à côté de l'héritage qui est le sien, Ligeti laisse voir bien des aspects de son œuvre à venir, et les musiciens font bien entendre cette situation entre les mondes qui est celle du jeune compositeur.
Après l'entracte, le quatuor revient au grand répertoire avec le premier quatuor de Schumann : ce choix s'explique aisément quand on écoute ces premières mesures fantomatiques, qui semblent sortir du même monde incertain et changeant que celui du quatuor de Ligeti – on entend ce soir les inquiétudes et les visions d'un artiste toujours en quête, plutôt qu'une immédiate expansivité romantique, même dans la vivacité du finale. Rarement la partie lente au centre de ce finale n'aura paru aussi nécessaire, aussi étroitement liée à la répétition obsessionnelle du thème du presto qui précède et qui suit. La cohérence du programme pouvait paraître douteuse à la simple lecture, mais l'interprétation du Quatuor Ébène montre bien la pertinence dramaturgique de ce parcours musical sur trois siècles.
Crédits photographiques : © SF/Marco Borrelli
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