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La Suite Kalevala de Uuno Klami

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Avec la Suite Kalevala, le compositeur finlandais (1900-1961) nous permet d'apprécier une œuvre passionnante, singulière et bien distincte de la pensée et de l'orchestration dominantes du plus célèbre compositeur nordique du XXe siècle, (1865-1957).

Un parcours artistique original

poursuit ses études de composition à l'Académie de musique d'Helsinki au début des années 1920, époque durant laquelle la gloire de occultait involontairement de nombreuses personnalités nordiques et jouissait d'une aura internationale exceptionnelle.

Durant son parcours original, nombre de compositeurs finlandais créaient dans le cadre d'un registre créateur s'inscrivant dans un courant national-romantique traditionnel. Mais déjà des modernistes finlandais voulaient faire entendre leur voix et réclamaient une ouverture vers le modernisme radical d'une grande partie de l'Europe. n'appartenait à aucun de ces deux pans principaux et opposés. Néanmoins, le grand concert dédié à sa musique en 1928 bouscula quelque peu la manière de percevoir la musique.

Une influence française patente

Pour son premier voyage d'études à l'étranger en 1924-1925, Klami choisit Paris. Son intérêt pour la musique française était déjà palpable dans ses premières œuvres de musique de chambre composées pendant ses études à Helsinki. Il allait devenir un maître de l'orchestration dans son pays. Elève de , orchestrateur solide, il vénère également la « superbe sonorité orchestrale » de qu'il semble avoir connu personnellement sans pour autant suivre régulièrement son enseignement. Il fut aussi fortement impressionné par les œuvres de la « période russe » d'Igor Stravinski, appréciées dans la capitale française. Il découvrit aussi des œuvres de Prokofiev et de Manuel de Falla. Il s'intéressa par ailleurs aux œuvres françaises plus anciennes (Rameau et Couperin).

Lors de son second voyage d'études, il se rendit à Vienne, en 1928-1929, où il eut pour maître Hans Gál, et fut nettement moins influençable ayant probablement déjà bien forgé sa personnalité créatrice tant au plan de la tonalité que de la virtuosité instrumentale. Il se montrait très sensible à la beauté du son et affichait moins d'intérêt aux aspects théoriques restant axé en priorité sur les traits spécifiques finlandais de la musique. La composition sera sa principale source de revenus mais il écrivit aussi des comptes-rendus pour le quotidien Helsingin Sanomat (1932-1959). Il est élu membre de l'Académie finlandaise peu de temps avant sa disparition le 26 mai 1961.

Retour aux bases kalévaléennes

Il composa sa Suite Kalevala, une des pièces orchestrales les plus fortes et les plus impressionnantes de son catalogue qui devint une des créations incontournables de la musique finlandaise de la première moitié du XXe siècle.

On connaît deux stades distincts à ce poème symphonique remarquable. Sa version originale riche de 4 mouvements qui fut créée en 1933 tandis que sa version finale comportant 5 mouvements date de 1943. On sait que les premières esquisses de l'œuvre furent établies lors de son séjour parisien. Il se pencha sur l'épopée populaire finlandaise, le Kalevala, œuvre qu'il emprunta à la bibliothèque de l'université de la Sorbonne. Ces textes majeurs avaient été compilés dans les provinces finlandaises par un médecin finnois nommé Elias Lönnrot (1836 et 1849).

Son idée première était de composer un oratorio sur des thèmes de cette épopée. Dès 1929, il envisagea de composer « 16 tableaux du Kalevala pour solistes, chœur, orgue et orchestre ». Deux années plus tard (1931), il confia qu'il avait achevé un « Oratorio Kalevala » en 12 mouvements. Il ne semble pas exister grand-chose des nombreuses pages composées alors. Seule survit la partition de l'introduction qui est une version précoce de la Création de la Terre, laquelle deviendra le premier mouvement de la suite telle que nous la connaissons aujourd'hui. Quant aux autres mouvements, il en existe plusieurs moutures. En 1933, Klami planifia pour l'année du jubilé du Kalevala (1935), une œuvre scénique devant durer toute une soirée, projet qu'il associait à une forme ancienne de tragédie grecque faisant appel à un narrateur et à un corps de ballet au cours de 18 tableaux fêtant l'histoire et les héros du Kalevala. Ces hypothèses de travail n'avaient encore jamais été traitées auparavant en Finlande.

Finalement, en 1933, Uuno Klami composa la version originale sa Kalevala Suite, pour orchestre, op. 23, en 4 mouvements : Création de la Terre, Pastorale, Berceuse et la Fabrication du Sampo. Le titre proposé était à ce stade Choregraphic Pictures from the Kalevala. La création de 1933 se déroula sous la baguette du fameux chef finlandais Georg Schnéevoigt, successeur du grand Robert Kajanus. Durée : environ 27-33 minutes. Le célèbre chef d'orchestre (et compositeur), Armas Järnefelt, beau-frère de Sibelius, critiqua le manque d'équilibre de l'œuvre, car à ses yeux il manquait un scherzo. En réaction Klami composa le scherzo « manquant » en 1934, qui reçut le titre de Lemminkäinen's Island Adventures. Cet ajout ne clarifia pas l'effet recherché et au contraire amplifia l'incohérence et gêna la compréhension de la pièce. En conséquence, cette section fut retirée et proposée comme une partition indépendante.

Pour finir, Klami s'engagea dans une ultime révision entre 1942 et 1943 dont résulta la forme définitive en 5 mouvements (avec un nouveau mouvement nommé Terhenniema et révisions des mouvements préexistants). Le tout aura demandé 14 années. La première présentation eut lieu à Helsinki lors du troisième concert entièrement consacré à sa musique en octobre 1943. L'orchestre était placé sous la direction de Toivo Haapanen. Le succès fut incontestable. L'œuvre reçut pour titre en anglais : 5 Tone Picture for large orchestra et en finnois : Kalevala-sarjat.

Les forces orchestrales sont conséquentes et en appellent à : piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, cor anglais, 2 clarinettes (si b), clarinette basse, 2 bassons, contrebasson ; 4 cors (en fa), 4 trompettes (si b), 3 trombones, tuba ; timbales, cymbales, grosse caisse, harpe, cordes.

Lors de son premier stage parisien, Klami eut l'occasion de découvrir des œuvres passionnantes qui sans doute laissèrent des traces, des impressions, des idées et provoquèrent diverses stimulations créatrices. Elles rendent sans doute compte des métamorphoses profondes subies par le processus compositionnel. Ainsi Klami entra-t-il en contact avec l'oratorio Le roi David et Pacific 231 pour orchestre d'Arthur Honegger. Ces deux œuvres jouissaient d'une grande renommée et étaient très appréciées du public des concerts parisiens. Il entendit avec un grand intérêt, en version de concert seulement, le fameux Sacre du printemps de Stravinski. Darius Milhaud connaissait aussi la renommée avec sa pièce La Création du monde défendue par les fameux Ballets suédois.

Les cinq mouvements de la suite

Uuno Klami fait de sa Suite Kalevala une brillante fresque orchestrale nourrit à diverses sources, qu'il s'agisse de l'écriture inspirante de Ravel ou d'une forme de primitivisme personnel issu de Stravinski, mais n'oublie aucunement de conserver l'héritage orchestral directement puisé dans la littérature musicale finlandaise.

Premier mouvement : Maan synty/ The Creation of the Earth/ La Création de la Terre

Il est noté Agitato e misterioso et dure environ 6'40. Il est sûrement inspiré par la première rune du Kalevala qui avait été retenue par Milhaud pour sa Création du monde (et Sibelius pour Luonnotar).

Klami propose un puissant crescendo orchestral, impose une tonalité singulière reposant sur une série de symboles musicaux et conclut cette pièce par une acmé étincelante, colorée et retentissante. Les forces cosmiques semblent suivre un chemin complexe, irrépressible, progressant inexorablement du vide sidéral à peine palpable vers un hymne triomphant dédié à la planète Terre vénérée. Le tout se soumet à un souffle mystique et vital caractéristique du printemps qui permet le renouveau cyclique de la nature. Les crescendos du mouvement ne peuvent laisser indifférent par leur puissance frénétique et leur empressement à stimuler l'imagination des auditeurs. L'ombre du Sacre du printemps de Stravinski (sous forme d'une sorte d'extase primordiale) existe mais Klami se garda bien de tout rapprochement excessif et dommageable.

Deuxième mouvement : Kevään oras/The Sprout of Spring/Le printemps surgit

De tempo lent le compositeur le qualifie d'Andante, molto tranquillo, il dure un peu moins de 5'. Il débute sans pause (attacca) à la fin du premier mouvement. Il le pare d'une mélodie belle, attachante, bienveillante, d'une modalité ambiguë personnelle et d'une ouverture sur les grands espaces. Certaines pages évoquent L'Oiseau de feu de Stravinski et confortent sa nature pastorale.

Troisième mouvement : Terhenniemi

Il s'agit d‘un Allegro, leggerio e scherzando (durée : 6‘) dont les premières notes furent couchées sur le papier à musique pendant la guerre (en 1941 ou 1942). Ce scherzo sera ajouté à la suite originale en 1943. Il ne fait pas référence à une rune précise du Kalevala.

Terhenniemi est une peinture diaphane représentant un paysage brumeux et une atmosphère empreinte de sensualité, brillamment orchestré (mais avec légèreté) et dépourvu d'emphase excessive délivrant une beauté incontestable.

Quatrième mouvement : Kehtolaulu Lemminläiselle / Cradle Song for Lemminkäinen/Berceuse pour Lemminkäinen

Ce mouvement mélancolique et grave de presque 5' est un Andante mosso inspiré par l'image de la mère de Lemminkäinen, sorte de don Juan de cette épopée, qui se tient à genoux devant le corps sans vie de son fils. Il s'agit aussi d'un célèbre tableau, magnifiquement rendu par le peintre et illustrateur Axel Gallen-Kalleva, grand ami de Sibelius. Sibelius et Gallen-Kallela en offrent une vision extrêmement sombre, chez Klami un certain classicisme domine magnifiquement. Là encore, certains passages évoquent le monde féérique de L'Oiseau de feu de Stravinski.

Cinquième mouvement : Sammon taonta/ The Forging of the Sampo/Fabrication du Sampo

Le dernier mouvement de la Suite Kalevala est un Allegro moderato ; il dure environ 6'50. Ici, Klami s'appuie sur l'ancienne musique runique finlandaise associée au Kalevala comme le montre le thème à la clarinette du début et ensuite celui confié au trombone con sordino sur un ostinato qui n'est pas sans faire évoquer la Symphonie de psaumes de Stravinski. Le déroulement des thèmes se trouve interrompu à deux reprises par un air relié à la forge (comme dans le Sacre du printemps). L'atmosphère s'apparente toutefois à celle d'un conte de fées idéalisé faisant penser aussi bien à Rimski-Korsakov qu'au jeune Stravinski. Cette ultime section de la Suite Kalevala constitue sans aucun doute le sommet de l'œuvre monumentale et colorée avec ses impacts puissants sur l'auditeur (thèmes, cadences, harmonies s'unissent merveilleusement). Rappelons que le Sampo était dans la mythologie finlandaise la source mystérieuse et indéfinie de toute réussite à qui le possédait.

La Suite Kalevala fut jouée aussi à l'étranger, par exemple en Angleterre, Espagne, Italie et Etats-Unis… et sous la baguette de chefs renommés comme Leopold Stokowski, Antal Dorati, Albert Wolf, Basil Cameron, Dean Dixon…

La modernité musicale qui se manifesta en Finlande dans les années 1950, sous forme d'atonalité et de sérialisme, contribua à marginaliser le catalogue de Klami. Cette situation changera au cours des années 1980 qui virent le retour en grâce de son esthétique dont il est dit qu'elle introduisit le néoclassicisme dans la musique finlandaise.

En conclusion

Dans ce poème symphonique enthousiasmant Uuno Klami synthétise avec talent diverses sources d'inspiration, bien délimitées, sans jamais empiéter sur le domaine de Sibelius (risque qu'il évita très soigneusement), au profit d'une musique personnelle, autonome et digne d'être jouée beaucoup plus souvent au concert, sur les radios et à l'enregistrement.

Sources bibliographiques

Henri-Claude et Anja Fantapié, Une histoire de la musique finlandaise, L'Harmatan, 2019.

Ruth-Esther Hillila & Barbara Blanchard Hong, Historical Dictionary of the Music and Musicians of Finland, Greenwood Press, 1997.

Kimmo Korhonen, New Music of Finland, New Music of the Nordic Countries, copyright John D. White, 2002.

Ilkka Oramo, Klami, Uuno, New Grove Dictionary of Music and Musicians, Macmillan Publishers Limited, 1980.

Erkki Samenhaara, Kalevi Aho, Finnish Music, Otava, 1996.

Symposion Uuno Klami 1900-2000. Actes. Sibelius Academy – Est Publication series n° 10, Helsinki, 2003.

Helena Tyrvaïnen, Les musiciens finlandais à Paris au tournant des XIXe et XXe siècles : dans les remous du cosmopolitisme et du nationalisme, Relations internationales n° 156. PUF, 2014

Références discographiques (sélection)

Orchestre symphonique d'Islande, dir. Petri Sakari, Chandos CHAN 9262, 1993. 32'38.

Orchestre symphonique de Lahti, dir. Osmo Vänskä, BIS-CD-676, 1994. 29'43.

Orchestre symphonique de la Radio finlandaise, dir. Leif Segerstam, Finlandia 4509-99968-2, 1987. 31'51.

Orchestre philharmonique de Turku, dir. Jorma Panula, Naxos 8553757, 1966. 29'

Orchestre philharmonique d'Helsinki, dir. John Storgårds, Ondine ODE 1143-2, 2009. 32'25.

Orchestre symphonique de Lahti, dir. Dima Slobodeniouk, BIS-2371, 2017. 29'15.

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