Festival Pablo Casals : magie et envoûtement à la grotte des Canalettes

Le 10 août 2023 par Michèle Tosi

Plus de détails

Villefranche de Conflent.Grotte des Canalettes. 4-VII-2023. Dans le cadre du Festival Pablo Casals. Sofia Avramidou (née en 1988) : Dimorphos, pour voix, contrebasse, électronique et vidéo. Sofia Avramidou, composition et chant ; Nicolas Crosse, contrebasse ; Thomas Pénanguer, scénographie visuelle

France

Occitanie
- Villefranche-de-Conflent

C'est un rituel désormais au Festival Pablo Casals : la soirée dans la grotte des Canalettes (où la température ne dépasse pas les 14 degrés !) est dédiée à la création et à la musique amplifiée qui sied tout particulièrement à l'acoustique des lieux.

En co-production avec la compagnie Flashback de Perpignan, Pierre Bleuse a passé commande à la compositrice et chanteuse grecque Sofia Avramidou, qui est ce soir tout à la fois interprète et compositrice. Sur le plateau, et pour la première fois hors de son pays, elle chante au côté du contrebassiste (et soliste de l'Ensemble Intercontemporain) Nicolas Crosse dans Dimorphos, sa nouvelle pièce, magnifiée par la création vidéo de Thomas Pénanguer, où la musique traditionnelle se frotte à l'écriture d'aujourd'hui.

Sofia Avramidou chante le répertoire traditionnel de son pays depuis son enfance, bien avant d'entreprendre sa formation de musicienne : à l'Université de Thessalonique d'abord puis à l'Académie Santa Cecilia de Rome où elle travaille la composition avec Ivan Fedele. Elle arrive en France en 2019 pour suivre le Cursus de l'Ircam.

Pour cette proposition singulière, Sofia Avramidou a choisi six chansons grecques qui vont alterner voire se tuiler avec les solos de la contrebasse passés au filtre des logiciels de transformation. C'est Nicolas Crosse qui donne le ton avec ce bourdon entretenu sur son instrument au début de la pièce : fréquence grave relayée par l'électronique qui fluctue, ondule, s'épaissit, se distord et dévoile son spectre d'harmoniques aiguës via les manipulations électroniques effectuées par la compositrice depuis son ordinateur et grâce au logiciel Ableton live.

Au terme de cette première trajectoire aventureuse, le contrebassiste prélude sur son instrument, au-dessus d'une note tenue sur laquelle vient s'inscrire le chant de Sofia Avramidou. La voix est suave et caressante, d'une infinie tendresse, et la ligne mélodique délicatement ornée, parfois à fleur de lèvres, qui évolue dans un espace relativement restreint, laissant apprécier la beauté et les couleurs de la langue grecque. Les textes des chansons, dont on peut lire la traduction sur le programme, diversifient les registres : du rêve (La petite amende) au poème nostalgique (Tes cils brillent), du désir amoureux (La bergerie, Missirlou) à la chanson à boire. L'interprète s'adresse au public pour présenter la dernière chanson (Comme l'immigrant) qu'elle dédie au souvenir de Pablo Casals (1876-1973) dont le festival fête le cinquantième anniversaire de la mort. La contrebasse reste très active et participe de cet enchantement, relayant la voix entre les strophes dans de courtes improvisations qui lui font écho. Passé le premier saisissement, le public se met à applaudir à la fin de chaque chanson.

L'espace s'ouvre avec les interventions solistes de la contrebasse amplifiée, projetant à travers les haut-parleurs des morphologies étranges et bruitées lorsque l'interprète explore les potentialités sonores de son instrument : avec un peigne qui gratte les cordes au niveau du chevalet ou une baguette de percussion à tête de caoutchouc qui les percute. Avec la même aisance déconcertante, Nicolas Crosse fait sonner sa contrebasse dans tous les registres, tantôt guitare électrique sous ses pizzicati virtuoses ou violoncelle lorsqu'il fait chanter l'instrument avec une étonnante souplesse d'archet. Sofia Avramidou est aux manettes, entre diffusion de sons fixés (une trame électroacoustique a été réalisée pour enrichir le discours) et traitement live des sons instrumentaux.

Dans la grotte des Canalettes, l'œil est autant sollicité que l'oreille via la scénographie visuelle de Thomas Penanguer qui enchante le lieu et ajoute à sa fantasmagorie, tant par les couleurs que le mouvement qui les anime. La vidéo est projetée sur les reliefs de la paroi rocheuse qu'elle fait flamboyer ou qu'elle plonge dans des obscurités inquiétantes : pluie de flammèches bleutées tombant sur les interprètes, montées en spirales de gerbes de lumière accrochant les stalactites, nappes moirées et enveloppantes qui transfigurent le paysage ; le décor naturel a enflammé l'imagination de Thomas Penanguer dont la finesse du travail autant que la force des propositions opèrent dans ce spectacle audiovisuel d'une émouvante beauté.