À La Romieu, Musique en chemin voyage dans l’Europe baroque
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La Romieu. Collégiale Saint-Pierre. 20-VII-2023. Festival Musique en Chemin. Les Prophéties des Sibylles. Arvo Pärt (né en 1935) : The deer’s cry ; Franz Biebl (1906-2001) : Ave Maria ; Thierry Blot (né en ) : Tantum Ergo ; Eric Whitacre (né en 1970) : A boy and a girl ; Ola Gjello (né en 1978) : Northern lights ; Roland de Lassus (1532-1594) : Les prophéties des Sibylles. Chœur Ambrosia ; La Main Harmonique : Nadia Lavoyer ; Cécile Banquey, sopranos ; Frédéric Bétous ; Raphaël Mas, contre-ténors ; Fabrice Foison ; Loïc Paulin, ténors ; Imano Iraola, baryton ; Marc Busnel, basse ; Ulrik Gaston Larsen, archiluth ; Lucas Peres, lirone. Direction : Frédéric Bétous.
La Romieu. Cloître de la collégiale. 21 VII 2023. Harmonia Artificiosa. Heinrich Ignaz Biber (1644-1704) : Sonate Harmonia Artificiosa N° 1, 3 et 5 ; Heinrich Schütz (1585-1672) : Kleine Geistliche Konzerte : Eile mich Gott ; O süsser, O freundlicher ; Symphoniae sacrae II op. 10 Ich danke dir, Herr ; Barbara Strozzi (1619-1677) : cantate Sul rodano severo ; Francesco Cavalli (1602-1676) : Ercole amante, scena di Giunone. Jasmine Eudeline ; Birgit Goris, violons ; Gauthier Broutin, violoncelle ; Caroline Mutel, soprano ; Sébastien d’Hérin, orgue, clavecin et direction musicale.
La Romieu. Collégiale Saint-Pierre. 22 VII 2013. Première audition de l’orgue nouvellement installé. Œuvres de Pierre Attaingnant ; Diego Ortiz ; Giulio Caccini ; Girolamo Frescobaldi ; Karlheinz Stockhausen ; Benedetto Ferrari. Jean-Christophe Revel, orgue.
Bien ancré dans l'ancienne sauveté gersoise de La Romieu, étape sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, et fidèle à sa vocation de sortir des sentiers battus, le festival Musique en Chemin a connu une treizième édition couronnée d'un succès public.
Fondé et animé par l'ensemble La Main Harmonique, spécialisé dans les polyphonies de la Renaissance et du premier baroque, ce festival champêtre où se côtoient savoir, sensibilité artistique et intelligence du cœur, se plaît à croiser les répertoires de musiques anciennes, contemporaines et populaires du monde entier. Selon les deux principes de l'ensemble : exigence et sans concession à la facilité, et malgré un programme d'un abord a priori difficile, le concert d'ouverture s'est déroulé dans une collégiale comble.
Il n'est pas si simple d'entrer dans les complexes polyphonies des Prophéties des Sibylles de Roland de Lassus, la musique la plus moderne et étrange jamais entendue à l'époque, comportant de nombreuses dissonances. Recourant à des chromatismes inhabituels, novateurs et audacieux, cette musique présente un langage neuf et harmonieux, d'une originalité certaine par rapport au reste de la musique de Lassus. Si Roland de Lassus, dit Orlando di Lasso, était peut-être le musicien le plus connu et adulé en Europe dans la deuxième moitié du XVIe siècle, avec un catalogue d'environ deux mille œuvres, tant sacrées que profanes, on ignore tout ou presque des circonstances et de l'époque de composition de ces Prophéties des sibylles, qui ne seront publiées qu'en 1600 à titre posthume. Le roi Charles XI eut le privilège d'en découvrir le « commencement » lors d'une rencontre en 1557, mais on suppose qu'elles ont été composées dans les années de jeunesse de Lassus, vers 1560, après son arrivée à Munich à la cour du duc Albert V, et furent une sorte « musique réservée ».
Une œuvre mystérieuse
Il s'agit d'un cycle de douze pièces polyphoniques à quatre parties vocales composées sur douze strophes de six hexamètres. Chacun de ces textes anonymes est attribué à l'une de ces prophétesses réputées dans l'Antiquité pour leurs oracles plus ou moins obscurs, qui seront ensuite adoptés par le christianisme pour annoncer la venue du Christ. Un treizième texte ajouté en introduction annonce le style extraordinaire de l'ouvrage. Le thème de la venue d'un sauveur né de la Vierge domine, avec de nombreuses évocations de la virginité de Marie, mère allaitante, mais aussi des mages venus d'Orient, de Nazareth et Bethléem, avec une allusion à l'âne de la fuite en Égypte.
Le contre-ténor et chef de chœur Frédéric Bétous a distribué les voix à sept chanteurs, dont deux voix féminines de dessus et choisi un diapason haut avec un discret accompagnement d'un archiluth et d'un lirone, afin de souligner le statut particulier de ces pièces à la double couleur profane et sacrée. Il en résulte une grande cohérence avec une extrême et minutieuse précision des lignes. Comme à leur habitude, les chantres de La Main Harmonique montrent une parfaite cohésion, apportant un soin admirable à la prosodie. La Main Harmonique a enregistré ces Prophéties des sibylles en 2021 chez Ligia Digital (Lidi 0202364-22).
En regard de ces prophéties puissantes, mystérieuses et mystiques, Frédéric Bétous a choisi des pièces de compositeurs contemporains s'inscrivant dans la mouvance néo polyphonique, avec le chœur Ambrosia, qui est en quelque-sorte l'atelier de La Main Harmonique. L'Ave Maria de Franz Biebl, fondé sur une base grégorienne, emplit l'espace, tandis que le Tantum ergo de Thierry Blot évoque Durruflé. Plus audacieux A boy and a girl d'Eric Whitacre comporte des dissonances ou chaque phrase est entrecoupée de silences jusqu'au murmure. Enfin, Northern lights de Ola Gjello s'inscrit dans l'excellence de la tradition chorale scandinave. Ces pièces parfois planantes s'avèrent d'une grande difficulté d'exécution et soutenus par les chantres de La Main Harmonique, le chœur Ambrosia en donne une interprétation au cordeau.
Ces compositeurs connaissent aujourd'hui une notoriété certaine, mais en termes d'invention et d'audaces harmoniques, il se mesurent avec peine à la puissance et à la spiritualité de Roland de Lassus.
À la fin des Prophéties des sibylles on a pu goûter un rare silence d'une vingtaine de secondes avant que le public en apesanteur ne laisse éclater sa pleine et joyeuse satisfaction.
Le baroque germanique et italien des Nouveaux Caractères
Le lendemain en début de soirée, c'est dans le beau cloître du XIVe siècle de la collégiale que se produisait l'ensemble Les Nouveaux Caractères dans un programme rare et exigeant autour des sonates Harmonia Artificiosa de Heinrich Franz Biber. Pour cette musique baroque d'une grande difficulté d'exécution, l'ensemble de Sébastien d'Hérin affiche une configuration à cinq instruments : deux violons, un violoncelle (en fait une basse de viole à cinq cordes), un clavi-organum et une voix de dessus. Pour autant, les violonistes utilisent deux instruments chacune en raison des fréquents changements d'accords et de la température estivale qui met les cordes en boyaux à rude épreuve.
Composée en 1996 et dernière œuvre du compositeur autrichien Ignaz Franz Biber, qui fut maître de chapelle à Salzbourg à partir de 1670, Harmonia Artificiosa est un recueil de sept sonates en trio d'une rare ambition pour l'écriture violonistique, qui marque la virtuosité naissante de cet instrument encore récent. Chacune des sonates comporte un prélude et une suite de danses. Biber note dans le sous-titre : « Ce sont des Arie (comme on les nomme), mais avec artifice afin de mêler l'utile et l'agréable ». Le recueil est dédié à sa fille, qui prenait le voile chez les bénédictines de Nonnberg. Comme dans les quinze Sonates sur les mystères du Rosaire, antérieures d'une vingtaine d'années, Biber utilise l'étonnante technique de la scordatura, qu'il mène ici à son apogée. Il s'agit d'accorder le violon différemment en variant la tension des cordes, ce qui conduit à une différenciation tonale nouvelle et permet de nouvelles expérimentations sonores. Ce procédé extrêmement exigeant pour les instrumentistes, requiert une virtuosité absolue de leur part, ce qui est le cas de Jasmine Eudeline et Birgit Goris. Elles se jouent parfaitement des difficultés d'écriture et y prennent un plaisir certain.
Les Nouveaux Caractères interprètent trois des sept sonates du recueil, la première en ré mineur, la troisième en la majeur et la cinquième en sol mineur. Elles sont entrecoupées d'airs contemporains de leur création comme deux Petits concerts spirituelsd'Heinrich Schütz, ce grand maître du premier baroque allemand, aîné de Biber d'une grande génération : Eile mich Gott et O süsser, o freundlicher, ainsi que de la Symphoniae sacrae II, op. 10 Ich danke dir, Herr, ce qui nous permet d'apprécier le beau timbre et la diction très claire de la soprano Caroline Mutel, tant en allemand qu'en italien.
On passe du monde germanique à l'Italie avec une cantate de Barbara Strozzi Sul rodano severo, comportant un sublime lamento qui suit le récit et une belle aria. Il s'agit de la tragique histoire du jeune marquis de Cinq-Mars, favori de Louis XIII, devenu encombrant, décapité à Lyon, puis jeté dans le Rhône en 1642. Enfin, Caroline Mutel conclut avec la spectaculaire scène de Junon dans le fastueux Ercole Amante de Cavalli, le professeur de Barbara Strozzi, commandé par le cardinal de Mazarin pour le mariage de Louis XIV avec l'infante d'Espagne Marie-Thérèse.
Dans le plein esprit du festival, Les Nouveaux Caractères ont interprété avec naturel et brio un répertoire méconnu et peu fréquenté en France.
Un orgue pour la collégiale
Le samedi en milieu de journée, avait lieu la première audition publique, par Jean-Christophe Revel, titulaire entre autres du grand orgue Jean de Joyeuse de la cathédrale d'Auch, d'un orgue de chœur tout récemment installé dans la collégiale. Il s'agit d'un orgue italien anonyme du XVIIIe siècle que Jean-Christophe Revel a trouvé en piteux état au fond de l'atelier du facteur Marc Ducornet à Gonflans-Sainte-Honorine. Il a été restauré, ou plutôt totalement reconstruit, avec les tuyaux d'origine par le facteur Pierre Vialle, de Fleurance. De dimension modeste, il possède un clavier à cinq octaves courtes, sans pédalier.
Afin de faire entendre toutes ses possibilités, Jean-Christophe Revel a proposé un florilège de pièces espagnoles de Diego Ortiz et italiennes de Caccini et Frescobaldi, ainsi que trois danses de Pierre Attaingnant (1494-1553) pour les jeux aigus. Mais cet instrument se prête également à la musique contemporaine et Jean-Christophe Revel, qui en est spécialiste, s'est lancé dans une improvisation sur le signe du zodiaque Le poisson d'après Stockhausen, puis une autre plus sage sur une chaconne de Benedetto Ferrari (1603-1681).
Ce nouvel instrument s'ajoute au riche patrimoine organistique gersois, qui comporte pas moins d'une trentaine d'orgues historiques classés.
Crédits photographiques : © Alain Huc de Vaubert
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La Romieu. Collégiale Saint-Pierre. 20-VII-2023. Festival Musique en Chemin. Les Prophéties des Sibylles. Arvo Pärt (né en 1935) : The deer’s cry ; Franz Biebl (1906-2001) : Ave Maria ; Thierry Blot (né en ) : Tantum Ergo ; Eric Whitacre (né en 1970) : A boy and a girl ; Ola Gjello (né en 1978) : Northern lights ; Roland de Lassus (1532-1594) : Les prophéties des Sibylles. Chœur Ambrosia ; La Main Harmonique : Nadia Lavoyer ; Cécile Banquey, sopranos ; Frédéric Bétous ; Raphaël Mas, contre-ténors ; Fabrice Foison ; Loïc Paulin, ténors ; Imano Iraola, baryton ; Marc Busnel, basse ; Ulrik Gaston Larsen, archiluth ; Lucas Peres, lirone. Direction : Frédéric Bétous.
La Romieu. Cloître de la collégiale. 21 VII 2023. Harmonia Artificiosa. Heinrich Ignaz Biber (1644-1704) : Sonate Harmonia Artificiosa N° 1, 3 et 5 ; Heinrich Schütz (1585-1672) : Kleine Geistliche Konzerte : Eile mich Gott ; O süsser, O freundlicher ; Symphoniae sacrae II op. 10 Ich danke dir, Herr ; Barbara Strozzi (1619-1677) : cantate Sul rodano severo ; Francesco Cavalli (1602-1676) : Ercole amante, scena di Giunone. Jasmine Eudeline ; Birgit Goris, violons ; Gauthier Broutin, violoncelle ; Caroline Mutel, soprano ; Sébastien d’Hérin, orgue, clavecin et direction musicale.
La Romieu. Collégiale Saint-Pierre. 22 VII 2013. Première audition de l’orgue nouvellement installé. Œuvres de Pierre Attaingnant ; Diego Ortiz ; Giulio Caccini ; Girolamo Frescobaldi ; Karlheinz Stockhausen ; Benedetto Ferrari. Jean-Christophe Revel, orgue.