Constructions dansées avec Simone Forti à la Biennale de Venise
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Venise. Biennale. Arsenal. 13 et 14-VII-2023. Hangers (1961) ; Huddle (1961) ; Slant Board (1961). Chorégraphie : Simone Forti (né en 1935). Avec les danseurs du Biennale College Danza.
Exposition en collaboration avec The Museum of Contemporary Art (MOCA) de Los Angeles
La chorégraphe et plasticienne américaine Simone Forti est à l'honneur à La Biennale danse de Venise, qui se déroule jusqu'au 29 juillet. L'Arsenal est l'écrin de différents spectacles autour du thème « Altered States », choisi par son directeur artistique Wayne McGregor, qui évoque ce que la danse transforme en nous.
Le Lion d'or a été remis pour l'ensemble de sa carrière à Simone Forti, chorégraphe italo-américaine, née à Florence en 1935, par La Biennale de Venise, qui lui rend un hommage puissant par l'intermédiaire d'une exposition foisonnante et de la reprise de plusieurs de ses performances. La grande influence chorégraphique pour Simone Forti, à l'œil toujours vif et la créativité acérée. est celle d'Anna Halprin, dont elle fut l'élève, qui l'initia aux improvisations et à une réflexion nourrie sur les limites de celles-ci si elles sont trop libres. Chacune de ses performances, ici reprises par les jeunes danseurs de la Biennale College Danze, s'apparente à un happening, s'inspirant aussi bien du Bauhaus que du minimalisme.
Avec Dance Constructions, ces célèbres « constructions dansées », l'écriture de la chorégraphe plasticienne rend possible la mise en boucle d'un mouvement : monter et descendre à des cordes à nœuds bien fixées sur une planche en bois inclinée, se grimper dessus ou se suspendre. L'artiste manie le corps comme un stylo engagé qui tracerait des chemins dans la pensée, intègres et novateurs, utilisant aussi bien la sculpture (vivante) que le dessin. Ses compositions bousculent, tant elles interrogent finement le sens de l'humain au cœur d'un monde plutôt hostile. Elle est inspirée par le minimalisme, comme le fut son premier mari, l'artiste Robert Morris, qui initia avec Donald Judd le mouvement minimaliste en peinture, puis avec Robert Whitman, photographe américain tout aussi engagé, notamment dans le théâtre improvisé. Les trois artistes démontrent leur faculté à transformer tout geste en une trace créatrice, actions du quotidien (balayer, se supporter, rire ou pas, plutôt pas ici) ou autre.
Les performances iconiques de Simone Forti, datant de 1969, sont données ou jouées comme en un marathon du 14 au 29 juillet, par le Biennale College Danza de Venise, à l'Arsenal, le quartier général de la Biennale. Dans Hangers, la force de gravité est éprouvée par le biais de cordes suspendues tandis que dans Slant Board, des danseurs marathoniens montent et descendent de cordes à nœuds, se contorsionnent dessus-dessous, rampent, se tordent pour ne pas se toucher et se frôler, tirent, tendent, relâchent ces cordes comme des liens qui asservent ou libèrent.
Il n'en va pas autrement de l'entassement de corps de Huddle, autre « construction dansée » de Simone Forti, qui parle de se grimper dessus sans bouger, bref, de se porter (to support, faux ami en français !). Inlassablement reprise, cette performance fascine, comme les autres d'ailleurs, par sa géométrie, sa régularité de sculpture mouvante, ces manifestes du collectif, qui diraient : nous nous construisons ensemble. Il y a à la fois beaucoup d'incongruité et de sacré à regarder ces « constructions », en se demandant ce qu'elles disent du vivre-ensemble, de la répétitivité de nos vies, de l'angoisse de n'être pas à la hauteur, de l'attente éternelle de l'autre, celui qui me demande ce que justement je n'ai pas à lui donner, cet amour inconditionnel des autres qui devrait passer par celui de soi ; et manque parfois sa cible.
Cependant dans Slant Board, il y a des nœuds, sur les cordes de cette planche inclinée, c'est donc facile d'y grimper, d'y être rivé tel Sisyphe heureux à son petit pan, son arpent de terrain de jeu sérieux pour l'éternité ? Ces trois danseurs vaillants, lors de la Biennale Danza, reprennent à l'identique la performance de 1969, en live, qui avaient marqué une rupture ou plutôt un commencement, en danse contemporaine, laissant à penser que la danse permettait justement de cheminer hasardeusement dans la pensée. De même dans Huddle, il s'agit de se « grimper dessus » et non plus en grimpant à une ou des cordes, là c'est sur les autres que l'on grimpe et fait sculpture, nous allions quasiment écrire structure, acte manqué réussi s'il en est, car il est effectivement question de structurer l'art et l'espace, afin d'en effacer les traces, réduire la visibilité de l'effort qu'il faut pour créer, écrivant comme dans Huddle dans un cadre sculptural.
Lorsque Simone Forti, avec ses cheveux blancs, regarde avec rigueur et bienveillance les danseurs performer, elle les contemple. Car l'art, nous souffle gracilement Simone Forti, est un moyen, peut-être le plus riche, pour dire l'indicible et réveiller, avec un peu de chance, ceux qui s'endorment. Elle contribue aussi aujourd'hui par ses minimalistes performances, militantes sans l'être, à s'inquiéter du climat, ou de la barbarie qui ressurgit toujours dans le moments de crise. Dans une performance filmée devant la mer, où elle entasse algues et déchets plastiques, tout son corps se meut mais elle reste assise, comme sereinement, sur le sable, avec du vent dans ses cheveux blancs, magnifique. Ses parents ont fui les persécutions nazies, se sont installés finalement aux Etats-Unis, ont survécu à la barbarie. Être sauvé, n'est pas un hasard de rencontre, c'est aussi une lutte quotidienne et cela, à une moindre échelle, nécessairement cependant, sauverait la beauté et le monde, ou le monde et la beauté.
La danseuse aux traits lisses et à l'engagement foisonnant illustre la post-modernité en danse et donne matière à penser. En 2009, elle avait proposé An evening of dance constructions, une soirée de constructions dansées, reprenant les pièces-phare des années soixante qu'elle donnait à voir alors dans le grand Studio de Yoko Ono, l'épouse artiste de feu John Lennon, en travaillant souvent musicalement de mèche avec la Monte Young. C'est le MOCA, le Musée d'art contemporain de Los Angeles qui accueillît son travail de chorégraphe, de peintre, d'écrivain, d'artiste multi-tâches. Ses expériences kinesthésiques donnent aussi bien envie de s'engager, que de penser, mais c'est la même chose, et… de danser post-modernement avec sa ténacité gracieuse.
Crédits photographiques :
Photo 1 et 4 Slant Board : Dance Constructions with the dancers of Biennale College Danza. Simone Forti. Slant Board. 1961. Performance with plywood and rope. 10 min. The Museum of Modern Art, New York. Committee on Media and Performance Art Funds. © 2020 The Museum of Modern Art, New York. Courtesy La Biennale di Venezia – ph. Andrea Avezzù
Photo 2 Hangers : Simone Forti. Hangers. 1961. Performance with natural fiber ropes. 10 min. The Museum of Modern Art, New York. Committee on Media and Performance Art Funds. © 2020 The Museum of Modern Art, New York Courtesy La Biennale di Venezia – ph. Andrea Avezzù
Photo 3 Huddle : Dance Constructions with the dancers of Biennale College Danza. Simone Forti. Huddle. 1961. Performance. 10 min. The Museum of Modern Art, New York. Committee on Media and Performance Art Funds. © 2020 The Museum of Modern Art, New York. Courtesy La Biennale di Venezia – ph. Andrea Avezzù
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