À Verbier, somptueux Requiem de Verdi avec Daniele Gatti
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Verbier. Salle des Combins. 17-VII-2023. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Requiem. Lise Davidson (soprano) ; Yulia Matochkina (mezzo-soprano) ; Freddie De Tommaso (ténor) ; Bryn Terkel (basse). Coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia (chef des choeurs : Andrea Secchi). Verbier Festival Orchestra. Direction musicale : Daniele Gatti
Il y a dix ans, le Verbier Festival fêtait ses vingt ans d'existence avec… le Requiem de Verdi. Étrange manière que de fêter un anniversaire avec une messe pour les morts. Il faut croire qu'on veut conjurer les sorts puisqu'aujourd'hui, pour le trentième anniversaire du Verbier Festival, on récidive.
Giuseppe Verdi, Requiem, un binôme gagnant. Le public ne s'y trompe pas et la Salle des Combins est bondée pour cette œuvre qui, quoique se basant sur un texte liturgique bien précis a, dans son essence, perdu son aspect rigoriste de la messe aux voix blanches et aux musiques contenues. Le tempérament du compositeur allié à l'extrême douleur qu'il ressentit à la mort d'Alessandro Manzoni, son compagnon de lutte pour l'unité italienne, poussa Verdi vers le grandiose plus que vers l'humilité sacrée. D'une célébration funèbre qu'il voulut musicalement intense, traduisant en sonorités profondes les mots de la tristesse, de la colère, de la stupeur comme de l'admiration divine, de la demande du pardon ou de la libération d'une mort éternelle, avec son lyrisme exacerbé Verdi enfouit son âme dans l'expression des sentiments qu'il connaissait le mieux : ceux de l'opéra. Ainsi, aujourd'hui, chacun des auditeurs de ce requiem retrouve ce qu'il y veut. : du sacré comme de l'Opéra. Et qu'importe, si la fiancée est jolie !
Et celle que nous a offert Daniele Gatti est de toute beauté. Déjà lors de sa prestation parisienne de l'an dernier, le chef italien s'était illustré par une implication totale. A Verbier, on retrouve cet engagement qui dès les premières mesures, susurrées, à peine perceptibles, entre des violons jouant à se faire plus discrets que les murmures diaphanes du chœur, Daniele Gatti impose l'écoute. On se love avec (de coupables) délices dans ce tapis mélodieux. Peu à peu, le chœur enfle entrainant derrière lui l'orchestre pour soudain s'effacer et reprendre les premières mesures avec un pianissimo sublime comme si la répétition de ce moment suspendu pouvait se répéter à l'envi. Et incessamment, la baguette d'un très inspiré Daniele Gatti désigne les pupitres auxquels il dicte l'ampleur, l'intention musicale alors que d'amples gestes de l'autre main il en souligne ses désirs d'intensité. Puis, un à un les solistes entonnent le Kyrie eleison. La basse Bryn Terfel laisse rapidement entrevoir que le registre de cette œuvre n'est plus dans ses attributs. Avec les ans, sa voix s'est éclaircie, les graves n'ont plus de consistance. On sent le chanteur dans la lutte pour rester dans le ton. A ses côtés, le ténor Freddie De Tommaso lisse sa voix pour donner belle mesure à son legato. Certes ses aigus sont brillants et bien projetés mais le médium reste engorgé. Quant à elle, la soprano norvégienne Lise Davidsen impose rapidement une puissante voix qui, si elle manque de beauté impressionne par sa capacité de percer au-dessus du chœur et de l'orchestre jouant forte. Étoile montante du chant, volant de succès en succès sur les scènes du monde entier, elle ne maîtrise néanmoins pas les couleurs de sa voix. Certes elle possède un vaste registre vocal, ses suraigus sont magnifiques, son médium est chatoyant, et si les graves manquent de volume, sa tendance à ouvrir ses aigus lui confère une acidité souvent malvenue dans une telle partition. En revanche on reste sous le charme bouleversant de la voix de la mezzo-soprano russe Yulia Matochkina. Quelle rondeur ! Quelle chaleur ! Et surtout quelle intelligence interprétative. Chacune de ces incises est un régal.
Reste qu'au fur et à mesure qu'on avance dans cette partition, on se rend compte que, comme dans nombre d'autres interprétations du Requiem, les interventions a capella (Pie Jesu et Kyrie) du quatuor vocal s'avèrent problématiques tant au point de vue de la justesse du diapason que de celui de l'unité. A qui la faute sinon à une possible impréparation systématique de ces instants, voir à une éventuelle volonté d'imposer sa propre personnalité sur celle des autres solistes.
Hormis ces courts instants de relâchement, Daniele Gatti maintient une tension constante entre le pupitres sans jamais perdre la ligne musicale. Soignant les contrastes, les couleurs et les volumes sonores avec une musicalité remarquable, jamais il ne perd le fil de sa direction. Impressionnant de précision, en quelques gestes, d'une main lancée brusquement vers l'avant, il stoppe l'orchestre et le chœur comme si un mur se dressait devant eux.
Bien sûr, on se régale aux colères du spectaculaire Dies irae. Dirigeant sans partition, Daniele Gatti a l'œil partout. Mimant le mots du chœur, l'entier de son visage participe à la direction. Et toujours, cette admirable constante de musicalité. La grosse caisse bondit, les trompettes spatialisées dans les coulisses latérales de l'orchestre ajoutent au déferlement sonore du moment, le chœur s'enflamme.
Si l'unité de l'œuvre règne pratiquement sans discontinuer, on se souviendra de l'admirable Liber scriptus de la mezzo-soprano Yulia Matochkina chanté avec un investissement dépassant la simple mesure de la chanteuse. Que d'émotion vraie dans cette voix. On a aussi beaucoup aimé le moment suspendu offert par le ténor Freddie De Tommaso dans les premières mesures du Hostias attaquant cette sentence avec une voix empreinte d'une grande plénitude. Comme nous le notions plus haut, on ne peut avoir qu'une certaine réserve quant à la prestation de la basse Bryn Terfel mal à l'aise avec le registre grave quand bien même la basse galloise s'est améliorée dans la seconde partie de l'œuvre. Nous avons de même regretté l'usage malheureux des aigus acides de la soprano Lise Davidsen. Un regret d'autant plus fort que son contre Si bémol du Libera me fut si bien chanté !
Avec un Verbier Festival Orchestra répondant parfaitement aux moindres injonctions du chef, c'est à notre sens le Coro dell'Accademia di Santa Cecilia de Rome qui mérite largement la palme de cette soirée faisant preuve d'une musicalité d'ensemble et d'une souplesse admirables. Chapeau Mesdames et Messieurs ! Vous avez soulevé le cœur du public.
Crédit photographique : ©Evgenii Evtiukhov, Daniele Gatti © Agnieszka Biolik
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