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Beaune : Le Couronnement des Epopées et le sacre d’Isabelle Druet

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Claudio Monteverdi (1567-1643) : Le Couronnement de Poppée, opéra en 1 prologue et 3 actes sur un livret Giovanni Francesco Busenello d’après les Annales de Tacite. Avec : Marine Francesca Aspromonte, soprano (Poppea) ; Isabelle Druet, mezzo-soprano (Nerone) ; Eva Zaïcik, mezzo soprano (Ottavia) ; Paul-Antoine Benos-Djian, contre-ténor (Ottone/Familiare di Seneca 1/Coro di Amori) ; Camille Poul, soprano (Drusilla/Coro di Amori ) ; Luigi Di Donato, basse (Seneca/ Tribuno 1) ; Mathias Vidal, ténor (Arnalta/Soldato 1) ; Claire Lefilliâtre, soprano (Fortuna/Pallade/Vénus/Coro di Amori); Jennifer Courcier, soprano (Amore/Damigella) ; Ana Escudero, mezzo-soprano (Virtu/Valetto/Coro di Amori); Juan Sancho, ténor (Lucano/Nutrice/Console) ; Geoffroy Buffière, basse (Mercurio/Famigliare di Seneca 3/Littore/ Tribuno) ; Marco Angioloni, ténor (Soldato 2/ Famigliare di Seneca 2/Liberto/Console). Les Epopées, direction : Stéphane Fuget

clôt sa Trilogie Monteverdi avec Le Couronnement de Poppée. Une lecture très originale, qui doit aussi beaucoup à sa distribution, particulièrement investie autour de la toute-puissance du Néron d'.


Ce n'était pas gagné d'avance : à la lecture de la feuille de route de ce nouveau Poppée indiquant huit instrumentistes, on se demandait bien comment Les Épopées, avec un effectif aussi spartiate, de surcroît composé uniquement de cordes (deux violons, un alto, une basse de viole, un violoncelle, deux théorbes se transformant en guitares, deux clavecins) allaient bien pouvoir maintenir l'intérêt d'une soirée d'une durée de 3h45, soit trois bons quarts d'heure de plus que la mythique version Harnoncourt ?

Après le crescendo d'un Retour d'Ulysse à quatorze en 2021, d'un Orfeo en grande pompe en 2022, l'on s'attendait, pour Le Couronnement de Poppée, à une manière de couronnement orchestral. En 2023, c'est l'intime qui prime. On reprend conscience que cet horrible opéra optimiste où tout le monde est coupable, est un drame historique qui, de l'aube au crépuscule d'une journée, se joue en chambre. L'attention au verbe qui animait Fuget dès Ulysse est le maître-mot de ce Couronnement sans flûte, harpe, tambour, ni trompette, plus récitatif que Malgoire ou Alarcón.

Les sources existantes étant tellement éthiques (ligne de basse et parties vocales), jouer Le Couronnement de Poppée pré-suppose un arrangement. Toute version du Couronnement est donc une création, ce qui explique peut-être sa grande modernité. On ne sait jamais à quoi s'attendre. A Beaune, les premières mesures sonnent la promesse d'un nouveau monde car a décidé d'ajouter à la version de Venise (1646) moult parties de celle de Naples (1650), ce qui nous vaut un Couronnement inédit (une note d'intention détaillée aurait fait le bonheur du mélomane), archi-complet, d'une durée wagnérienne. On a néanmoins craint, en fin d'Acte III, que l'inhabituelle et assez conséquente succession de pièces festives confiées à un choeur d'Amours rassemblant toute la troupe (même Octavie), ne vienne remplacer le Pur ti miro dont la paternité contestée fait encore débat. Les spectateurs qui auront « tourné de l'œil » après une première partie de 1h50 ne sauront jamais combien cette version à l'os aura fini par imposer sa singularité.

Même de dos, dirigeant du clavecin, mû par la musique qui le fait tressauter ou se dresser à la verticale, , qui semble aussi beaucoup s'amuser, semble ne jamais s'accorder de répit. A l'opposé, le calme olympien des Épopées impressionne : un jeu sans histrionisme (on ne voit même pas le second clavecin), qui envoie, dans la nef de la Basilique Notre-Dame, un son ample et profond, capable de tenir la dragée haute à l'instrumentarium kaléidoscopique et a priori plus accrocheur d'Harnoncourt. Fuget ose aussi le silence : on n'oubliera pas celui qui suit l'affalement soudain du chef sur son propre clavier après en avoir fait surgir une dissonance en phase avec les propos morbides d'Ottavia.


Le chef de chant qu'il fut se régale de la troupe de chanteurs réunie pour la fin de cette résidence montéverdienne. Le trio d'allégories donne le ton ( en Fortune, en Vertu, en Amour). On connaît depuis Aix 2022 l'Othon de rêve qu'est l'actuel enfant chéri de Beaune, Paul-Antoine Benos-Djian : le déchirant Poppea nel core conclusif du I est confié à une longueur de souffle qui n'est pas la moindre des qualités du jeune chanteur français. Hormis le duo infernal Néron/Poppée, tous les chanteurs sont conviés, à l'instar de Geofrey Buffière (Mercurio, Littore…) à plusieurs rôles. Tonitruants, et s'emparent des soldats. Plus loin Vidal sera une Arnalta haute en couleurs, et fort troublante quand l'ineffable Adagiati, Poppea conduira le ténor aux confins de son aigu. Sénèque permet à de séduire avec la beauté d'un registre grave qui semble sans limites, mais le retrouve aux prises de sons un peu ouverts et d'une tension perceptible vers le haut de la tessiture. L'Addio final de l'Ottavia d', longuement différé avant de s'exprimer comme dans un dernier souffle, parachève la noblesse tranquille d'une interprétation au plus haut niveau. D'une grâce absolue, la Drusilla de affranchit le personnage de son habituel statut d'oie inconséquente. Ténor de caractère au timbre gracieux, à la vocalisation précise, Juan Sancho éblouit en Lucano, amuse en Nutrice. Vêtue d'une longue robe bleue, incarne une Poppée plutôt sympathique : on est loin de la « manipulatrice », de la « libidineuse » contre laquelle Blanchard nous avait mis en garde en préambule. Le monstre c'est , qui en Néron, n'apparaît nullement intimidée par une prise de rôle dont le festival aura fait mystère quasiment jusqu'au bout. La Cassandre et la Didon berliozienne du moment ne flotte à aucun moment dans les manches du tyran dont elle brosse à traits très calculés l'évolution psychologique. La chanteuse respire la musique, même celle de ses collègues. Avec quelques invités de luxe : Christina Deutekom sur les vocalises du premier duo ; Franco Fagioli au terme de l'affrontement avec Sénèque. Le duo Néron/Lucano est vraiment enivrant, les Ahi de Druet sur les Bocca de Sancho n'étant qu'un exemple de la force de persuasion du pari fou de Fuget. La comédienne est telle, qu'après avoir fait défiler la petite frappe ivre de sexe des premières scènes (cheveux plaqués à la garçonne sur costume noir, mains en révolver au bord des poches, bref Al Capone), puis le décideur de vie et de mort, elle parvient à nous faire oublier cette lie de l'humanité, en procédant au grand chavirement de l'apesanteur sublimée du Pur ti miro pour lequel rappelle (ah, les consonnes de pur ti stringo !) qu'au bout du compte : Io la Musica son

Ce duo final restera comme un des plus beaux jamais entendus, qui aura même poussé Fuget à se déplacer entre Poppée et Néron, comme pour en retarder la conclusion, à moins que ce ne soit pour donner le dernier mot au mot, ou pour faire en sorte que le Temps vienne lui aussi se suspendre aux lèvres des deux cantatrices. Après que Poppée eut été enfin couronnée. A plus d'1H30 du matin !

Crédits photographiques : © ars-essentia

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