L’œil nu à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon : le palimpseste de songes de Maud Blandel
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Avignon. La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. 13-VII-2023. Maud Blandel : L’œil nu. Mise en scène et chorégraphie : Maud Blandel. Son : Maud Blandel, Denis Rollet, Flavio Virzì. Lumière : Florian Bach, Daniel Demont. Costumes Marie Bajenova. Regard extérieur : Anna-Marija Adomaityte. Assistanat création lumière : Edouard Hügli. Mixage et diffusion sonore : Denis Rollet. Régie son : Denis Rollet. Avec Karine Dahouindji, Maya Masse, Tilouna Morel, Ana Teresa Pereira, Romane Peytavin, Simon Ramseier.
Maud Blandel présente L'œil nu à La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, dans le cadre du Festival d'Avignon et avec la Sélection suisse en Avignon. Un travail de mémoire personnel, philosophique, poétique et sensible, aux limites de l'expérience intime et cosmique.
Six danseurs sur scène, cinq femmes et un homme. Un espace vide de jeu trifrontal sur une scène recouvrant le cloître du cimetière du monastère. Les danseurs miment une partie de pétanque lors de l'entrée du public. Celle-ci sera l'occasion pour eux de déterminer les places de leurs corps, prêts à se lancer dans un tourbillon de rondes ininterrompues. Aux sources de ce spectacle, la rencontre de Maud Blandel avec Le Noir de l'étoile du compositeur Gérard Grisey. La chorégraphe s'inspire de cette pièce qui, dit-elle, « a été écrite pour six percussionnistes, une bande magnétique et la transmission des signaux astronomiques d'un pulsar, ces résidus d'étoiles mortes qui émettent des ondes radio à un rythme rapide et régulier. » Mais ici, et contrairement à ses précédentes pièces – Touch Down en 2015, Ligne de conduite en 2018 et Diverti Menti en 2020 – Maud Blandel ne cherche pas nécessairement à traduire dans les corps une partition musicale, dans les pas d'une Anne Teresa de Keersmaeker : « Je n'ai plus eu envie de me « cacher » derrière des partitions existantes. Mes émotions étaient plus à vif, mon besoin d'expression plus immédiat. »
La bande son de L'œil nu évoque une incessante dispute entre Bugs Bunny et Daffy Duck, aux prises avec des chasseurs : « Les Looney Tunes de l'époque ont ça de génial : les personnages sont pris par leurs obsessions (souvent très primaires !) en même temps que les situations n'arrêtent pas de changer. » L'obsession, en effet, semble être la figure de proue de cette proposition. Celle du souvenir du suicide du père de la chorégraphe, celle de l'enfance qui revient, de la mémoire traumatique qui se rappelle sans cesse au palimpseste d'une vie où surnage la tentative de l'oubli, de l'effacement. Quelques phrases projetées près d'un lecteur de bandes magnétiques situent le drame. Mais au delà de la performance de l'intime, L'œil nu transporte dans une méditation philosophique sur la notion de temps et de dégénérescence.
« La pièce convoque des éléments qui contiennent des souvenirs autant qu'elle travaille dans les trous de la mémoire. Mais c'est bien la dégradation, la déformation de la mémoire qui est à l'œuvre ici. » explique la chorégraphe. La durée, théorisée par Henri Bergson au début du siècle dernier, se fait sentir dans son épaisseur et sa matérialité. Les danseurs se meuvent dans une ronde apparemment décousue comme se répondent des particules intriquées. Le tout construit une philosophie du temps, de la disparition et des phénomènes à l'œuvre dans les transformations physiques du groupe. Que se passe-t-il lorsque l'œil se retrouve dépouillé de tout référentiel ? Que les attentes se trouvent confrontées à un hasard troublant ? La puissance des corps se réalise en une essence céleste que les vers du poète T.S Eliot viennent conclure. Maud Blandel réussit à nous faire toucher l'étoffe de nos songes : les phases d'une vie, réelles ou fantasmées, construisent nos récits complexes, nos architectures de rêve, sublimées ici dans le merveilleux cadre de la Chartreuse.
Crédits photographiques : © Christophe Raynaud de Lage
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Avignon. La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. 13-VII-2023. Maud Blandel : L’œil nu. Mise en scène et chorégraphie : Maud Blandel. Son : Maud Blandel, Denis Rollet, Flavio Virzì. Lumière : Florian Bach, Daniel Demont. Costumes Marie Bajenova. Regard extérieur : Anna-Marija Adomaityte. Assistanat création lumière : Edouard Hügli. Mixage et diffusion sonore : Denis Rollet. Régie son : Denis Rollet. Avec Karine Dahouindji, Maya Masse, Tilouna Morel, Ana Teresa Pereira, Romane Peytavin, Simon Ramseier.