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À Verbier, Yuja Wang sublime Rachmaninov

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Verbier. Salle des Combins. 14.VII.2023. Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano et orchestre no.3 en ré mineur op. 30. Hector Berlioz (1803-1869) : Symphonie Fantastique op. 14. Yuja Wang (piano). Verbier Festival Orchestra. Direction musicale : Zubin Mehta.

Avec au programme la pianiste et la baguette de qui venait marquer cet anniversaire trente ans après avoir ouvert la première édition de ce festival en dirigeant un David Garrett de 13 ans dans le Concerto pour violon et orchestre no. 3 KV. 216 de W.A. Mozart, la Salle des Combins affiche complet pour ce concert d'ouverture du 30e anniversaire du Verbier Festival.


Mais pas de célébrations sans discours. Ainsi les autorités communales, cantonales y sont allées de leur speech plats et convenus. Très applaudi, , Fondateur du Verbier Festival, s'est ensuite dit heureux de voir son bébé devenu le « plus important festival de musique classique au monde », et son compère de travail, Peter Brabeck-Lemathe relève qu'il « existe deux manières de voir cet anniversaire. Voir trente ans en arrière pour constater ses progrès, mais surtout de voir trente ans en avant pour en assurer la pérennité. » C'est dans cette idée qu'il annonce la prochaine nomination de l'épouse de Martin Engström à la direction du Verbier Festival ainsi que les avancées concrètes pour l'installation d'une académie de musique et de danse (pour renouer avec les premières années du festival) à Verbier. Enfin, étonnante l'intervention du Ministre Suisse des Affaires Étrangères, M. Ignazio Cassis qui, se croyant peut-être à la tribune des Nations Unies, s'exprime en anglais dans une manifestation en canton romand, alors que tous les autres intervenants se sont obligés d'user de la langue française dans leurs discours.

Mais place à la musique. Vêtue d'une robe longue et moulante jaune canari, sculpturale, fait son entrée attendant respectueusement qui, s'appuyant sur une canne, marche péniblement jusqu'à sa chaise pupitre. Un regard rapide à sa soliste et l'orchestre dans un pianissimo superbe lance les premiers accords du Concerto pour piano et orchestre n°3 en ré mineur op. 30 de Rachmaninov. Sur ce tapis velouté, trace les premières notes de sa partition. Trois notes, quelques secondes suffisent pour se trouver en communion parfaite avec la musique et ses interprètes. Et à partir de là, on assiste à près de trois quart d'heure de rare intensité musicale. Tant du côté de l'orchestre que de celui de la pianiste. Le patron semble n'être que Rachmaninov tant l'harmonie entre les exécutants est totale. Nos pages comme la critique d'autres médias ont vanté maintes et maintes fois le talent exceptionnel de la pianiste chinoise. Aujourd'hui, les mots manquent pour souligner d'une manière plus originale ce que nous reportions dans nos précédents papiers la concernant. On a tout dit sur l'émerveillement de son toucher, sur sa technique pianistique irréprochable, sur son énergie, sur sa musicalité. On se souvient de ses éblouissants Concertos pour piano et orchestre n° 3 et 5 de Prokofiev du Verbier Festival de 2018, sauf que sa prestation du terrible Concerto n° 3 de Rachmaninov qui ne manque pas de faire appel à des aspects de techniques pianistiques dantesques révèle une Yuja Wang d'une autre nature que celle que nous lui connaissions jusqu'ici. Ce soir particulièrement, elle a dépassé l'artiste du piano, pour rejoindre une dimension émotionnelle qu'on ne pouvait imaginer d'une telle ampleur. Si elle est apparue en pleine possession de la puissance nécessaire à l'œuvre, elle subjugue l'auditoire par la profondeur qu'elle imprime tout au long de son exécution. On la sent investie comme jamais dans cette musique. Sous ses doigts jaillissent des couleurs, des fulgurances, qui sont autant d'histoires et de sentiments qui sortent de sa musique, comme du plus profond d'elle-même. Ses mimiques, ses sourires, ses murmures muets, ses mouvements du corps, ses bras dansant suivants ses doigts courant sans discontinuer sur le clavier, sont autant de signes qui, s'ils lui sont connus, semblent n'avoir jamais été aussi expressifs que lors de cette interprétation. Fascinante, elle est en constante symbiose avec son piano. Elle ne regarde le chef qu'à de rares et furtives occasions comme si tout allait de soi. En effet, tout roule, comme par enchantement. Il n'est de sautes de rythmes, de variations de volume sonore qui ne semblent parfaitement mises au point. Comme si cet orchestre, ce chef et cette soliste avaient répété depuis des mois. Il aura fallu tout l'art, la force tranquille, l'expérience d'un pour accompagner divinement le génie interprétatif explosant de la jeune pianiste. Terminant en nage son interprétation, lançant fougueusement sont bras droit autour de son cou, Yuja Wang libère le public jusque-là muré dans un silence d'intense respect pour applaudir à tout rompre ce moment d'exception musicale.

Ovationnée, elle revient au clavier pour une Vocalise op. 34 n° 14 de Rachmaninov arrangée pour piano par Zoltan Kocsis qu'elle joue avec un toucher et une sensibilité bouleversants accrochant un autre moment suspendu, magique, à cette soirée. Le public, comme le chef et l'orchestre l'acclamant encore, elle offre un deuxième bis tout de joyeuse humeur et de toucher perlé, la Polka de W.R de , un arrangement virtuose pour piano du Lachtäubchen de Franz Behr (1837-1898) que le compositeur dédia à son père Wassili Rachmaninov (1841-1916).


Après l'entracte, Zubin Mehta, impeccable en complet veston et cravate malgré la chaleur étouffante de la salle, dirige sans partition la Symphonie fantastique op. 14 d'. Avec la tension générée par la première partie de ce concert, on peine à entrer dans l'esprit de cette œuvre encore que les premières mesures du largo des Rêveries – Passions nous ramènent quelque peu dans le lyrisme du concerto qui a ouvert la soirée. On a lieu, tout au long de cette exécution d'apprécier l'unité et le soyeux des cordes du qui, quoique encore jeune de l'expérience qu'il acquiert pendant les concerts du festival, se montrent déjà en pleine forme. On les retrouve admirablement belles dans l'adagio des Scènes aux champs. Quand bien même, on ne ressent rien de nouveau sous le soleil Mehta dans cette symphonie, il faut noter l'apaisement qu'il apporte dans l'exécution d'une partition qu'on voit souvent portée à des excès inutiles et factices.

Crédits photographiques : Yuja Wang © NicolasBrodard, Zubin Mehta © Lucien Grandjean

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Mis à jour le 31/08/2023 à 18h13

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Verbier. Salle des Combins. 14.VII.2023. Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano et orchestre no.3 en ré mineur op. 30. Hector Berlioz (1803-1869) : Symphonie Fantastique op. 14. Yuja Wang (piano). Verbier Festival Orchestra. Direction musicale : Zubin Mehta.

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