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Theodora à Beaune pour Kader Hassissi : mourir pour des idées

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Beaune. Cour des Hospices. 8-VII-2023. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Theodora HWV 68, oratorio en trois actes sur un livret de Thomas Morell. Avec : Sophie Junker, soprano (Theodora) ; Dara Savinova, mezzo-soprano (Irene) ; Paul-Antoine Benos-Djian, contreténor (Didymus) ; Matthew Newlin, ténor (Septimius) ; Andreas Wolf, basse (Valens). Chœur de Chambre de Namur (chef de chœur : Thibaut Lenaerts) et Millenium Orchestra, direction : Leonardo García Alarcón

Ce 41e Festival International d'Opéra Baroque et Romantique de Beaune est intégralement dédié au très regretté Kader Hassissi, et tout particulièrement ce Theodora imaginé par le co-fondateur (avec Anne Blanchard) de la manifestation, et .


Le chef argentin remplace Anne Blanchard pour le traditionnel mot d'accueil : il raconte combien Theodora, que nous allons entendre, devait être élaboré dans ses moindres détails au cours d'une réunion, prévue au printemps dernier, entre Kader Hassissi et lui. Une réunion qui, assure García Alarcón, aura bien eu lieu (même si post-mortem), puisque, ajoute-t-il, profondément ému : « En musique, le temps n'existe pas. »

La canicule qui a précédé, et qui, immanquablement, intime au repli dans la Basilique Notre-Dame, ne sera pas venue à bout de l'ambition des deux hommes de faire résonner le pénultième oratorio de Haendel dans tous les recoins de la Cour des Hospices, notamment par un investi comme jamais dans ce qui apparaît comme la feuille de route d'une mission bien précise : déverser sur l'auditeur les torrents d'empathie suscités par le destin (sujet à caution) de Theodora, vierge et martyre dans la Syrie du IIIe siècle alors sous la coupe de l'Empire Romain, qui aura jusqu'au bout refusé de faire plier ses idées face à l'injonction politique. Une empathie à l'opposé de la froideur anglicane qui, à sa création, bouda Theodora, les heurts et malheurs d'une jeune chrétienne sous Dioclétien restant assez étrangers au public londonien de 1750. Bien qu'empruntant à des œuvres antérieures, et même à des confrères, bien que remanié (en vain) en 1755, bien que considéré par le compositeur comme son « oratorio le plus important », Theodora resta jusqu'à naguère dans l'ombre des grands succès du Caro Sassone. On se souvient, à Bâle, de sa splendide résurrection dans les années 80, via une spectaculaire production d'Herbert Wernicke qui, à l'instar de la tragédie vécue par son héroïne, martyrisait littéralement, à chacune des représentations, et de tableau en tableau, son décor de prison immaculée : à Beaune, c'est l'impressionnante forêt de tuyaux d'orgue qui crevait le plafond du décor bâlois que la mémoire invoque encore. À Glyndebourne, Peter Sellars montrait lui aussi combien aujourd'hui encore fait mouche le manifeste de Theodora autour de la plus belle idée qui soit, mise dans la bouche de Didyme : « Ne devrait-on pas laisser libre à jamais l'esprit né libre de l'homme ? »


Dans la Cour des Hospices, chef, orchestre et solistes se sont réservé la scène centrale, envoyant le chœur prêcher la bonne parole haendélienne aux quatre coins de l'Hôtel-Dieu : d'abord en contrebas du plateau face au public, puis massé à cour au bord du puits, dans l'allée centrale, sous les arcades latérales, dans les hauteurs des galeries, et enfin derrière l'orchestre. Les déplacements en apesanteur des Namur, les regards lourds de sens des solistes, le geste contenant de la direction d'orchestre : tout concourt à faire de la soirée une manière de sommet de communion humaine. On est frappé par le son tranchant, précis du Millenium Orchestra (même les cors…) dirigé du clavecin par García Alarcón, par l'homogénéité et l'autonomie absolue du chœur dirigé de dos par le chef, dont aucune voix ne se détache, même à quelques centimètres de l'auditeur. Il suffit de quelques secondes à pour imposer toutes cordes dehors les abysses tonitruantes du méchant de service. Le Septimus élégant de , d'emblée à l'aune du message fraternel de Descend, kind pity, apparaît plus tendu dans la vocalisation de Though the honours. Haendel a réservé des pages magnifiques à chacun des cinq personnages du drame, même à celui de la chrétienne Irène, que le timbre autant que l'abandon christique de (Lord to thee) tire à chacune de ses interventions de son statut de personnage secondaire. , torche vive tranquille, fait figure de révélation tant le style (perceptible jusque dans l'ineffable des pianissimi) que l'allure, le regard, habitent un personnage que Didyme, en une périphrase quasi-claudélienne, qualifie de « miroir de la virginité ». Didyme, c'est Paul-Antoine Bénos-Djian, familier du rôle, remplaçant in extremis Christopher Lowry. Remplaçant de luxe, dont le The raptur'd soul initial sonne comme le catalogue des atouts du contre-ténor le plus émouvant du moment : velours et étendue du registre, avec des graves presque « horniens », l'histrionisme en moins, attitude toute de bonté. Les regards échangés de Didyme/Benos-Djian et de Theodora/Junker (sublimes duos dans la seconde partie) ne sont pas pour rien dans la montée des larmes finale de cette exécution exemplaire, et de surcroît archi-intégrale avec ses trois heures pleines de musique (García Alarcón reprend même en bis Oh Love Divine, le sublime chœur conclusif, bien après que minuit ait sonné), qui auront effectivement prouvé qu' « En musique le temps n'existe pas. »

Crédits photographiques: © ars-essentia

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