Pour commémorer le quadricentenaire de la disparition de William Byrd
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Le 4 juillet 2023 marque le quadricentenaire du décès de William Byrd, né probablement entre 1535 et 1540. Une bonne occasion de nous remémorer l'héritage musical protéiforme de ce génie anglais si particulier, ayant œuvré à la fois dans un contexte politico-religieux local complexe et tendu et à une époque de profondes mutations de l'esthétique et de l'édition musicales.
La date de naissance et les origines familiales de William Byrd demeurent obscures. Le nom d'un garçonnet ainsi nommé apparaît dans la liste des jeunes choristes effectifs de la Westmisnter Abbey mais disparaît en 1543. Est-ce là notre futur compositeur, rapidement repéré comme talent et esprit supérieur et envoyé à la Royal Chapel où il étudiera quelques années plus tard sous la férule de son futur collègue et ami Thomas Tallis (1505-1585), ou est-ce un homonyme décédé en bas âge, le prénom et le patronyme étant des plus communs à Londres ? Nous ne le saurons sans doute jamais. Toujours est-il que William est né quelque part entre 1535 et 1540 et a vécu toute sa vie en catholique pragmatique au sein d'un royaume marqué par le Schisme anglican.
Rappelons brièvement les faits et leur chronologie. Henry VIII est un roi névrosé et obnubilé par l'absence d'héritier mâle issu de son mariage avec Catherine d'Aragon : le monarque y voit une punition divine, car il a épousé la très jeune veuve de son frère aîné Arthur mort de consomption à l'âge de quinze ans. Ce type de re-mariage est dénoncé par la Bible et est, à l'époque, en principe interdit par l'Église. Henry VIII veut donc annuler son engagement nuptial, malgré la naissance de sa fille Mary. Le refus papal face à cette demande, autant pour des raisons canoniques que diplomatiques, doublé d'une volonté d'hégémonie spirituelle et politique de la Couronne anglaise au sein d'une Europe politique en plein bouillonnement à la suite de l'émergence de la Réforme, forcent le destin : l'Église nationale anglaise affirme son indépendance dissidente dès 1534, mais c'est le fils successeur Edouard VI, fils unique issu de l'union avec Jeanne Seymour qui la confirme en établissant la liturgie anglicane par l'édition du Common Prayer Book.
A la mort de ce dernier, et après l'arrestation et la décapitation de la nine days queen, Jeanne Gray, c'est finalement la première demi-sœur, la tristement célèbre « Bloody » Mary Tudor, fille de Catherine d'Aragon et éphémère épouse de Philippe II d'Espagne, qui prend la succession du trône. Elle revient au catholicisme le plus intransigeant et réprime les Réformistes avec fureur, plusieurs centaines d'entre eux étant promis au bûcher. Elle décède en 1558.
C'est finalement Elizabeth I, demi-sœur de Mary, issue du mariage avec Anne Boleyn, qui fonde les bases mêmes de l'Église anglicane avec le Serment de Suprématie et l'Acte d'Uniformité dès 1559, puis la promulgation des 39 articles en 1563. Au départ réformiste pragmatique et relativement tolérante face aux pratiquants du culte catholique romain, elle mènera une politique anti-papiste de plus en plus sévère et rigoriste au fil de son très long règne, ordonnant la destruction et la dispersion des biens de nombreux monastères inféodés à Rome et pourchassant ses opposants. C'est évidemment une période d'expansion du prestige de la Couronne, et de l'affirmation de la puissance anglaise. Faut-il rappeler la « victoire » de la flotte anglaise menée par Francis Drake sur l'Invincible Armada en 1588 ? A sa mort, c'est le successeur désigné par ses soins, Jacques Ier Stuart, d'éducation protestante, fils unique de Marie Stuart (que « Gloriana » avait emprisonnée et fait exécuter) qui monte sur le trône. Il est à la fois roi d'Angleterre et d'Écosse, lesquelles ne seront pas pour autant unifiées, et œuvre à une pacification des relations avec l'Europe entière et singulièrement avec l'Espagne.
Un catholique en pays anglican
Âgé d'une vingtaine d'années, notre compositeur est nommé organiste et maître des chœurs en la cathédrale de Lincoln où il reste en poste (et grassement payé !) jusqu'en 1570. C'est là qu'il compose beaucoup pour le culte anglican, parfois encore sur des textes latins, car l'usage de l'anglais n'est pas encore imposé ou généralisé. Pour cette liturgie nouvelle, de nombreuses œuvres religieuses, non éditées ont survécu longtemps sous forme de manuscrits, d'autres sont probablement à jamais perdues.
C'est alors qu'il regagne Londres et la Royal Chapel, où il devient le second de Tallis, catholique pragmatique comme lui, et déjà très âgé. Il doit être hautement considéré puisqu'il y est quasi immédiatement nommé gentilhomme de la cour. En 1575, la Reine octroie aux deux amis et pour vingt et un ans le monopole de l'édition musicale alors naissante en Angleterre, tant pour la musique instrumentale que pour la musique vocale profane ou sacrée, et ce dans toutes les langues, y compris… le latin ! En guise de remerciements, les deux compères dédient la même année à la souveraine leur première publication, les Cantiones Sacrae quae ab argumaneto sacrae vocantur. Elle reprend trente-quatre compositions, dix-sept pour chacun des deux maîtres, nombre symbolique, puisqu'il s'agit alors du nombre d'années de règne à ce jour de la Reine Vierge.
Sur le plan musical, il s'agit d'une réussite majeure. On y trouve quelques unes des pages les plus justement célèbres de Byrd, par exemple le superbe Emendus in melius, répons pour le dimanche de Carême, très spécifique au nouveau rite romain de la contre-Réforme. Mais c'est un cuisant échec sur le plan éditorial et un fiasco financier. C'est la trésorerie royale qui épongera les dettes moyennant mise en gages de propriétés terriennes qu'avaient offertes à bail le comte d'Oxford, poète à ses heures, à son ami Byrd. Mais la reine et le compositeur doivent bien se comprendre, se tolérer, s'entendre et sans doute s'admirer à demi-mots… Byrd composera en l'honneur d'Elisabeth un des plus fameux anthems O, God make thy servant Elizabeth, repris et adapté au nom de chaque nouveau souverain lors des cérémonies de couronnement royal jusqu'en 1952. On sait que Byrd quitte Londres vers 1577 et s'installe avec toute sa famille dans le Middlesex à Harlington, – on en est certain car son épouse Juliana y est officiellement dénoncée et condamnée pour recusancy – refus caractérisé de participer aux offices religieux anglicans.
Dans le domaine vocal, il y conçoit et compile d'autres recueils, plus variés, publiés après la mort de Tallis, dont Byrd récupère l'entièreté du monopole-privilège. Ce seront les Psalmes, Sonets and Songs of sadness and pietie en 1588 et les Songs of Sundrie Natures (pour trois à six voix) l'année suivante : deux recueils mêlant d'ailleurs davantage de pages sacrées et profanes sur des textes cette fois en langue anglaise. Byrd, probablement mis au parfum de la production madrigalesque transalpine par Alfonso Ferrabosco l'ancien, un moment attaché à la Cour d'Angleterre, initie le genre Outre-Manche. S'il n'intitule jamais aucune de ses œuvres vocales a capella « madrigal », contrairement à la génération suivante, Byrd est à l'initiation de cette nouvelle école anglaise, lieu de rencontres des modèles italiens par les figuralismes rhétoriques typique, de la chanson polyphonique renaissante française par la rapidité d'échange des traits ou les chausse-trappes rythmiques (comme dans son this seweet and merry month of may) outre bien entendu une certaine tradition polyphonique locale bien établie. Sans lui, jamais nous n'aurions probablement connu aussi prolifique école et pareille floraison du genre de l'autre côté du Channel, culminant par exemple par la publication des Triumphs of Orianna (1603) dédiés à la Reine et où figurent des madrigaux autres de Wilbye, Morley, Weelkes, Gibbons, Tomkins, Farmer… soit beaucoup de disciples mais point le maître.
Parallèlement dans ce domaine profane, l'accompagnement de la voix de dessus peut très bien être réalisé par les instruments, comme un ensemble de violes, pour dès lors prendre des allures de consort songs, formule à laquelle Byrd donne également ses lettres de noblesse. Le mélomane curieux peut comparer le résultat des réalisations d'une même œuvre, tel le Is love a boynb? (n° 15 du recueil de 1589), qui prend des allures véloces et coquines dans la version madrigalesque des King's singers (Warner) et est beaucoup plus étale et suave dans la version avec instrument (par exemple l'ensemble Alamire parue sur le petit label britannique Inventa cette année).
Un repli « stratégique » en province
En 1594, Byrd prend définitivement ses distances avec la capitale et s'installe à Stondon Massey dans l'Essex, dans l'environnement de l'ex-conseiller monarchique Sir William Petre, noble instigateur de cérémonies des réfractaires dans son manoir d'Ingalstone Hall.
Peu avant, en 1591, il a publié seul cette fois, un second recueil de Cantiones Sacrae toujours basées sur des textes latins et de nette inspiration catholique. Il comprend quelques unes de ces pages les plus poignantes du maître, autant de messages de ténacité d'espoir et de réconfort envers sa propre communauté : par exemple, le très vaste motet en trois parties pour une petite quinzaine de minutes Infelix ego, est bâti sur la libre méditation du moine réformateur catholique rigoriste florentin Savonarole, sorte de paraphrase du psaume 50. Le Miserere : le fidèle trouvant seul refuge face au malheur en la miséricorde du Christ, dans la strophe finale au terme d'un parcours spirituel tourmenté et musicalement très tendu, l'un des sommets de la musique polyphonique européenne du XVIᵉ siècle finissant, à l'égal des plus grandes pages d'un Roland de Lassus ou d'un Philippe de Monte, auquel d'ailleurs Byrd est lié par une profonde connivence amicale et d'une grande estime réciproque.
Suivra la publication anonyme et quasi sous le manteau, sous forme de trois petits fascicules, des trois messes à trois quatre et cinq voix entre 1593 et 1595. A n'en pas douter, Byrd, déjà héritier de la longue tradition scripturale anglaise, notamment due aux contemporains d'Henry VIII, les Taverner, Tye et Sheppard, Mundy ou Tallis, avec lesquels il a jadis collaboré pour des œuvres collectives, a eu parallèlement connaissance de la science contrapuntique des plus grands compositeurs continentaux, sans doute en fréquentant la bibliothèque regroupant plus de 2400 manuscrits et éditions de son ami John Lumley au palais de Sans-Pareil près de Durham, un legs aujourd'hui archivé au British museum.
Clairement, il s'agit d'œuvres destinées au culte catholique romain, avec la version intégrale du Symbole de Nicée, le Credo comme en témoigne dans chacune des trois œuvres la proclamation puissante du « et in unam sanctam catholicam ecclesiam » (avec le mot catholicam répété opiniâtrement). Si la polyphonie « à l'imitation » demeure serrée, basée sur un travail intense autour du « motif mélodique de tête » – et pas sur la « teneur » d'un plain-chant et encore moins de la parodie d'un motet préexistant – prétexte à un contrepoint florissant et souvent complexe, ces œuvres, certes exigeantes, se veulent aussi accessibles aux bons chanteurs solistes ou choristes amateurs réunis clandestinement. Ce sont là les premiers et rares exemples renaissants de Kyrie – si on excepte peut-être le Leroy Kyrie de John Taverner – mis ainsi en musique originalement en la perfide Albion puisque le rite de Sarum jusque là pratiqué depuis le IXᵉ siècle, donc depuis l'évangélisation de l'île, le tropait sur la base de l'intonation en plain-chant. La messe à quatre voix , la plus personnelle peut-être, fut probablement la première écrite servant de modèle aux deux autres. Celle à trois voix demeure plus intime et ramassée, à la manière d'une Missa brevis, vu le contrepoint moins disert. Celle à cinq se veut plus festive et déclamatoire. Mais voici, pour chacune de ses trois chefs d'œuvre, une musique hyper-expressive où les figuralismes quasi madrigalesques sont nombreux malgré l'atmosphère austère déployée. L'Agnus dei de la messe à quatre voix est nimbé d'une obscurité presque désespérée et par exemple, dans le Credo de la messe à cinq voix, le Cruxifixus est particulièrement brûlant et poignant, Et resurrexit sonne comme un violent défi à l'adversité, alors qu'en total contraste le Et ascendit in coelum est campé avec une aérienne exaltation presque planante.
Plus âgé et ne craignant plus grand chose en définitive, Byrd publie les deux livres de Gradualia en 1605 et 1607, publiés juste après que la conspiration des poudres contemporaine a été déjouée (elle visait à attenter à la vie du Roi Jacques Ier Stuart et à faire sauter le Parlement, signe de ralliement d'une révolte générale). Les recueils regroupent les motets et répons pour les « propres » des principales messes festives du calendrier romain. Le premier livre en particulier contient de nombreuses pièces votives pour les fêtes mariales de la plus belle eau, et recèle sans doute le « tube » choral absolu de Byrd, le célébrissime et sublime Ave verum corpus, chanté en concert aujourd'hui par bien des ensembles vocaux amateurs comme professionnels.
Mais probablement à la même époque, la plus ancienne copie qui nous en est parvenue est datée d'avant 1606, il conçoit le plus vaste grandiose et parfait de ses cinq Services anglican « the Great service » – souvent à dix voix réelles ! – reprenant six des « moments » musicaux principaux d'une journée de prière de la liturgie officielle (des mâtines aux complies) et demeuré, comme toute sa production religieuse en langue anglaise, longtemps à l'état de manuscrit. Véritable modèle du genre, il ne peut par son ampleur, son inspiration, sa richesse contrapuntique et harmonique être comparé qu'au Great Service, également à dix voix réelles de son élève Thomas Tomkins.
Enfin en 1611, Byrd publie sa dernière œuvre, son véritable chant du cygne un nouveau recueil de Psalmes, Sonnets and Songs mêlant derechef consort songs, œuvres instrumentales pour consort de violes, polyphonies religieuses ou d'essence profane donc plus madrigalesque, sorte de condensé de tout son art poétique et de son parcours d'homme libre et d'éminent créateur en une époque troublée, à l'instar dans le domaine théâtral d'un Christopher Marlowe et plus encore d'un William Shakespeare. Il meurt octogénaire le 4 juillet 1623 dans son manoir de Stondon Massey.
Une œuvre pour clavier fondamentale
Outre ses œuvres pour consort, mais surtout dans la grande tradition anglaise des ensembles de violes parfois éditées en guise d'intermède instrumentaux au sein de recueil essentiellement destinés aux voix, il convient surtout d'évoquer l'imposant catalogue de pièces pour clavier.
Byrd s'inscrit dans la tradition des « virginalistes » anglais dont il magnifie le savoir par de nouveaux acquis techniques et expressifs et par l'importation probable d'instruments continentaux plus modernes et à la mécanique plus rapide.
La destination instrumentale effective peut en effet poser question, car le virginal semble, par extension abusive, désigner alors sur l'Île, différents types d'instruments à clavier et pas seulement l'instrument de taille assez modeste, de forme rectangulaire et à cordes disposées parallèlement (ou à très faible angle d'écartement), proche du muselaar flamand ou des premiers modèles de spinetta italiens, qui elles croisent souvent les cordes. La cour d'Henry VIII disposait d'une fabuleuse collection de « virginals » au sens propre du terme, dont il ne reste que quelques exemplaires. La Reine Elisabeth en avait appris le maniement, mais en même temps, le terme semble de facto désigner une épinette à la française voire occasionnellement un « grand » clavecin au sens où nous l'entendons aujourd'hui… Les instruments à clavier étaient devenus avec le temps monnaie courante à la fois chez les nobles et au sein de la bourgeoisie émergente la plus argentée.
Les quelques cent cinquante pièces de Byrd qui nous sont parvenues sont donc destinées soit au « virginal » au sens large du terme ou parfois à l'orgue, comme le juvénile Clarifica me Pater, datant probablement de la période de Lincoln. Elles proviennent essentiellement de quelques sources manuscrites, qui pour certaines pièces, évidemment se recoupent. Le My Ladye Nevells Book (1591), compilation non homogène d'œuvres dont la composition s'étale sur une vingtaine d'années (1570-90) et splendidement calligraphiées sans doute sous le contrôle immédiat du maitre par John Baldwin. Seules quatre pièces sur quarante deux font directement référence à la dédicataire l'épouse Elizabeth de Lord Nevill aux armes duquel le maroquin de manuscrit est gravé. Le manuscrit anthologie de Thomas Weelkes de 1603 comportant outre les pages, inconnues par tout autre source, de Byrd de nombreuses pièces anonymes.
Le Fitzwilliam Virginal Book (1609-1619 ?) est une compilation de 297 œuvres d'auteurs anonymes, mais aussi de quelques-uns des plus fameux virginalistes anglais (outre Byrd, Farnaby, Philips, Bull, Tomkins ou même des musiciens étrangers comme Sweelinck). Le plus modeste Forster's virginal Book de 1624 regroupe 80 œuvres « seulement », mais hormis quelques pièces anonymes, toutes quasi exclusivement dues à Byrd.
Il convient d'ajouter à cette liste de manuscrits le recueil imprimé en 1613, année du mariage de la dédicataire, par William Hole Parthenia, The Maydenhead of the First Musicke that ever was Printed for the Virginalls (« La virginité de la toute première musique qui soit jamais imprimée pour les virginals »), où Byrd est présent pour huit pièces sur vingt et une. C'est la première fois que l'on publie en Angleterre de la musique imprimée d'après des planches gravées sur cuivre et non plus sur bases de caractères mobiles hérités de Gutenberg. Alors que la musique se complexifie et s'orne de plus en plus, cette nouvelle impression permet une précision et une lisibilité des partitions ainsi éditées. Ce recueil demeurera longtemps unique en son genre et sera réédité régulièrement jusqu'en 1659.
Toutes ces œuvres obéissent à différentes formes alors en vogue à cette période charnière entre derniers fastes renaissantes et émergence de l'esthétique baroque. Au premier rang, l'on évoquera les danses et leur caractérisation spécifique. Selon le couple pavane et gaillarde traditionnel outre-Manche : les pavanes de caractère « très grave, et sobre plein d'art et de profondeur » basées sur des cycles de huit ou seize mesures régulières, sont opposées en tout point aux gaillardes qui leur font suite, de pulsation ternaire, plus diversifiée rythmiquement et obéissant au principe de la division des temps au fil des redites – donc à une virtuosité allant croissante.
Mais émergent également d'autres danses issues de diverses traditions populaires continentales , qui connaîtront leur apogée à l'âge baroque, l'allemande (BK.89) ou la volte (BK.90 et 91) d'origine provençale reprenant le profil de la gaillarde mais dans un tempo ralenti. Il y a ensuite les multiples fantaisies, souvent en plusieurs sections pouvant après un préambule confronter les idées musicales, contrecarrer les rythmes par l'alternance des mesures ou par la précipitation des divisions du temps, réserver parfois la surprise d'improbables rencontres harmoniques (ces fameuses « fausses relations », sorte d'entrechoc dissonants provenant de la confrontation des hexacordes ascendants et descendants, tant prisés par les composteurs anglais). Citons entre autres exemples très libres la célèbre et magnifique fantaisie en la BK.13, et d'autres dont le canevas thématiques réduits (telle la fantaisie sur ut mi re BK 65 et plus encore celle sur ut re mi fa sol la, BK 64 extraite du Fitzwilliam virginal book) partagent un propos équivalent sur un motif ascendant récurrent très simple – mais une réalisation bien différente et très personnelle – avec certains capricci (publié en 1624) de Frescobaldi ou avec la fantaisie sur l'hexacorde de Sweelinck exactement contemporaine.
Les grounds sont basés sur un pattern rythmique et motivique inaltérable souvent des huit (voire seize) notes/mesures confiés à la main gauche, faisant place au fil des redites et de l'évolution du discours, à un babil de plus en plus volubile (My Lady Nevell's Ground Bk 57). « Le Ground est un Nombre fixe de Notes Lentes, très Graves, et Solennelles », selon Mace, ce qui le différencie du thème et variations à proprement parler. Parfois le motif peut être beaucoup plus court, voire exceptionnellement se limiter à un ostinato de deux notes tels « the bells » les célèbres « cloches » BK 38. Parfois, ces grounds adoptent le rythme de l'une ou autre danse telle la gaillarde, comme le Qui passe, for My Lady Nevell BK 19.
Les variations sur un thème donné reprennent et magnifient un principe inhérent à la genèse même de la musique occidentale et vieux comme le monde, varier à l'envi un thème en y faisant montre ou de plus en plus d'originalité dans le traitement de la donne ou de mise en exergue de la virtuosité extravertie au fil des sections. Citons parmi les cycles les plus célèbres les vingt-deux Walsingham variations BK 8 que l'on retrouve aussi bien au sein de My Lady Nevell's Book que dans le recueil Fitzwilliam, ou, uniquement dans ce dernier recueil, celles, très spirituelles et humoristiques, sur John, kiss me now BK 81! Enfin il y a toutes les formes libres ou Byrd laisse libre cours à son imagination. Ainsi la Battle BK94 (in My Lady Nevell's book), sans doute le premier exemple de musique instrumentale purement descriptive conservé, narrant avec une naïveté bien pittoresque l'affrontement de deux armées au son imité des fanfares… et plus encore un véritable medley d'airs connus comme dans le très amusant Barley Break BK.92, décrivant le chassé-croisé amoureux de trois couples, pour une sorte de Battle privée et sentimentale.
Byrd ne nous laisse aucune œuvre originale destinée au luth, autre instrument élisabéthain par excellence, même si bien des luthistes d'aujourd'hui se sont laissés tenter par l'arrangement de l'une ou l'autre pavane et gaillarde, souvent d'ailleurs pour le meilleur.
Plaidoyer pour un anniversaire
Voici donc bouclé notre rapide tour d'horizon de la vie et l'œuvre du jubilaire William Byrd, certainement l'un des compositeurs les plus éminents que l'Angleterre ait connu. Ses nombreux élèves perpétueront la transmission d'une culture musicale sacrée multiséculaire (Gibbons, Tomkins), avant que la terrible dictature du Commonwealth d'Oliver Cromwell, qui enverra Charles Ier Stuart à l'échafaud, n'interrompe brutalement la tradition d'une polyphonie sacrée à la fois expressive, raffinée et complexe, et ne brûle bien des orgues. Le retour de la royauté, à partir de 1658-59, des deux derniers monarques Stuart – notamment Charles II ayant connu les fastes versaillais lors de son exil – amènera certes un renouveau par l'adoption progressive des standards baroques. Néanmoins, Henry Purcell à un siècle de distance, se souviendra, malgré un évident renouveau stylistique, sans doute de son prédécesseur Byrd lors de la rédaction de certains de ses full anthems (Hear my prayer o Lord, Remember not Lord our offences) et plus encore pour son recueil inachevé de fantaisies pour violes.
La pratique de l'œuvre de Byrd, qu'elle soit d'obédience anglicane ou catholique au fil des offices religieux anglais, demeure aujourd'hui encore très prégnante. Dans le plus parfait esprit œcuménique, lors du récent couronnement du roi Charles III, le Gloria de l'ordinaire de la messe retenu était celui de la messe à quatre voix de Byrd, soulignant (in?)volontairement le curieux destin d'un compositeur catholique dont une des œuvres délibérément « romaines » autrefois clandestines sert donc aujourd'hui à introniser un souverain, chef de l'Eglise anglicane, mais également béni par le représentant de l'église catholique d'Angleterre ! Un pays qui n'en est décidément pas à un paradoxe historique et musical près !