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Boris Godounov par Bieito, un autocrate et son monde à Munich

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Munich. Nationaltheater. Modest Moussorgski (1839-1881) : Boris Godounov, opéra en quatre actes, version originale de 1869. Mise en scène : Calixto Bieito ; décor : Rebecca Ringst ; costumes : Ingo Krügler. Avec : Alexander Tsymbalyuk (Boris Godounov), Daria Proszek (Fiodor), Emily Pogorelc (Xenia), Gerhard Siegel (Prince Chouiski), Vitalij Kowalkow (Pimène), Dmytro Popov (Grigori Otropiev), Ryan Speedo Green (Varlaam), Kevin Conners (le Fou)… Chœur de l’Opéra de Bavière ; Bayerisches Staatsorchester ; direction : Vasily Petrenko

Repris après plusieurs années d'absence, le spectacle garde son actualité et bénéficie d'une distribution forte et cohérente.

En quelques jours, le public de l'Opéra de Bavière peut revoir Guerre et Paix de Prokofiev dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov créée au printemps et Boris Godounov par , beaucoup plus ancienne – il ne manque pour compléter ce panorama russe que l'admirable Khovanchtchina par Tcherniakov, créée en 2007, plus actuelle que jamais, mais hélas sortie trop vite du répertoire (un DVD n'en livre qu'une vision limitée). Quand le spectacle de Bieito a été créé, en 2013, Vladimir Poutine n'avait encore à son passif « que » les guerres de Tchétchénie (1999-2000) et de Géorgie (2008). La situation actuelle lui donne une nouvelle actualité : on l'avait vu à l'époque comme une analyse à portée générale d'un pouvoir policier, on ne peut pas le voir en 2023 sans l'appliquer au cas particulier de la Russie d'aujourd'hui. Manipulation des foules, instrumentalisation de la religion, servilité des élites tant que le pouvoir est dans leur intérêt, et bien sûr culte de la personnalité : le panorama est impitoyable. On a souvent reproché à Bieito son goût pour la violence, parfois caricatural au début de sa carrière (l'Enlèvement au sérail de la Komische Oper) : ici, comme souvent, la violence est parfaitement dosée et toujours pertinente, et même si cette reprise festivalière ne retrouve pas tout à fait la tension d'origine (le spectacle n'avait plus été joué depuis 2017), le spectacle garde une force inégalée. Son actualité est paradoxalement plus brûlante que le Guerre et paix version Tcherniakov, que nous avons revu il y a quelques jours : en tentant de contourner par des coupures la problématique allégeance stalinienne de l'opéra de Prokofiev plutôt que de l'affronter en face, le spectacle n'est décidément pas à la hauteur de l'enjeu.

Bieito (et, à l'époque, Kent Nagano) ont choisi la version originale de 1869, ce qui est logique dans cette perspective et permet de maintenir la tension pendant deux heures sans entracte et sans digression inutile. L'analyse impitoyable des ressorts du pouvoir autocratique que nous avions lue en 2013 dans la mise en scène de Bieito est toujours là, elle n'a fait entre-temps que gagner en actualité ; mais on admire aussi, comme souvent, l'admirable précision et la pertinence du travail artisanal de Bieito et de son équipe, maîtres du temps et de l'espace comme peu de metteurs en scène : le décor de Rebecca Ringst, cette grande structure en métal rouillé qui tourne sur la scène dans la brume et révèle en ses flancs les espaces scéniques des différents tableaux, est un modèle qu'on devrait montrer dans toutes les écoles de théâtre.

Pour cette reprise, c'est qui est dans la fosse – il avait condamné immédiatement l'invasion russe en Ukraine, et une partie de sa famille est ukrainienne ; l'Opéra de Bavière avait choisi initialement Ildar Abdrazakov pour le rôle-titre, et il aura fallu attendre le 30 juin pour qu'il soit remplacé, officiellement pour des raisons familiales, par , alors qu'il n'a cessé d'apparaître dans des concerts de propagande en Russie. Petrenko choisit visiblement la prudence pour les deux représentations de ce Boris : la mise en place est impeccable, mais l'ensemble manque beaucoup de fougue et de différentiation sonore. Tsymbalyuk, au début de la représentation, manque également de flamme, mais son personnage ne cesse de gagner en émotion au cours de la soirée, jusqu'à une mort remarquable, toute en intériorité – on sent bien là que l'autocrate, au fond, n'est qu'un homme, et que le mal ne serait pas grand sans tout le système qui lui permet d'exister. Le mal, ici, c'est , c'est-à-dire le prince Chouiski : le chanteur manque un peu de souplesse pour ce rôle d'intrigant, mais il réussit à être inquiétant à souhait. C'est à vrai dire toute la distribution réunie par l'Opéra de Bavière qui rend la représentation proprement festivalière, avec entre autres en faux Dimitri remarquablement ambigu et le Varlaam truculent de . Avec eux et bien d'autres, cette reprise est un vrai spectacle vivant qui montre que la routine n'est pas une fatalité dans les maisons de répertoire.

Crédits photographiques : © Wilfried Hösl

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Munich. Nationaltheater. Modest Moussorgski (1839-1881) : Boris Godounov, opéra en quatre actes, version originale de 1869. Mise en scène : Calixto Bieito ; décor : Rebecca Ringst ; costumes : Ingo Krügler. Avec : Alexander Tsymbalyuk (Boris Godounov), Daria Proszek (Fiodor), Emily Pogorelc (Xenia), Gerhard Siegel (Prince Chouiski), Vitalij Kowalkow (Pimène), Dmytro Popov (Grigori Otropiev), Ryan Speedo Green (Varlaam), Kevin Conners (le Fou)… Chœur de l’Opéra de Bavière ; Bayerisches Staatsorchester ; direction : Vasily Petrenko

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