L’Opéra de Quat’sous s’invite à Aix : Bizarre, bizarre… vous avez dit bizarre ?
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Festival d’Aix-en-Provence. Théâtre de l’Archevêché. 7-VII-2023. Kurt Weill (1900-1950) : L’Opéra de Quat’sous sur un texte de Bertolt Brecht (1898-1956) avec la collaboration d’Elisabeth Hauptmann d’après The Beggar’opera de John Gay (1728). Mise en scène : Thomas Ostermeier. Scénographie : Magdalena Willi. Costumes : Florence von Grekan. Chorégraphie : Johanna Lemke. Vidéo : Sébastien Dupouey. Dramaturgie : Christian Longchamp. Avec la Troupe de la Comédie-Française. Orchestre Le Balcon, direction : Maxime Pascal
Entré au répertoire cette année pour les 75 ans du Festival d'Aix-en Provence, l'Opéra de Quat'sous investit la scène du Théâtre de l'Archevêché, porté par la troupe de la Comédie-Française dans la mise en scène incertaine de Thomas Ostermeier.
On peut trouver bizarre, ou pour le moins surprenant, que le célèbre festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence ouvre cette présente édition anniversaire par « autre chose » qu'un opéra (!) lui préférant une œuvre hybride, « pièce avec musique », l'Opéra de Quat'sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill qui s'appuie sur le parlé-chanté mêlant chant et déclamation, justifiant par là même cette première et audacieuse incursion des comédiens du Français dans le domaine lyrique. Thomas Ostermeier qui signe, ici, sa première « mise en scène d'opéra » revient pour cette nouvelle production à la version originelle de la création berlinoise (1928), plus condensée, dans une nouvelle traduction réactualisée d'Alexandre Pateau. Car s'il est vrai que monter cette « pièce » aujourd'hui fait sens du fait des échos politiques et sociétaux qu'on peut y retrouver, c'est également une formidable satire de l'opéra qui décrit en termes sarcastiques la République de Weimar, période de confusion morale, image en creux de la nôtre…
Bizarre également, que Pierre Audi ait confié cette véritable gageure à Thomas Ostermeier qui a toujours refusé jusqu'à présent toute implication opératique… Force est de reconnaitre qu'il était bien avisé tant sa lecture déçoit dans une mise en scène qui n'en est pas une, réduite à une succession de tableaux, qui finit par se perdre dans d'infinies longueurs : constamment hésitante entre le respect du contexte d'époque par un rappel en arrière fond au constructivisme russe, période d'utopie des années 1920 et l'adéquation de l'œuvre aux enjeux contemporains, sans parvenir à choisir sa voie (didactisme, nihilisme, subversion) ; volontiers clownesque à grand renfort de tartes à la crème ; ou encore caricaturale, espérant naïvement abolir le quatrième mur par des questions grandguignolesques posées au public du genre « vous allez bien » ? Tout cela est consternant ! La scénographie minimale se réduit à un échafaudage et un escalier métallique, les costumes manquent de style (au sens célinien du terme), les éclairages et vidéos servent essentiellement à mettre en évidence les allusions graphiques aux avant-gardes qui se déroulent en toile de fond. Seule la direction d'acteurs et la composante purement théâtrale séduisent, servie par les talents multiples de la troupe de la Comédie-Française dont c'est bien sûr le cœur de métier.
Bizarre enfin, de demander à la troupe du Français d'assumer la totalité du casting et surtout l'ensemble des multiples facettes de l'œuvre (jeu, chant, chorégraphies) tant la tâche parait insurmontable. Malheureusement « qui trop embrasse, mal étreint » et le résultat ne manque pas de le faire sentir : si le théâtre est le mieux servi, en faisant fi d'une sonorisation fluctuante et une diction parfois improbable, le chant pâtit le plus souvent d'un amateurisme coupable et d'une prosodie qui manque singulièrement de fluidité, malgré les efforts méritoires d'Alexandre Pateau. Retenons succinctement que le Peachum de Christian Hecq joue mieux qu'il ne chante, à l'inverse de son épouse (Véronique Vella), de Marie Oppert (Polly), de Birane Ba (Macheath) ou encore de Claïna Clavaron (Lucy) ou de Benjamin Lavernhe (Brown) et Elsa Lepoivre (Jenny) qui assument, tant bien que mal, la double et difficile composante chantée et parlée.
Probablement les seuls véritablement à leur place, Maxime Pascal et son Balcon pour leurs débuts à Aix dans une nouvelle orchestration due au chef lui-même, séduisent de bout en bout par les couleurs vives ou langoureuses distillées par un instrumentarium original et hétéroclite, joliment apparié, qui suit au plus prés le déroulé de l'action dans un équilibre constant et une complicité palpable avec le plateau, sauvant quelque peu la mise de cette production, hélas, fort décevante !
Crédit photographique : © Jean-Louis Fernandez
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