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La Villette : chez Pina Bausch, on a rouvert Café Müller

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Paris. Grande Halle de La Villette. 6-VII-2023. Café Müller. Mise en scène et chorégraphie : Pina Bausch Tanztheater Wuppertal ; Musique : Henry Purcell ; Scène et costumes : Rolf Borzik ; Direction des répétitions : Barbara Kaufmann, Héléna Pikon ; Collaboration Magali Caillet Gajan. Avec : Emma Barrowman, Cagdas Ermis, Letizia Galloni, Simon Le Borgne, Tsai-Wei Tien, Frank Willens

Pour sa venue estivale annuelle à Paris, le TanzTheater propose une reprise de Café Müller, ballet iconique de . Le public se presse, mais la soirée est trop courte, minimale et lisse pour apprécier cette œuvre à sa juste valeur.

Revoir une pièce culte de est toujours un danger : on y a mis tant de souvenirs d'images fortes qui ont pu se ternir avec le temps, on a peut -être même sur-estimé l'impact de la pièce. Le fait est que la programmation de Café Müller dans la Grande Halle de La Villette, avait de quoi emmener la foule qui se presse sous les pavés du Parc de la Villette.

Dans la salle comble, le noir se fait, et l'on entend alors le bruit d'une chaise que l'on bouge. Puis une autre. Entre enfin, une première danseuse, côté jardin, longue robe chair et bras tendus en avant, cherchant son chemin. Elle, c'était . C'est aujourd'hui une toute jeune danseuse qui n'a pas son charisme ni sa force. Elle a le style, oui. Mais Café Müller, c'est Pina Bausch. Et d'autant plus Pina Bausch qu'on en connaît une captation filmée, avec la chorégraphe en scène et quasiment toute la distribution originelle, immortalisée en 1985 (et disponible en DVD) .

La jeune femme aveugle, cherche donc sa route à travers ce fameux champ de chaises et tables de bar qui habitent la scène. On sait que cet univers de « Café », rappelle celui de son enfance, quand la petite Pina grandissait dans le bar que tenait ses parents. C'est là, aux côtés d'une famille qui était là sans l'être, qu'elle a appris à regarder l'humanité par le prisme des clients. Une seconde femme arrive, toute aussi aveugle, mais cette fois, un homme la guide et pousse chaises et tables bruyamment et urgemment pour éviter qu'elle ne se blesse. On sent que cette femme-là est chérie, quand l'autre est dans l'ombre. On apprendra alors, en lisant de retour chez soi des ouvrages sur cette pièce (notamment le très beau « Pina Bausch » paru chez Actes Sud) , que Pina Bausch ne devait pas danser dans ce ballet. Elle l'a décidé au dernier moment, sans l'annoncer, parce que Malou Airaudo n'arrivait pas à retenir la chorégraphie. Pina l'aidait au fond du plateau, Malou pouvant la voir dans une glace. Et la pièce survécut à cette dualité de la danseuse et son double. On comprend mieux alors, pourquoi toutes deux dansent la même chorégraphie avec un décalage de temps.

La seconde danseuse, qui devient rôle principal (incarné par Letizia Galloni fraichement arrivée du Ballet de l'Opéra de Paris) avance, devancé par son « protecteur » passé maître en chaises poussées, et rencontre un jeune homme (Simon Le Borgne, lui aussi échappé de l'Opéra de Paris). Ils vont alors danser ensemble, mais surtout s'embrasser. Un autre homme arrive alors, les sépare, les renoue avec d'autres positions des bras. Elle saute alors sur son compagnon, qui la porte, la laisse tomber au sol. Elle remonte, l'embrasse, l'homme arrive, les sépare, remet les bras comme il l'avait voulu, et l'action se répète, dix fois, et de plus en plus vite. Sitôt l'homme parti, on aurait pu penser qu'ils se seraient remis ensemble. Or, tous deux renouvellent l'acte de la chute. Comme si les diktats de la société obligeaient à reproduire ce à quoi l'on vous oblige. Pendant ce temps, une jeune rousse à talons hauts pousse une porte tambour (celle qui tourne toujours et ne se ferme jamais) et va trottiner pendant toute la pièce, ses talons claquant au sol tels un son de percussion. Puis, la femme et son double initial se frappent le corps contre un mur de plexiglas et tombent au sol. Les actions se déroulent ainsi pendant 45 minutes, dans ce champs de chaises, sorte de prison visuelle et mentale, avec l'idée du couple impossible malgré le poids du désir, et l'impact labyrinthique de la société. Le tout accompagné d'arias de Purcell.

On aurait dû s'émouvoir de revoir ainsi cette pièce de 1978, petite forme pour six danseurs, faisant partie de la légende bauschienne. Or, on sent vite la frustration d'une soirée trop courte, trop « micro », trop effleurante, et dansé par de trop jeunes artistes qui font pourtant le mieux qu'ils peuvent.

Le public a l'habitude, en venant en procession voir un spectacle du Tanztheater de Wuppertal à des soirées longues ou du moins denses, avec des pièces d'ensemble. Or, ici, dans « cette pièce pour énormément peu de gens » comme le dira Dominique Mercy qui faisait partie de la distribution initiale, seuls six danseurs et «36 » (voir plus) chaises et tables prennent vie pendant 45 courtes minutes. On s'est alors demandé si cette unique et trop courte programmation était habituelle dans un programme de la compagnie. Il n'en est rien. Café Müller a toujours été présenté, en tout cas en France, accompagné d'une autre pièce, généralement Le Sacre du printemps (ou bien Macbeth en 1980, ou bien La légende de la chasteté en 1982).

Mieux encore, on apprend dans l'ouvrage publié chez Actes Sud, qu'à la création, il y avait quatre pièces de.. quatre chorégraphes différents (Gerhard Bohner, Gigi Caciuleanu, Hans Pop et Pina Bausch), tous devant évoluer dans le même décor … de tables et chaises de bar, imaginé par Rolf Borzik, le décorateur (et compagnon) de Pina Bausch, qui jouera le rôle de l'homme qui déplace les chaises.

Et l'on se plait à imaginer que l'on aimerait revoir cette soirée à l'original, afin de mieux comprendre comment chacun s'appropria ce décor, lors de cette soirée inaugurale. Ou bien à ce que d'autres chorégraphes d'aujourd'hui s'emparent du décor… L'imagination sans limite de Boris Charmatz, prêt aussi à ouvrir le répertoire de la compagnie pourrait lui donner envie d'imaginer cela. Dans le programme de salle, il n'hésite pas à dire, dans une riche interview, qu'il n'était « pas favorable à une telle reprise de Café Müller ». La réalité lui a donné raison.

A La Villette, on resta donc sur notre faim. On se dit alors que l'on était peut-être seule dans ce cas. Mais lorsque le noir se fît, le silence fût long avant d'entendre de maigres applaudissements polis. Avait-on jamais vu un accueil si froid pour une pièce « culte » de Pina Bausch ? L'expérience, en tout cas, devra être débriefée par la compagnie, afin de ne pas commettre à nouveau un tel loupé.

Crédits photographiques : © Bettina Stob

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Paris. Grande Halle de La Villette. 6-VII-2023. Café Müller. Mise en scène et chorégraphie : Pina Bausch Tanztheater Wuppertal ; Musique : Henry Purcell ; Scène et costumes : Rolf Borzik ; Direction des répétitions : Barbara Kaufmann, Héléna Pikon ; Collaboration Magali Caillet Gajan. Avec : Emma Barrowman, Cagdas Ermis, Letizia Galloni, Simon Le Borgne, Tsai-Wei Tien, Frank Willens

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