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Le gigantesque hommage de DG à Claudio Abbado

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Claudio Abbado – L’intégrale des enregistrements pour Decca et Deutsche Grammophon. Œuvres de Bach, Bartók, Beethoven, Bellini, Berg, Berlioz, Bizet, Boulez, Brahms, Bruckner, Chopin, Dallapiccola, Debussy, Donizetti, Dvořák, Furrer, Haydn, Henze, Hindemith, Janáček, Kurtág, Lanner, Lebrun, Ligeti, Mahler, Mendelssohn, Moussorgsky, Mozart, Nono, Perezzani, Pergolese, Prokofiev, Puccini, Rachmaninov, Ravel, Reznicek, Rihm, Rossini, Sarasate, Schoenberg, Schubert, Schumann, Sciarrino, Scriabine, Stockhausen, Edouard, Johann I et II, Josef Strauss, R. Strauss, Stravinsky, Tchaïkovski, Verdi, Vivaldi, Wagner, Webern, Xenakis. Nombreux solistes vocaux et instrumentaux ; Chœurs ; Boston symphony orchestra ; Chicago symphony orchestra ; Chamber orchestra of Europe ; Ensemble Anton Webern ; London symphony Orchestra ; Lucerne festival orchestra ; Gustav Mahler Jugendorchester ; Mahler Chamber Orchestra ; New philharmonia orchestra ; Orchestra Mozart ; Orchestre du théâtre de la Scala de Milan ; Orchestre philharmonique de Vienne ; Orchestre philharmonique de Berlin ; Orchestre symphonique de la radio bavaroise ; Simon Bolivar orchestra ; Staatskapelle de Dresde, direction : Claudio Abbado. 1 coffret 257 CD (+1 CD bonus) et 8 DVD Deutsche Grammophon. Enregistrés entre février 1966 et août 2013 dans des salles diverses. Notice bilingue (anglais, allemand) Durée totale : 262 h environ (CD) et 17 h (DVD)

 

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C'est le coffret de tous les superlatifs que DG édite en hommage au maestro italien : deux cent cinquante sept CD (plus un CD bonus contenant le Concerto n°16 de Mozart avec Serkin), huit DVD, plus deux livrets d'accompagnement et un gros livre d'hommages avec de superbes photos, le tout dans un emballage parallélépipédique de près de douze kilos…

Tout commence en 1966 avec les premiers CD londoniens consacrés à Prokofiev. Déjà le goût du chef pour les puissantes machines orchestrales s'affirme ; il ne cessera pas de défendre Prokofiev, avec des solistes prestigieux (Argerich, sa grande complice, mais aussi Kissin ou Mintz). Mais, amoureux de la musique russe, s'il se penchera sur Moussorgsky, Stravinsky et surtout Tchaïkovski, il ignorera Chostakovitch et fera le service minimum comme accompagnateur épisodique des concertos de Rachmaninov. Puis viennent les années scaligères (1968-1986) qui lui inspirent des Rossini éblouissants même gravés à Londres (Barbier, Cenerentola et la légendaire résurrection du Voyage à Reims), des Verdi incandescents (Aida, Boccanegra, Don Carlos, Macbeth, Un bal masqué) ou bouleversants (le Requiem). Rien en revanche de Puccini, et c'est bien dommage. Nommé chef du (1979-1989), Abbado explore aussi dans le XXᵉ siècle avant-gardiste qu'il aimait tant ; Berg, Webern, comme Stockhausen, Kurtag, en sortent sublimés, mais aussi à l'autre bout du spectre de son répertoire Mendelssohn avec une intégrale des symphonies étincelante et inégalée. Parallèlement, il grave quelques superbes enregistrements à Chicago et entame une fructueuse collaboration avec l'Orchestre de chambre d'Europe, la première de celles qu'il mènera avec des orchestres de jeunes, autre point marquant de son aventure musicale. C'est toutefois avec les Wiener Philharmoniker qu'il donnera à notre sens les sommets de tout le coffret ; un cycle Beethoven magistral, symphonies, concertos avec Pollini, autre grand partenaire sinon complice, ouvertures, pièces diverses, Fidelio mais aussi des Mahler somptueux qui établiront de façon évidente ses affinités avec les symphonies (y compris l'adagio de la Xᵉ mais pas hélas Le chant de la terre) de son illustre prédécesseur à l'Opéra de Vienne dans une vision jamais excessive ou sur-expressive à la différence d'un Bernstein, mais toujours émouvante, culminant dans de sublimes 9ᵉ. Il étendra cette passion à d'autres musiques postérieures (Lulu symphonie, Wozzeck, les Gurre Lieder, et même des Janáček inattendus comme une poignante Maison des morts).

Paradoxe, il n'est pas évident que le legs berlinois du successeur surprise de Karajan (1989-2002) soit au même niveau, hormis le cycle Brahms, autre musicien chéri du maestro. Bruckner restera comme un rendez-vous un peu manqué et frustrant de cette aventure musicale, car avoir trois fois la Symphonie n°1 ne saurait compenser le regret de ne pas avoir la Symphonie n°8. Puis Abbado se détachera des grandes institutions en quittant Berlin en 2002, très éprouvé par sa lutte contre le cancer. Il se tournera vers les orchestres de jeunes ou de chambre mais aussi son enfant, l' avec lequel il laissa une Résurrection superbe ainsi qu'une Mer impressionnante. Il est vrai qu'il avouait lui-même avoir eu envie de diriger en entendant, enfant, les Nocturnes de Debussy. Pelleas et Mélisande ainsi que des Ravel au scalpel témoignent de ce goût pour la musique française, qui aura aussi porté sa Carmen londonienne (avec Domingo et Berganza, transcendants amants maudits) au pinacle. On regrettera en revanche qu'il se soit tenu assez à l'écart de Wagner et Richard Strauss, malgré un Lohengrin, sans nul doute le plus italien des opéras wagnériens, avec Jonas Kaufmann. Un vaste cycle Schubert tardif avec l'Orchestre de chambre d'Europe vaut surtout par des raretés (l'opéra Fierrabras, les orchestrations de lieder ou du grand duo, mais aussi la musique de Rosamonde) plus que par les symphonies où il n'égalera pas Harnoncourt. Pas une note de musique nordique, et quelques rares enregistrements convenus (la Symphonie du nouveau monde) déçoivent. Mais les concertos de Mozart avec Serkin, la brochette de ceux gravés avec Argerich, Pollini (Bartók, Beethoven déjà cité, Brahms, Schoenberg et Schumann) fascinent toujours autant qu'à leur parution.

Enfin, on ne serait pas complet en omettant d'évoquer les pages du XXᵉ siècle regroupées sous les CD intitulés Wien Modern, qui montrent Abbado soucieux de servir la musique de son temps, même s'il n'est pas certain que toutes les œuvres gravées sur ces CD survivent très longtemps (Boulez, Nono, Ligeti, Henze, Rihm, Xenakis, Dallapicola sans doute, d'autres dont on taira le nom peut-être pas). Le cycle se clôt sur l'ultime 9ᵉ de Bruckner donnée à Lucerne en août 2013, cinq mois avant la mort du maestro.

Les DVD permettent d'admirer la battue élégante de (en particulier lors du concert du Nouvel an viennois de 1991) comme le brio des Rossini captés cette fois à la Scala (Barbier de Séville et Cenerentola) et la géniale Maison des morts.

De cet ensemble hors normes se dessine le portrait d'un maestro à la fois toujours rigoureusement précis et d'une impeccable perfection technique, mais aussi capable d'entraîner les orchestres dans des chemins où l'émotion sourd du respect rigoureux du texte ; jamais excessif ni dans ses tempos ni dans l'expression de ses sentiments, savait néanmoins communiquer à ses musiciens et à ses auditeurs une intensité profondément émouvante, comme se révéler un accompagnateur inspirant pour les plus grands chanteurs et solistes instrumentaux.

Relevons également l'absence de deux disques qu'Abbado avait consacrés aux concertos du XXᵉ siècle (Berg, Hindemith, Stravinsky et Weill) gravés avec Kolja Blacher, mais aussi la présence incongrue d'un quintette de Schumann ou d'une Polonaise de Chopin sans Abbado, mais tout le legs DG et Decca du chef est là ; ne manquent que les quelques rares disques gravés pour d'autres éditeurs (Warner, Harmonia Mundi, Sony ou le Lucerne festival).

En complément des CD et DVD, deux copieux livrets détaillent les plages de chaque disque et offrent quelques coups de projecteur sur le répertoire d'Abbado : Abbado et Bruckner (avec « un regard sur l'infini » à propos de la Symphonie n° 9), Abbado et Mahler, Abbado et la 9e de Schubert et surtout un long et passionnant entretien avec Wolfgang Schreiber (« il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir dans les symphonies de Beethoven ») dans lequel le maestro redit son admiration inconditionnelle pour Furtwängler, « le plus grand chef« . Enfin un véritable livre d'or compile de nombreuses photos du chef, des hommages rendus par les orchestres et de grands solistes comme une analyse de l'art d'un musicien contrastant entre des répétitions jugées généralement brouillonnes et ennuyeuses et des interprétations transcendantes tant en concert qu'en studio. Dommage, vraiment, que ces trois compléments soient offerts en anglais et en allemand seulement.

En conclusion, un somptueux coffret qui suit pas à pas la carrière d'Abbado, y dégageant les lignes de force de son répertoire, comme, en creux les lacunes et surtout les composantes de son art ; dressant un monument colossal et justifié à la gloire d'un chef marquant de son temps, plus humain que bien des figures légendaires qui l'avaient précédé.

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