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Paris. Philharmonie, Grande salle Pierre Boulez. 27-VI-2023. Leonard Bernstein (1918-1990) : Danses symphoniques de West Side Story ; Matthews Aucoin (né en 1990) : Heath-King Lear Sketches, création française ; Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Roméo et Juliette-Ouverture fantaisie ; Giuseppe Verdi (1813-1901) : Otello, acte IV de l’opéra. Angel Blue, soprano. Russell Thomas, ténor. Deborah Nansteel, mezzo-soprano. Errin Duane Brooks, ténor. Michael Chioldi, baryton. Richard Bernstein, basse. Adam Lau, basse. MET Orchestra, direction : Yannick Nézet-Séguin
Le MET Orchestra signe son grand retour à Paris, le temps de deux concerts à la Philharmonie. Le premier, tout entier d'inspiration shakespearienne, associe la musique symphonique mettant en miroir les Danses symphoniques de West Side Story et l'Ouverture-Fantaisie de Roméo et Juliette, et l'opéra avec l'acte IV d'Otello de Verdi, chanté par la soprano Angel Blue et le ténor Russell Thomas. La création française de Heath-King Lear Sketches complète ce copieux programme.
Absent des scènes européennes depuis 22 ans du fait de l'état de santé précaire de son ancien directeur musical, James Levine, le MET Orchestra semble retrouver une nouvelle jeunesse sous la houlette de Yannick Nézet-Séguin, un regain de vitalité dont témoigne la présente tournée et ce passage très attendu à Paris. Phalange d'excellence, l'orchestre new yorkais affirme hardiment une double vocation, lyrique surtout, mais également symphonique avec une forte appétence pour les créations contemporaines : trois spécificités regroupées ce soir dans un programme assez monothématique, shakespearien, qui hélas a tendance à rapidement tourner à la démonstration orchestrale, bien avare en émotion dans la première partie du fait de la juxtaposition d'œuvres courtes qui ne laissent pas le temps à l'émotion de s'installer.
Certes, on admire sans réserve la fougue, l'enthousiasme et la pertinence de la direction du chef québécois, tout autant que la superbe plastique et la réactivité impressionnante du MET Orchestra, toutes deux mises à l'épreuve dès les Danses symphoniques de West Side Story qui ouvrent le concert. Cette suite de danses a été composée en 1960, un an avant que Robert Wise n'adapte au cinéma la fameuse comédie musicale de Leonard Bernstein. Yannick Nézet-Seguin met d'emblée l'accent sur les rythmes et la dynamique dans une interprétation haute en couleurs, ludique, théâtrale, aux accents jazzy et latino-américains, toute entière portée par le plaisir de jouer.
Matthews Aucoin (né en 1990) assume ensuite sa part de modernité avec Heath-King Lear Sketches, en création française. C'est une courte pièce, composée en 2023, remarquable par la qualité et la richesse de son orchestration, divisée en quatre sections jouées enchainées : le « Royaume divisé » annoncé par les cloches sur une assise rythmique lancinante évoquant un paysage sonore désolé (cordes) d'où émergent de nombreux timbres isolés (piccolo, petite harmonie, contrebasson), une épure orchestrale initiale qui va progressivement laisser place à un épisode au lyrisme tendu où se remarquent tout particulièrement les cordes, le cor et la trompette ; la seconde section, « le Fou », fait la part belle au xylophone, soutenu par les cordes auxquelles se mêlent les rafales de vents du plus bel effet ; la troisième section, « Je n'ai plus de chemin », se caractérise par ses timbres acidulés (harpe, célesta, hautbois) avant que « Avec une marche funèbre » ne referme cette évocation du roi Lear dans un climat de drame scandé par les cuivres et les percussions.
Toute autre atmosphère avec l'Ouverture-fantaisie de Roméo et Juliette de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1869-1880) qui achève la première partie. Proposée au compositeur par Balakiev, plusieurs fois révisée, elle débute dans la gravité du choral de frère Laurent qui n'est pas sans rappeler le Roméo et Juliette de Gounod (petite harmonie, cor et harpe) avant d'opposer et d'entrelacer les deux thèmes principaux : celui de la haine simulant le combat des deux familles, véritable maelström musical scandé à grands coups d'archets, de cymbales et d'appels de cuivres ; et celui de l'amour, sensuel et d'une belle ampleur, probablement une des plus belles mélodies jamais écrites chantée par les cordes (altos) et la petite harmonie (cor anglais) sur de beaux contrechants de cor, avant une coda funèbre qui scelle la fin tragique des deux amants.
Bien heureusement la seconde partie, entièrement dévolue à Verdi avec l'acte IV d'Otello, apporte son lot d'émotion, tant attendue, avec la magnifique interprétation d'Angel Blue (Desdémone) face à Russell Thomas (Otello). On ne sait qu'admirer le plus dans cette lecture, de la beauté du chant ou de la splendeur de l'accompagnement orchestral, d'une rare délicatesse et parfaitement équilibré, suivant au plus près la dramaturgie. Introduite par le cor anglais, la Romance du saule fait valoir la beauté du timbre, le large ambitus (graves) et l'ampleur de la projection de la soprano américaine que l'Ave Maria ne fera que confirmer. Un court intermède orchestral laissant à entendre de puissantes contrebasses et de véhéments altos, bientôt renforcés par le tutti rugissant, annonce l'arrivée d'Otello campé par un Russell Thomas tour à tour violent puis accablé dont on admire la sobriété du chant, le legato et les aigus filés dans son monologue final où il retrouve sa nature humaine.
En « bis » Adoration de Florence Price interprété au violon par David Chan accompagné par tout l'orchestre conclut ce beau concert.
Crédit photographique : © Rose Callahan / MET Opera
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Paris. Philharmonie, Grande salle Pierre Boulez. 27-VI-2023. Leonard Bernstein (1918-1990) : Danses symphoniques de West Side Story ; Matthews Aucoin (né en 1990) : Heath-King Lear Sketches, création française ; Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Roméo et Juliette-Ouverture fantaisie ; Giuseppe Verdi (1813-1901) : Otello, acte IV de l’opéra. Angel Blue, soprano. Russell Thomas, ténor. Deborah Nansteel, mezzo-soprano. Errin Duane Brooks, ténor. Michael Chioldi, baryton. Richard Bernstein, basse. Adam Lau, basse. MET Orchestra, direction : Yannick Nézet-Séguin