Écrire le silence avec Colin Roche

Œuvre performative publique dont un CD sorti en 2020 restitue la trace sonore, Le Livre des Nombres de Colin Roche est aussi le journal d'un voyage d'introspection, celui du compositeur écrivant le silence de ses nuits.

Il a fait vœu de silence durant sept jours et sept nuits, invité par Laurent Derobert, artiste et théoricien des mathématiques existentielles, dans une galerie d'art « afin d'y parcourir d'autres potentialités du Livre des Nombres ». Des informations quant à la conformité des lieux et au protocole du rituel journalier nous sont données au fil du récit, Colin Roche découpant chacune de ses sept journées – du 4 au 10 mai 2019 – par tranches horaires, de la matinée (8h30) à tard dans la nuit, selon sa résistance physique et psychique. « Je dois écrire deux mots sur ce que je fais sur la porte », précise-t-il… sans doute pour les visiteurs qui passent devant la baie vitrée sans pouvoir lui parler et dont il recueille les commentaires les plus amusants. Car l'humour et la distance émaillent souvent le propos. On parvient au fil des mots à comprendre que les battements de son cœur et leurs moindres fluctuations sont enregistrés durant la nuit, via des capteurs, et convertis sous forme numérique par Max/MSP, du moins lorsque le logiciel ne « plante » pas : « du temps gaspillé par la machine », fait-il remarquer. Ces informations sont traduites en termes de notation musicale sur des pages vierges où il trace lui-même (encre rouge puis bleue) des portées : métrique, tempo et nombre de mesures de silence : « Et j'ai entendu que se logeait un contrepoint entre mon cœur et mes doigts […]. Un contrepoint musical, confie l'auteur.

Le silence s'écrit, les pages se remplissent mais la solitude pèse et l'absence de l'être aimé (L. qui ne répond pas aux messages) fait battre le cœur à des vitesses record : « Dans cette odyssée, je suis Ulysse mais aussi Pénélope », écrit l'auteur non sans amertume.

Des photos de partitions, la main de Colin Roche au travail, les accidents de parcours (taches d'encre sur la page) illustrent et rythment les pages du journal, nous renseignent sur l'avancée des travaux et donnent une matérialité à cette expérience d'étrangeté où tout est question de cœur qui bat, d'attente et de fragilité.