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Nancy. Opéra national de Lorraine. 25-VI-2023. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opéra en trois actes sur un livret de Francesco Maria Piave, d’après le roman La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils. Mise en scène : Jean-François Sivadier. Décors : Alexandre de Dardel. Costumes : Virginie Gervaise. Lumières : Philippe Berthomé. Maquillages et coiffures : Cécile Kretschmar. Chorégraphie : Johanne Saunier. Avec : Enkeleda Kamani, Violetta Valéry ; Mario Rojas, Alfredo Germont ; Gezim Myshketa, Giorgio Germont ; Marine Chagnon, Flora Bervoix ; Majdouline Zerari, Annina ; Grégoire Mour, Gastone ; Yoann Dubruque, Baron Douphol ; Jérémie Brocard : Marquis d’Obigny ; Jean-Vincent Blot : Docteur Grenvil ; Benjamin Colin : le Commissionnaire ; Marco Gemini, le Domestique de Flora ; Ill Ju Lee, Giuseppe ; Florian Sietzen, un Comédien. Chœur de l’Opéra national de Lorraine (chef de chœur : Guillaume Fauchère), Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, direction : Marta Gardolińska
En reprenant avec une distribution nouvelle la mise en scène de La Traviata créée au Festival d'Aix-en-Provence en 2011, l'Opéra national de Lorraine prenait un risque. Qui pour succéder dans le rôle-titre à Natalie Dessay, pour laquelle Jean-François Sivadier avait entièrement conçu sa mise en scène ? La perle rare s'appelle Enkeleda Kamani et le pari est gagné haut la main.
Comme il en a l'habitude, Jean-François Sivadier dépouille au maximum sa scénographie. Le décor d'Alexandre de Dardel figure à nouveau une scène de tréteaux largement ouverte qu'habillent parcimonieusement les costumes simples de Virginie Gervaise, les lumières de Philippe Berthomé et quelques toiles peintes d'inspiration impressionniste. Les artifices du théâtre sont constamment rappelés : rideau ouvert dès l'entrée des spectateurs, chanteurs déambulant sur scène avant le début du spectacle, habillages et maquillages souvent en scène (avec une profusion de vestes enfilées puis ôtées qui confine au systématisme), entrées par la salle dont les lumières ne s'éteignent que tardivement, interactions appuyées entre les chanteurs et le chef, spots lumineux de poursuite comme au music-hall.
Le but de ce dispositif est évidemment de concentrer l'attention sur les personnages. Jean-François Sivadier y parvient par une direction d'acteurs très soignée et naturelle, qui n'oublie ni aucun second rôle ni le chœur, les faisant même participer aux chorégraphies de Johanne Saunier. Mais, contrairement à maints de ses confrères, il n'entre jamais en contradiction avec la partition et en tire même son inspiration. « Si le plus important à l'opéra c'est la musique, alors c'est la musique qu'il faut mettre en scène » confie-t-il dans le programme de salle et sa grande culture musicale l'y aide. Une telle précision, une telle exigence appellent en corollaire des chanteurs doués pour le jeu scénique et capables de s'y investir avec intensité. C'était notamment le cas à la création à Aix-en-Provence avec Natalie Dessay, dont les dons d'actrice sont bien connus.
En Violetta Valéry tout aussi frêle, l'Albanaise Enkeleda Kamani ne lui cède en rien. L'évolution qu'elle donne à son personnage est impressionnante, de la vitalité un peu artificielle du début chez Flora au poignant fantôme déjà hors du temps et du monde au dernier acte. Les moyens vocaux sont aussi plus en adéquation avec le rôle : timbre sonore, aisance et sécurité techniques, registres homogènes, vocalises précises (sans contre-mi bémol hors de portée en fin du premier acte) et surtout un art des nuances et des demi-teintes d'une puissante capacité à émouvoir. L'Alfredo Germont de Mario Rojas est plus classique sans être banal. Le rôle est moins évolutif mais on croit à sa timidité adolescente, à la sincérité de sa passion amoureuse, on compatit à son désespoir au dernier acte. Le timbre est impeccablement solaire, assez monochrome, la diction d'une clarté remarquable, l'aigu solide et puissant mais les capacités d'allègement lui sont moins naturelles. Le Giorgio Germont de Gezim Myshketa (venu aussi d'Albanie) ne peut masquer quelques difficultés vocales ; l'aigu est tendu et souvent instable, le timbre assez engorgé mais la puissance, le legato et le souci de nuancer sont respectables. Un peu négligé par le metteur en scène (cela avait déjà été noté pour Ludovic Tézier à Aix-en-Provence), il a du mal à éviter un certain monolithisme scénique. La distribution des multiples seconds rôles est très réussie. On y remarque notamment la Flora Bervoix de belle tenue de Marine Chagnon, l'Annina maternelle et à la voix chaleureuse de Majdouline Zerari, le Gastone débordant d'énergie de Grégoire Mour, le sonore Baron Douphol de Yoann Dubruque ou le haut relief que donne Jean-Vincent Blot à son Docteur Grenvil.
La cheffe Marta Gardolińska soigne tout particulièrement la précision et la dynamique. Si la battue rythmique est parfois un peu pesante, elle réussit tout aussi bien les transparences sonores (les deux préludes des actes I et III par exemple) que l'apogée du final du second tableau de l'acte II. La cohésion et l'équilibre avec le plateau sont aussi pleinement aboutis. L'Orchestre de l'Opéra national de Lorraine participe à cette réussite, précis et attentif, en dépit de cordes manquant de volupté et de bois parfois envahissants. En revanche, le Chœur de l'Opéra national de Lorraine se montre irréprochable. Un succès public unanime est venu saluer ce retour très réussi de La Traviata à Nancy, réservant un véritable triomphe à son interprète principale.
Crédits photographiques : Enkeleda Kamani (Violetta), Mario Rojas (Alfredo) / Gezim Myshketa (Giorgio Germont), Enkeleda Kamani (Violetta), Grégoire Mour (Gastone), Mario Rojas (Alfredo)Marta © Jean-Louis Fernandez
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