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Distribution de haut vol et mise en scène virtuose pour Theodora de Haendel

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Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Theodora HWV 68, oratorio en trois actes sur un livret de Thomas Morell. Mise en scène : Katie Mitchell. Décors : Chloe Lamford. Costumes : Sussie Juhlin-Wallén. Lumière : James Farncombe. Direction des mouvements : Sarita Piotrowski. Avec Julia Bullock, soprano (Theodora) ; Joyce DiDonato, mezzo-soprano (Irene) ; Jakub Józef Orliński, contreténor (Didymus) ; Ed Lyon, ténor (Septimius) ; Gyula Orendt, basse (Valens) ; Thando Mjandana, ténor (Marcus) ; Royal Opera Chorus (chef de chœur : William Spaulding) ; Orchestra of the Royal Opera House, direction : Harry Bicket. Réalisation : Peter Jones. 1 Blu-Ray Opus Arte. Enregistré en janvier-février 2022 au Royal Opera House Covent Garden. Sous-titres : anglais, français, allemand, japonais et coréen. Notice de présentation en anglais. Durée : 189’

 

Les Clefs d'or

Créé à Covent Garden en 1750, l'oratorio Theodora de Haendel n'avait jamais été redonné dans ce théâtre. Voilà qui est chose faite grâce à la décapante mise en scène de . Une distribution éblouissante contribue à la réussite totale d'un spectacle en tout point exceptionnel.

Donné au début de l'année 2022 au Royal Opera House Covent Garden, le spectacle dont ce DVD/Blu-ray est le reflet avait enthousiasmé le public comme la critique. Sur le plan scénique, tout d'abord, on aura rarement vu une transposition à ce point aboutie et réussie. Depuis les mises en scène relativement récentes de Peter Sellars à Glyndebourne, Christof Loy à Salzbourg et Stephen Langridge à Paris, la preuve a été faite que cet ouvrage initialement non conçu pour la scène se prêtait idéalement à la représentation théâtrale.

Le concept élaboré par la metteuse en scène Katie Michell consiste aujourd'hui à transposer l'histoire des martyres chrétiens d'Antioche à l'époque moderne, où ces derniers sont vus comme des fondamentalistes chrétiens révolutionnaires projetant, en un acte de résistance contre l'oppression exercée par une hégémonie païenne essentiellement masculine, la destruction de l'ambassade romaine dans laquelle ils sont employés. Le premier acte nous montre ainsi Theodora et Irene en train de concocter un explosif visiblement destiné à faire sauter le lieu où elles se trouvent. Le concept quelque peu surprenant, qui détourne considérablement le propos initial des premiers créateurs de l'œuvre, permet d'embrasser de manière extraordinairement convaincante un grand nombre de problématiques actuelles telles que le terrorisme politique, le fanatisme religieux ou encore, sujet primordial dans cet ouvrage où le viol est un élément essentiel, les violences sexistes, sexuelles ou simplement physiques faites aux femmes. L'échange de vêtements de la fin du deuxième acte, allié à l'utilisation ici presque troublante de la voix de contreténor pour Didymus, permet également d'aborder, sous une nouvelle facette, la question éminemment sensible aujourd'hui du genre. Les fans de Jakub Jósef Orliński devront s'accommoder du spectacle de leur idole perpétrant un numéro de pole dance vêtu du lamé or moulant dont avait précédemment été affublée Theodora. La réécriture du dénouement pourra être vue comme un autre moyen de redonner à cet ouvrage à la thématique chrétienne toute l'actualité dont il est le porteur. Le remarquable dispositif scénique de Chloe Lamford, lequel nous fait passer dans un va-et-vient incessant de la cuisine où officient les Chrétiens à la salle de réception des Romains, sans oublier la salle froide et le bordel de l'ambassade, confère au spectacle une fluidité qui s'accorde en tout point avec celle de la musique. Les scènes de jeu au ralenti, particulièrement réussies, contribuent à suggérer plus qu'à ne montrer les scènes de violence desquelles le public londonien avait été averti en amont du spectacle. L'exceptionnel engagement des chanteurs-acteurs contribue lui aussi au succès d'un spectacle d'autant plus remarquable qu'il porte à la scène un ouvrage longtemps jugé inapte à la représentation scénique.

Au festin pour les yeux s'ajoute de surcroit un régal pour les oreilles, et l'on ne trouve aucun point faible à une distribution constituée d'artistes investis à fond dans leur jeu comme dans leur chant. Dans le rôle éponyme de l'ouvrage, est une Theodora d'une rare intensité, bouleversante dans les affres qu'elle traverse même si l'on n'adhère pas forcément au fanatisme religieux du personnage et de ses congénères. Musicalement sa voix est d'une riche couleur et elle semble maîtriser tous les aspects d'une écriture moins virtuose que cette des grands opéras italiens de Haendel, mais qui n'est pas non plus sans ses difficultés. À ses côtés, Jakub Jósef Orliński fait valoir un instrument chaud et vibrant, et se montre physiquement idéal pour le rôle. Le ténor , au timbre de voix un peu sec mais techniquement très solide, est un Septimius d'une rare duplicité, contrairement au Valens tout d'une pièce de , redoutable prédateur dans le monde de brutes dont il est le parfait représentant. Son aisance avec les vocalises rend son incarnation particulièrement réussie sur le plan musical. Le plateau n'en est pas moins dominé, vocalement et scéniquement, par l'incandescente qui, malgré les balais, serpillières et serviles tabliers dont elle est affublée, irradie le théâtre de Covent Garden de la sobriété de son jeu et de la beauté subtile de son chant. Mention spéciale également pour le chœur et l'orchestre de la maison lesquels, quoique non spécialistes du répertoire baroque, trouvent sous la baguette le son et le ton qui conviennent à un ouvrage qu'il était temps, près de trois siècles après sa création in loco, de réentendre à Covent Garden. Un spectacle mémorable, dont on se réjouit qu'il ait pu être préservé pour les générations à venir.

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Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Theodora HWV 68, oratorio en trois actes sur un livret de Thomas Morell. Mise en scène : Katie Mitchell. Décors : Chloe Lamford. Costumes : Sussie Juhlin-Wallén. Lumière : James Farncombe. Direction des mouvements : Sarita Piotrowski. Avec Julia Bullock, soprano (Theodora) ; Joyce DiDonato, mezzo-soprano (Irene) ; Jakub Józef Orliński, contreténor (Didymus) ; Ed Lyon, ténor (Septimius) ; Gyula Orendt, basse (Valens) ; Thando Mjandana, ténor (Marcus) ; Royal Opera Chorus (chef de chœur : William Spaulding) ; Orchestra of the Royal Opera House, direction : Harry Bicket. Réalisation : Peter Jones. 1 Blu-Ray Opus Arte. Enregistré en janvier-février 2022 au Royal Opera House Covent Garden. Sous-titres : anglais, français, allemand, japonais et coréen. Notice de présentation en anglais. Durée : 189’

 
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